Fin d’été à Giverny. C’est « un univers vivement coloré, mais sans profondeur, sans perspective, où l’air est raréfié (à peine une allée, un bout de ciel entr’aperçu) : la profusion, l’extraordinaire fourmillement floral (…) a comme mangé et bu tout l’espace. »
Ces lignes sont extraites d’une passionnante étude de Christian Limousin intitulée « Monet au jardin des supplices », dans laquelle l’auteur étudie les connexions entre le jardin de Giverny et le livre d’Octave Mirbeau « Le jardin des supplices ». Qui a inspiré l’autre, et comment les deux amis se sont-ils influencés réciproquement ? On ne saurait en décider, mais les correspondances sont troublantes.
Tranchant avec la vision habituelle d’un jardin édenique, petit coin de paradis sur terre, Mirbeau voit tout autre chose dans le jardin de Giverny. C’est « une métaphore » de l’oeuvre de Monet, et il faut, selon l’auteur, « aller au-delà de l’aspect lumineux et séduisant du premier abord pour accéder au fond de sauvagerie qui en constitue le coeur noir.«
Métaphore de l’oeuvre, et projection de la personnalité de Monet. Une visiteuse me faisait judicieusement remarquer le contraste entre les allées droites et l’aspect « rebelle » des massifs, qu’elle comparaît aux contradictions entre le conformisme bourgeois de Monet et sa liberté artistique. Dans le jardin de fin d’été on peut voir tout le bouillonnement d’une nature et d’un caractère pleins de vigueur, d’ardeur créatrice, difficilement endigués par des cheminements aux tracés rectilignes de plus en plus envahis par la végétation.
Dans toute cette fougue, on pourrait déceler quelque chose qui se rapproche de la violence. Le promeneur est submergé par la vitalité des plantes qui l’environnent de toute part, dressant leurs fières corolles géantes loin au-dessus de sa tête, formant des murs denses, impénétrables, qui le cloisonnent et l’emprisonnent.
Emportée par cet élan végétal impressionnant, j’ai été bien surprise d’entendre une autre personne me confier qu’elle avait trouvé le jardin « fatigué ». Elle aurait aimé le voir au printemps. Les couleurs lui paraissaient ternes.
Ternes ! Tous ces dahlias sanglants, ces soleils lumineux, ces sauges au bleu intense ! J’étais fascinée d’entendre exprimé ce ressenti à des années lumière du mien. Quelle pouvait bien être la cause de ce jugement si déprimé ?
Sans chercher à en percer le mystère, je garde de cette critique étonnante la petite fenêtre qu’elle ouvre sur la diversité de la nature humaine.
On ne ressent pas tous la même chose. Mais je vais continuer à être subjective, et m’extasier tout haut devant les personnes que je guide. Tant pis pour les ronchons.
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Que vos billets sur les Jardins de Giverny expriment toute la vivacité de votre spontanéité subjective, c’est le souhait que je formule du Québec où j’attends impatiemment les couleurs automnales.
Je note ce livre qui m’a l’air fort intéressant. Je suis d’accord sur "le fond de sauvagerie", il suffit de regarder ses dernières oeuvres. Le jardin terne en ce moment ? Faut-il être déprimé en effet, mais notre regard dépend tellement de nos états intérieurs.
Annamartyne, merci, et que ce doit être beau le Québec à l’automne !
Aifelle, cette étude se trouve en ligne. Elle a sans doute aussi été publiée par ailleurs, mais je n’ai pas les références.
Le joyeux désordre des fleurs qui finissent par pousser comme bon leur semble, n’est-ce pas cette rébellion que le jardinier craint et espère ?
Merci de vous extasier, Ariane, et de réveiller les regards.
This garden reminds me of my youth.