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Chez Léon Monet

Chez Léon Monet
A droite, Léon Monet et Aurélie Monet, au centre les trois soeurs Billecocq, Thérèse, Marguerite et Geneviève, vers 1905 – Collection Wildenstein Plattner Institute, Paris

Cette photo qui m’intriguait en 2008 a enfin perdu une part de son mystère. Elle est actuellement présentée à l’exposition Léon Monet, et une légende détaille l’identité des cinq personnes de droite.

Aurélie Monet est la deuxième épouse de Léon, celle qui a été sa cuisinière et qui lui a donné deux filles.

Quant à la famille Billecocq, si elle avait tissé des liens avec Claude Monet, ceux noués avec son frère Léon n’ont été pas moins durables.

Léon Monet, frère de Claude

Léon Monet, frère de Claude

C’était hier l’anniversaire de la naissance de Léon Monet, né le 14 avril 1836 à Paris. Le musée du Luxembourg consacre une exposition à ce frère méconnu, mécène de la première heure. C’est ce beau portrait qui ouvre l’expo. J’ai été frappée par la ressemblance avec le jeune Claude Monet, au point de me demander si c’était vraiment la photo de Léon. Regardez :

Léon Monet, frère de Claude

Voici Claude Monet photographié par Carjat,

Léon Monet, frère de Claude
… et voici Léon Monet. Ces deux-là, ils ne peuvent pas nier qu’ils sont frères.

Monet et Knight

Monet et Knight
Claude Monet et Louis Aston Knight à Giverny, photographe anonyme

Je crois qu’ils sont devant la maison de Giverny, juste à gauche de l’escalier d’entrée. Claude Monet fait admirer ses rosiers à Louis Aston Knight, très intéressé. Une génération les sépare : Monet a l’âge du père de son visiteur, Daniel Ridgway Knight, qu’il a sans doute connu au temps de sa jeunesse parisienne, car ils étaient tous deux les élèves de Gleyre en 1862. Ils n’avaient pas le même tempérament et leurs routes n’ont pas tardé à diverger. D. R. Knight sortait de l’école des Beaux-Arts, où il avait eu Cabanel comme professeur. Après son passage à l’atelier Gleyre, il est devenu l’élève de Meissonier et s’est installé à Poissy lui aussi, puis à Rolleboise, au bord de la Seine, à 13 km de Giverny. C’est un peintre réaliste soucieux du détail. Américain d’origine, il est venu se perfectionner en France et il y est resté.

Monet et Knight
Daniel Ridgway Knight, Chrysanthemums, collection particulière

Daniel Ridgway Knight peint ce qui plaît à sa clientèle américaine : des jeunes filles, des fleurs, dans les paysages bucoliques des bords de Seine. Ses modèles posent, il prend des libertés avec le paysage, mais il a une attention à la lumière naturelle et du métier.

Son fils Louis Aston Knight (celui de la photo ci-dessus) est devenu peintre à son tour. Les motifs sont des poncifs de la Normandie :

Monet et Knight
Louis Aston Knight, The Blue Cottage, collection particulière

Knight junior sait se gagner la sympathie des gens par sa gentillesse. A partir de 1907, il séjourne tous les ans à Venise. En octobre 1908, il loge à l’hôtel Britannia sur le Grand Canal quand Claude Monet et son épouse y descendent :

Nous avons trouvé ici, à l’hôtel, le fils Knight de Rolleboise. Monet le connaît un peu. C’est un aimable garçon et surtout très serviable. Il a offert à Monet de peindre sur un beau yacht dont il connaît le propriétaire et où il y a un motif superbe à faire. Malheureusement c’est trop tard, Monet en a tant en train, plus de 15 maintenant.

Lettre d’Alice Monet à sa fille Germaine, Venise, 27 octobre 1908

C’est Knight encore qui, en repartant le 4 novembre, laisse son manteau de fourrure à la disposition de Monet, pas assez chaudement vêtu à mesure que l’automne avance. Ce qui n’empêche pas Monet de lui dire le fond de sa pensée en voyant les 25 toiles enlevées en 5 semaines qu’Aston rapporte de son voyage : « trop de facilité et de chiqué ».

Monet et Knight
Louis Aston Knight, Venice, collection particulière

« C’est un débrouillard », note Alice, « il compte bien les vendre, et pour lui, c’est l’essentiel ».
Tout le monde ne se sent pas investi de la mission de révolutionner l’histoire de l’art, on ne peut pas lui en vouloir.

Aston Knight est un athlète. Si Monet peint depuis des bateaux, le jeune Knight n’hésite pas à enfiler des bottes de pêcheur et à s’installer pieds dans l’eau au milieu du courant, sa toile posée sur une échelle double en guise de chevalet. Aimant la pêche, il devait apprécier le contact de l’eau, je suppose.

A l’époque de la photo à Giverny, dans les années 1920, Knight junior avait acheté depuis peu un très beau manoir à Beaumont-le-Roger, dans le département de l’Eure, et il était en train d’y créer de magnifiques jardins dans le but de motifs à peindre. La propriété était traversée par la Risle.

Quelques années plus tôt, Jean Monet, fils aîné de Claude, avait brièvement vécu dans ce même bourg de Beaumont-le-Roger où il élevait des truites, jusqu’à ce que la maladie l’oblige à abandonner son activité. Blanche Hoschedé-Monet, son épouse, avait profité de leur séjour pour peindre quelques vues de Beaumont.

Les sujets de conversation ne devaient donc pas manquer à Monet et Knight, même si leur inspiration, leur style et leur audace n’ont rien, mais vraiment rien à voir.

Monet à son bureau

Monet à son bureau
Claude Monet dans le salon-atelier de Giverny en 1926, Agence Meurisse
gallica.bnf.fr, Bibliothèque nationale de France


Voici Claude Monet dans son salon-atelier, immortalisé par un photographe de l’agence Meurisse. Le cliché paraît avoir été pris le même jour que ceux dans l’atelier, en 1926.

Est-ce le photographe qui a suggéré à Monet cette pose étudiée rapprochant la main qui peint de l’oeil qui voit, est-ce lui qui a demandé qu’on baisse le store de la fenêtre pour tenter d’éviter cette zone surexposée dans la photo ? Monet fait face à sa grande verrière ouverte sur l’ouest, son visage apparaît avec netteté. Il a déposé les lunettes qui ne le quittent plus guère, dont l’un des verres est opaque. Il est chaudement vêtu : c’est le printemps, le temps des premières fleurs. Il en a prélevé quelques-unes et les a placées dans ces vases au col étroit qu’il aime. Je crois reconnaître des iris, de petits rameaux d’abricotier du Japon.

Le photographe pourrait-il être Nickolas Muray, qui signe de superbes portraits de Monet la même année, portant le même costume, dont l’un près des iris de son jardin d’eau ?

La pièce déborde d’objets. La surface du bureau est entièrement couverte d’un fourbi soigneusement arrangé de boîtes au contenu mystérieux, de journaux, cadres posés en équilibre, dont le portrait de l’artiste réalisé par Sacha Guitry en 1915, presque une mise en abîme. Dans l’angle, la petite pendule, un cartel, qu’on pouvait voir naguère dans la chambre de Monet. On aperçoit aussi la photo d’Alice et Lily Butler sur le pont japonais, la dernière image de l’épouse du peintre, qu’il voulait garder toujours sous les yeux.

Monet par Nadar

Monet par Nadar
Claude Monet par Nadar

« Est-ce que je suis bien comme ça ? » On imagine Monet interrogeant son épouse Alice, alors qu’ils se préparent tous deux à aller se faire tirer le portrait par Paul Nadar, le fils de Félix Tournachon, en décembre 1899. Voici le peintre sur son 31, astiqué jusqu’au dernier poil de barbe, avec la coupe autour de l’oreille parfaitement dessinée de celui qui sort de chez le coiffeur.

Monet par Nadar
Monet par Nadar

Monet n’en était pas à son premier portrait, puisque jeune homme il avait déjà posé devant l’objectif d’une autre célébrité de la photo, Etienne Carjat. Tout en s’avouant troublé par la très grande ressemblance, Monet est très satisfait des clichés pris par Nadar ; il va lui en commander des tirages pour en faire cadeau à ses proches, comme l’atteste la lettre qu’il adresse au photographe :

Lettre N° 1489 de Claude Monet à Paul Nadar

Giverny, 2 janvier 1900

Cher Monsieur Nadar,

Je vous remercie bien de l’envoi que votre lettre ne me faisait pas espérer. Nous sommes enchantés. Tout le monde trouve les épreuves de moi superbes, ainsi que les agrandissements qui sont bien un peu effrayants à cause de la si grande vérité.

Vous serez bien aimable de faire tirer comme c’est déjà convenu 12 portraits de ma femme, celui au chapeau, et 6 de l’autre, j’entends des grands et non les agrandissements bien entendu et sans aucune retouche, j’y tiens ; des miens également : 12 de celui de face, 6 de celui de profil des grands portraits, plus 12 de l’épreuve que je vous adresse par même courrier et qui est particulièrement ressemblant.

Tous mes compliments et félicitations, car je n’ai jamais vu d’aussi belles photographies.

Bien cordialement à vous,

Claude Monet

P.S. Vous recevrez ces jours-ci un croquis au pastel que j’ai fait mettre sous verre. Ce n’est qu’un simple croquis déjà un peu ancien, à titre de sympathique souvenir. Cl. M.

Monet et la banque

Monet et la banque
Ce bel immeuble se trouve place d’Evreux à Vernon, non loin de la gare. Au premier étage, un balcon court tout le long de la façade. Il y a un siècle, on pouvait y lire, en grosses lettres :
Monet et la banque

SOCIETE GENERALE. Les lettres se répétaient dans la rue d’Albufera, tandis que sur le pan coupé figurait le mot CHANGE.
Monet et la banque

Il me semble lire la date de 1933 sur la première carte postale, et les véhicules de la seconde ont bien l’air eux aussi de dater de l’Entre-deux-guerres. En 1933, Claude Monet est mort depuis à peine sept ans. A l’intérieur des locaux, il reste sûrement des guichetiers qui l’ont bien connu, car c’était là son agence bancaire.

En parcourant les cartes postales de Vernon mises en ligne par les Archives départementales de l’Eure, j’ai eu la surprise de tomber sur l’incroyable document qui suit, et qui nous fait pénétrer dans l’agence dès 1909, donc en plein à l’époque où le peintre la fréquente régulièrement.

Monet et la banque

Cela a tout l’air d’être une photo plutôt qu’une carte postale. Cette fois, on y est, avec tous ces messieurs qui se sont interrompus dans leur travail et fixent le photographe comme ils devaient fixer Monet quand il pénétrait dans les locaux.

Michel de Decker, biographe vernonnais de Monet, (Claude Monet, Perrin) a recueilli et publié dans son ouvrage le témoignage de l’un des anciens employés de l’agence : selon Marcel Roncerel, l’arrivée de Monet suscitait toujours un certain émoi car il détestait attendre. Il frappait le sol de sa canne ou en faisait des moulinets. Monet déposait de grosses sommes d’argent qui interloquaient les guichetiers par leur montant et leur origine.

Une première allusion à la possession d’actions apparaît dans une lettre de 1888, dix ans seulement après les vaches très maigres de Vétheuil. Ce portefeuille va se développer à mesure que Monet augmente ses prix et que les amateurs recherchent ses toiles. Marianne Alphant (Claude Monet, une vie dans le paysage, Hazan) fait la liste des titres qu’il possède en 1913 : Sucreries d’Egypte, Obligations bulgares, argentines, japonaises, russes, Chemin de Fer de Sao Paulo, Banque russo-asiatique, Magasins du Printemps, Port de Para, American Telegraph-Telephone, Brazil Railway, Compagnie Lorraine d’Electricité, Colonisation du Japon, Tramways Parisiens… Ouf !

Il a 72 ans. Vendre n’a plus de sens. Autant il bataillait sur les prix quand il avait une famille nombreuse à nourrir, autant il n’a plus besoin de recevoir de l’argent en échange de ses tableaux maintenant. C’est à cette époque qu’il se met à donner des toiles ou des pastels pour des ventes de charité ; on n’arrête pas, d’ailleurs, de le solliciter. En point d’orgue, le majestueux don des Grandes Décorations à l’Etat français ira de soi.

Giverny en 1974

Giverny en 1974
Bülent Ecevit Monet House visit, April 1974 – (Photo Gülgün Üstündağ Flickr The commons)

Ma première réaction a été que ce jardin, présenté comme celui de Monet, était une copie, un parc dans l’esprit de Giverny. Puis j’ai vu la date : avril 1974, et d’un seul coup cette photo a pris un tout autre sens et un très grand intérêt.

Le problème, c’est que, une fois passée la légende en anglais, le commentaire disait ceci :

Başbakan Bülent Ecevit, Nisan 1974’te, Fransa Cumhurbaşkanı Pompidou’nun cenaze törenine katılmak üzere Başbakan Yardımcısı Necmettin Erbakan ve Milli Savunma Bakanı Hasan Esat Işık’la birlikte Paris’teydi.

Etc, etc, pendant des lignes. Je n’arrivais même pas à savoir quelle langue c’était.

Heureusement, nous vivons une époque formidable, et voici ce que donne la traduction automatique avec détection de la langue, en l’occurrence le turc :

Le Premier ministre Bülent Ecevit était à Paris avec le vice-Premier ministre Necmettin Erbakan et le ministre de la Défense nationale Hasan Esat Işık pour assister aux funérailles du président français Pompidou en avril 1974. Après la cérémonie, ils se sont rendus dans la ville de Giverny, où se trouvent les jardins de Monet. La délégation était accompagnée de Bernard Berche, maire de Giverny, également agriculteur, et des jardiniers, Monsieur Blain et Jean-Marie Toulgouat, qui s'occupent des jardins. On dit qu'ils étaient très gênés devant cet élégant premier ministre de Turquie, qui parlait un anglais parfait, à cause des jardins négligés. La maison et les jardins de Monet, qui ont été réparés et ouverts au public à la fin des années 1970, accueillent environ un million de visiteurs par an. On estime que les photographies ont été prises par Gülgün Üstündağ.
Giverny en 1974

Bülent Ecevit, Monet House visit, Paris, April 1974 – (Photo Gülgün Üstündağ Flickr The commons)

Les obsèques officielles du président Pompidou ont eu lieu le 6 avril 1974, voilà donc une date possible pour ces photos. Je suppose que l’homme en tablier est M. Blin, l’unique jardinier, car on ne peut pas considérer Jean-Marie Toulgouat, descendant des Hoschedé-Monet, comme tel. La Fondation Monet a ouvert au public en 1980, après une restauration qui a débuté en 1974. Nous avons donc ici un témoignage de l’état du jardin d’eau juste avant la restauration, dans toute l’authenticité de ce qui pouvait subsister du jardin originel, qui n’était bien entendu pas du tout adapté à l’ouverture au public.

Que voit-on ? Sur la première photo, comme au temps de Monet des berges engazonnées et des planches en guise de petits ponts, de grand arbres qui ferment le jardin à l’Est, le vieux saule, un cerisier du Japon, des pétasites le long du Ru ; une eau qui paraît très marron et envasée. Sur la seconde photo, une glycine volubile au-dessus d’un pont où la délégation n’hésite pas à s’aventurer. On note aussi le gris-bleu de la peinture, la même pour les garde-corps du pont et la porte du jardin. De l’autre côté de la route, on aperçoit le muret et la grille qui entourent le clos, derrière lesquels se dressent quelques arbres.

Un seul regret, ne pas en voir davantage, notamment côté maison… Si Gülgün Üstündağ a fait d’autres photos ce jour-là, comme on aimerait les découvrir !

Monet dans son atelier

Monet dans son atelier
Claude Monet dans le grand atelier de Giverny en 1926, Agence Meurisse
gallica.bnf.fr, Bibliothèque nationale de France

La pose est calculée pour être avantageuse et donner le change : Monet est assis dans le canapé de son grand atelier, jambes croisées, les doigts de la main gauche glissés dans la poche, et il fixe l’opérateur.
Il porte un beau costume d’hiver agrémenté d’une pochette qui dépasse juste ce qu’il faut, tout comme les poignets plissés de sa chemise. De la barbe impeccable aux souliers bien cirés, on sent qu’il a soigné sa mise dans la perspective de la photo. A 85 ans, il donne l’image d’un beau vieillard en pleine possession de ses moyens.

Dans la main droite, il tient une cigarette. Combien en a-t-il fumé depuis sept décennies ? Avec ses dizaines de milliers de soeurs, elle va le tuer dans quelques mois.

Monet s’est-il demandé comment le photographe allait cadrer ? S’est-il douté qu’il voudrait immortaliser, en même temps que l’artiste, son oeuvre ? Deux panneaux des Grandes Décorations forment un arrière-plan superbe au maître de Giverny. Sur la droite de l’image, on aperçoit une table basse destinée à recevoir le matériel de peinture, disposé avec le soin d’un artisan de l’art méticuleux. C’est presque une nature morte, bouteilles et grand pot qui contient les pinceaux, et surtout la palette, maintenue en équilibre par trois brosses glissées dans le trou pour le pouce. Cela sent l’astuce de pro. Monet veut-il ainsi mettre à part celles qu’il a sélectionnées dernièrement, pour ne pas avoir à les rechercher au milieu des autres ?

Et puis, en regardant bien, l’image si parfaite se fissure. Des briquettes de charbon et du petit bois pour allumer le poêle sont posés sur le bas de la desserte. Un thermomètre trône sur le dessus, signe d’une nouvelle préoccupation pour la température. Un tas de vêtements chauds jonche le canapé. Monet est devenu frileux. Il est loin le temps où il peignait dans la neige en Norvège, bravant le froid. C’était trente ans plus tôt…

Enfin, sur cette même desserte, Monet a posé ses lunettes. A l’envers, sans les replier, lui si soigneux : comme quelqu’un qui n’est pas habitué à en porter. On distingue un verre sombre et un verre clair. Il les a retirées parce qu’il sait qu’il n’est pas photogénique avec, une coquetterie dont on lui sait gré.

Sans lunettes, il ne voit sans doute pas la grande trace d’humidité qui s’est formée sur le mur du fond de l’atelier, due à une fuite de la verrière dissimulée par le velum. De quoi être contrarié, le bâtiment a tout juste dix ans. Le canapé (qui n’a pas l’air d’être celui de la limousine) montre lui aussi des traces d’usure.

L’image dit la fuite inexorable du temps, face à l’éternelle jeunesse des Nymphéas.

Sur le quai de la gare

Sur le quai de la gare

La gare de Vernon a été rebaptisée récemment Vernon-Giverny. Si vous prenez le train en direction de Paris, il faut vous placer sur ce quai. Pour aller vers Rouen et Le Havre, c’est en face. Cette partie de la ville n’a pas beaucoup changé depuis l’époque où Monet circulait à bord d’un train tiré par une locomotive à vapeur.

Sur le quai de la gare

A l’époque, il existait une correspondance à Vernon, comme l’indique le panneau « Embranchement de Gisors à Pacy ». On pouvait prendre le petit train qui desservait la vallée de l’Epte, et dont l’une des premières haltes était Giverny. A condition de ne pas être trop pressé. Quand on possédait une belle bicyclette comme le voyageur de gauche, c’était plus vite fait à vélo.

L’allée centrale en photos

L'allée centrale en photos
L'allée centrale en photos
L'allée centrale en photos
L'allée centrale en photos
L'allée centrale en photos

L’allée centrale du jardin de Claude Monet était l’un des éléments les plus photographiés de sa résidence de Giverny du vivant du peintre, déjà. La comparaison des photos anciennes permet de suivre l’évolution de cette grande allée.

Sur la première, qui appartient au fond d’archives du musée Marmottan-Monet, les épicéas donnent un aspect forestier au chemin. Les floraisons s’étirent en bandes parallèles sur trois hauteurs. Les capucines rampantes dessinent des vagues sur le gravier.

La deuxième et la troisième photo dévoilent l’installation d’arceaux métalliques. Un arbre sur deux a été abattu.

Sur la quatrième photo, on voit que Monet a décidé d’étêter les arbres restants. Les troncs servent de support à des rosiers grimpants. C’est une vue printanière, les capucines dépassent à peine des bordures. De grosses touffes de pivoines marquent les pieds des arceaux.

La dernière photo est à nouveau une vue de fin d’été. Les troncs ont été éliminés et remplacés par des arceaux, donnant à l’allée l’aspect qu’on lui connaît encore aujourd’hui.

L'allée centrale en photos

Le vieux moulin de Vernon

vieux-moulin

Voici une photo peu connue du Vieux Moulin de Vernon que j'ai dénichée dans une brocante. Selon l'historien local Jean Baboux à qui j'ai demandé d'expertiser ma trouvaille, elle a été prise dans les années 1930, au moment où le moulin appartenait à un Américain, Mr Griffin.

(suite…)

Blanche Monet et Georges Clemenceau

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Cette femme qui caresse doucement l'âne sans se soucier du photographe ni du Père la Victoire, c'est Blanche Monet, l'épouse de Jean Monet, fils de Claude.

(suite…)

La maison du passeur

La maison du passeur, bas-relief, VernonDe cette maison il ne reste plus que le bas-relief qui ornait la porte. Ces enfants nés avec le siècle ne sont probablement plus non plus : la carte est oblitérée 1907. La sculpture elle-même, assez abîmée, a été appliquée sur un mur près de l’embarcadère de Vernon.
Les avis divergent sur la fonction de la personne qui logeait dans cette maison. Au moment où je me documentais pour le livre sur Vernon, j’avais lu qu’il s’agissait du clerc de l’eau, le responsable de la manoeuvre de passage sous le pont par les bateaux halés. Mais j’ai rencontré aujourd’hui un éminent historien local, Jean Castreau, qui pense que c’est plutôt la maison du passeur. Car il n’y a pas toujours eu un pont en état d’être traversé à Vernon. Dans les périodes où le délabrement de l’ouvrage empêchait de s’en servir, il fallait recourir aux services d’un passeur.
On reconnaît bien, en tout cas, le type de bateau représenté. C’est une besogne de Seine, longtemps construite avec des planches qui se recouvrent qu’on nomme des clins, et pourvue d’un gigantesque gouvernail. Celui-ci, précise Jean Castreau, ne fonctionnait que dans le sens de la montée, quand le bateau était halé. A la descente au fil de l’eau, le gouvernail ne servait à rien. C’étaient des barques en remorque qui permettaient de diriger le bateau.
Le halage se faisait avec des cordes accrochées au mat. Il fallait des chevaux très robustes pour tirer ces lourdes besognes, qui transportaient jusqu’à 400 tonnes.
Les besognes ont sillonné la Seine du 18e au milieu du 19e siècle. Le style renaissant de la sculpture est donc un pastiche plus tardif.
La maison, située à proximité du pont sur la Seine, a été détruite par les bombardements de la Seconde Guerre mondiale. Les ruines ont été nivelées à coup de bulldozer lors de l’aménagement du pont flottant par les troupes britanniques. Mais quelqu’un s’est avisé de la présence d’un élément décoratif intéressant et l’a mis de côté. Il ne s’agissait alors que de la moitié du bas-relief. L’autre avait été poussée dans la Seine par l’engin de terrassement.
Après la Libération, le demi bas-relief rescapé a été placé dans une façon de niche sur un mur voisin. Et puis, plusieurs années plus tard, des dragages ont été effectués dans la Seine. Hasard heureux, on a retrouvé l’autre moitié de l’oeuvre. L’assemblage des deux éléments sur le mur a été fait si habilement que je n’avais jamais remarqué l’existence d’une cassure.
En tout état de cause, il paraît difficile d’imaginer que le bas-relief illustre la légende de Saint Adjutor, même si le passeur tout comme le clerc de l’eau se plaçaient forcément sous sa protection. Adjutor, patron des bateliers, avait utilisé une petite barque pour aller calmer un tourbillon de la Seine, et non pas une besogne.

L’amidon Rémy

L'amidon Rémy
Carte postale ancienne présentant l’Epte et l’entrée du marais à Giverny en été. La courbe de la rivière matérialisée par la rangée d’arbres autour d’une vaste surface dégagée ressemble beaucoup au paysage des Patineurs de Monet.

Qui se sert encore d’amidon aujourd’hui ? Personne. Tout le monde. A l’époque de cette carte postale, l’amidon servait à amidonner le linge, c’est-à-dire à le protéger des salissures et, selon que le vêtement une fois trempé dans un bain d’amidon était repassé humide ou sec, à le rendre rigide ou au contraire souple et doux. Cette pratique a été délaissée depuis les machines à laver. Mais l’amidon occupe en toute discrétion une très grande place dans notre alimentation car il entre dans la composition de nombreux mets issus de l’industrie agro-alimentaire.
En France, l’amidon est surtout tiré du blé. Mais pour le repassage, le fin du fin, c’est l’amidon de riz, commercialisé par la marque Remy, une maison belge fondée en 1855 par Edouard Remy, et qui est restée propriété de la famille Remy jusqu’en 1970. En cherchant bien, on en trouve encore.
Le portail Joconde des collections des musées de France présente une amusante affiche ancienne où l’on voit un pierrot tout blanc passer de l’amidon sur le visage d’un petit ramoneur, sous le titre de Amidon Remy, Gaillon (Eure). Je suppose que tel est l’épilogue de l’histoire qui a tourné le sang de Claude Monet en 1895. Remy est allé s’implanter à Gaillon, près de la Seine, à une vingtaine de kilomètres de Giverny.
Mais il n’a tenu qu’à un fil que l’usine ne s’installe au bord de l’Epte à Giverny, car le maire y était favorable. L’industrie, l’emploi, le progrès, il voyait cela d’un très bon oeil, mais pas d’un oeil de peintre, cela va de soi. Pour Monet au contraire c’était une catastrophe qui allait défigurer son paysage chéri.
Le peintre qui n’est plus dans le besoin propose sans succès d’acheter le marais à la commune. Il a finalement gain de cause avec l’appui du préfet de l’Eure quand il offre un don de 5500 francs en vue d’assainir le marais contre l’engagement de la commune à ne pas le vendre pendant 15 ans.
L’assainissement sera réalisé sous forme d’un gros tuyau qui passe sous l’Epte et permet aux eaux du marais de se déverser près du moulin de Cossy. C’est j’imagine la raison pour laquelle le lieu dénommé le marais, s’il reste une zone imperméable et humide, n’est plus guère submergé aujourd’hui.

La ligne de chemin de fer à Giverny

Gare de GivernyDe gauche à droite, la locomotive à vapeur stationnée devant la gare de Giverny, le pont sur l’Epte et le moulin

L’un des attraits de Giverny, qui a scellé son succès auprès des peintres impressionnistes, est d’avoir été accessible par le train.
La première ligne ferroviaire de France entre Paris à Rouen dessert Vernon dès 1843. Un quart de siècle plus tard, les grandes lignes établies, on s’occupe d’en construire des petites, tout un réseau de voies secondaires qui s’enfonce profondément dans la campagne.
Giverny est accessible en train dès le 15 juillet 1869, date de l’inauguration du tronçon Gisors – Gasny – Giverny – Vernonnet.
Puis un pont ferroviaire métallique est construit au-dessus de la Seine, à Vernon, et ouvert au trafic le 15 mai 1870. Il subsiste des traces de cette voie ferrée près de l’ancienne caserne, de part et d’autre de l’avenue de Rouen.
La guerre franco-prussienne freine à peine les travaux de construction de la ligne, qui s’étend jusqu’à Pacy-sur-Eure à partir du 1er mai 1873.

Quand Monet arrive à Giverny, exactement dix ans plus tard, il peut donc très facilement se rendre à Paris, à Rouen, à Dieppe, ce qu’il ne manquera pas de faire tout au long de son séjour dans le village.
Il pourrait tout aussi bien explorer les paysages verdoyants de la vallée d’Eure en vue de motifs à peindre. Mais apparemment cela ne l’a pas tenté, pour une raison inconnue.

Le déclin de la ligne ferroviaire Gisors-Pacy s’amorce quelques années après la mort du peintre. Le tronçon vers Pacy est fermé au trafic voyageur en 1939, et on ne peut plus prendre le train en gare de Giverny à partir du 1er mars 1940.
Le pont ferroviaire, détruit pendant la guerre, ne sera pas reconstruit. Des trains de marchandises circulent encore jusqu’au 1er juillet 1964 de Gasny à Vernonnet, et puis c’est vraiment fini. On démonte la voie en 1970. Elle deviendra une voie verte quelques années plus tard.

Source : comité d’usagers de l’Ouest francilien

Photo de Monet

Photo de Monet par Lilla Cabot Perry, vers 1899-1909, Smithsonian InstitutionLe très officiel institut fédéral de recherches américain Smithsonian Institution rassemble des archives immenses, y compris sur des personnalités artistiques. Dans ses collections se trouvent quinze clichés pris par Lilla Cabot Perry, la voisine de Claude Monet, pendant ses séjours à Giverny.
En cliquant sur le lien, vous pourrez voir et agrandir ces photos uniques. Celle-ci, par exemple, a dû être prise au bout du bassin, au niveau de la vanne qui permettait de faire entrer l’eau du Ru dans l’étang. On reconnaît à l’arrière-plan la colline de Giverny.
Monet, bien campé dans ses bottes, a encore la barbe noire. La photo n’est pas datée. Le Smithsonian propose une fourchette entre 1899 et 1909. Monet a au moins 58 ans.
Son regard se perd hors champ. Réflexe de peintre, Monet a pris la pose de trois-quart face qui est celle des portraits peints. Sur la photo suivante, il présente son autre profil.
Dans ses mains, un papier, et son éternelle cigarette. Chemise raffinée, volant le long de la patte de boutonnage. Quel jour est-on ? Dimanche ?
Le chemin au tracé moins net qu’aujourd’hui est bordé de végétation. Sur la berge très étroite à cet endroit, on reconnaît des iris et des papyrus, marque du goût de Monet pour les plantes exotiques. Et juste derrière Monet, l’un des saules à osier si courants dans la région. Il y en a toujours un aujourd’hui, mais un peu plus à gauche.

Cartes postales anciennes

Cartes postales anciennesLes archives départementales de l’Eure ont fait l’effort de scanner un très grand nombre de cartes postales anciennes : 27000 à ce jour, on dirait le code postal d’Evreux, un chiffre symbolique. Les cartes sont non seulement numérisées, mais aussi classées et taguées pour faciliter les recherches par critères.
La production de cartes a été tellement considérable au début du siècle dernier qu’il ne s’agit évidemment pas de la totalité de celles qui existent. Mais on en a tout de même un large panel.

La recherche sur Giverny livre 90 vues. Bien que propriété privée, les jardins de Monet existaient déjà en cartes postales. On y trouve quelques-unes des vues classiques de la grande allée, à l’époque où elle était encore bordée d’épicéas, entiers, puis tronqués.
Impossible de savoir quand la photo a été prise. Les archives ont omis de préciser si la carte avait circulé, et quand. On aurait aimé voir le verso. On aurait aussi aimé pouvoir zoomer davantage. En dépit de ces petites restrictions, tel qu’il est, ce fonds est un cadeau phénoménal offert au public.
C’est émouvant de se promener dans les images des villes et villages d’hier, dans ces vues noir et blanc ou sépia où l’on reconnaît les monuments, inchangés, mais où les personnes mènent une vie qui n’est plus la nôtre.
Les lavandières battent le linge, les fermières traient les vaches, les passagers vont monter dans le train à vapeur. Tout ce monde porte des vêtements qui n’existent plus, s’embarrasse d’ombrelles, de cannes, de chapeaux.
A Giverny, les photos restituent les meules de blé, comparables à celles de Monet, de Blanche Hoschedé-Monet, de John Leslie Breck.
Des vues de rangées de peupliers, qu’on élaguait à l’époque aussi haut que possible pour en tirer des fagots, corvée d’un temps où il fallait faire feu de tout bois.
Et des vues des bords de l’Epte à n’en plus finir, comme si les photographes avaient succombé à la même fascination que les peintres de la colonie américaine de Giverny, dont c’était le motif de prédilection.

Le jardin d’eau dans l’Illustration

Le jardin de Claude Monet à Giverny, Illustration du 15 janvier 1927Ce cliché de 1923 ou 1924 montre le jardin d’eau de Monet à l’époque ou le peintre finalise les Grandes Décorations de l’Orangerie.
Le photographe, que le journal ne nomme pas, s’est placé sur le pont japonais pour saisir une vue d’ensemble du jardin d’eau, tout en évitant de se laisser distraire par la glycine, ni par le parapet.
La couleur verte règne en maître, d’autant plus que des pelouses s’étendent tout autour du bassin, là où se déploient aujourd’hui des massifs de fleurs aux couleurs vives ou tendres.
Les berges paraissent un peu nues, elles sont beaucoup plus plantées de nos jours, avec une succession d’arbustes.
En revanche, le frêne qui poussait au bord de l’eau n’existe plus, et le tronc de droite qui paraît couvert de lierre a lui aussi disparu.
Sur l’eau, la similitude est totale. Aujourd’hui comme hier on retrouve les mêmes taches de nénuphars et on voit très bien ici leur alignement suivant des lignes obliques.

Photo extraite de L’Illustration du 15 janvier 1927

Monet dans l’Illustration

Claude Monet à Giverny, Illustration du 15 janvier 1927Il y a tout juste 85 ans, le 15 janvier 1927, l’hebdomadaire l’Illustration consacrait un reportage posthume à Claude Monet, décédé un mois plus tôt à Giverny. Fidèle à sa réputation, le magazine publiait quatre grandes photos prises dans les jardins du peintre, dont deux magnifiques vues en couleurs.
Vous jugerez si le vert des volets correspond au vert actuel, sempiternel débat, mais aussi de la fidélité avec laquelle ce coin de jardin se trouve restitué aujourd’hui. Je crois que la seule différence notable est l’absence des haricots d’Espagne qui s’élançaient à l’assaut des tuteurs. Selon le chef-jardinier, c’est parce que ces fleurs ont une durée de floraison éphémère, et qu’il est plus intéressant de cultiver des grimpantes durables et spectaculaires. Ce sont entre autres des rosiers grimpants qui sont chargés de garnir les trépieds aujourd’hui.
Pour le reste, rien n’a changé. On a toujours ces deux couleurs de pélargoniums dans le premier massif bordé d’oeillets au feuillage argenté, et une seule teinte dans celui des rosiers en arbres, du rose pour s’harmoniser avec le rose des roses.
Sur la façade, la végétation proliférait à la fin de la vie de Monet, au point d’en paraître excessive. On se demande comment le Maître faisait pour fermer les volets de sa chambre. En avait-il, au fait, ou dormait-il sans pour mieux être réveillé par le point du jour ?
Et puis, figure dans le paysage, solidement posé exactement au milieu de la photo, voici Monet, tiré à quatre épingles. Chapeau de paille sur la tête, magnifique barbe blanche, veste claire avec ses éternels pans arrondis, fermée par le seul bouton du haut. Une main dans la poche, l’autre, la droite, une cigarette entre les doigts. Monet pose pour l’éternité, selon le mot de Philippe Piguet.

Du grain à moudre

Carte postale ancienne, Travaux des Champs à Giverny Cette photo est extraite de l’excellent petit recueil « Giverny en cartes postales anciennes » édité en 1992 par l’association les Amis de Giverny. On y parcourt tout le village à l’époque de Monet : c’est dire l’intérêt de ces documents.
Sur cette photo, donc, on peut observer les paysans de Giverny en train de façonner deux énormes meules dans le clos Morin, là-même où Monet a pris son motif pour la série des Meules quelques années plus tôt. On reconnaît à gauche la mairie de Giverny. Aujourd’hui, quand on se trouve au musée des Impressionnismes ou sur son parking, on est dans l’ancien clos Morin.
Ce qui frappe, c’est la dimension colossale de ces constructions éphémères. L’échelle est donnée par les deux hommes et par le cheval. La meule doit bien faire sept ou huit mètres de haut. Impressionnant, n’est-ce pas ?
L’autre aspect remarquable, c’est la netteté de la meule, sa structure architecturée. Pourquoi les agriculteurs se donnaient-ils tout ce mal ? Parce que c’était là leur trésor annuel, le blé de toute une saison.
Pour parler des toiles de Monet, il convient donc d’employer le terme de meules de blé (grainstacks en anglais) et non pas de meules de foin (haystacks). Je sais, la différence paraît un peu surréaliste aux citadins, si bien que j’avais eu déjà l’occasion de mettre les points sur les épis cet été. Mais la confusion ne date pas d’hier.
Dans « Claude Monet, ce mal connu« , Jean-Pierre Hoschedé s’étonne, à la lecture du catalogue de l’exposition Monet de 1952 à la galerie Wildenstein, de

l’ignorance de l’auteur qui, parlant de la série des Meules, appelle celles-ci « d’humbles tas de foin ». Qu’il sache donc que les meules peintes par Monet sont, non des « tas », mais de véritables constructions rondes ou carrées constituées, non par du foin, mais par des bottes de céréales, pas encore battues et justement mises en meule, encastrées les unes sur les autres, les épis tournés vers le centre, pour que les intempéries ne puissent atteindre le grain. Ces meules construites dès la moisson restent sur les champs ou près de la ferme dans l’attente des battages d’automne ou d’hiver. D’ailleurs, pour permettre cette attente, un véritable toit de chaume, un peu à la manière de celui des vieilles maisons normandes, les recouvre afin d’empêcher l’eau des pluies de pénétrer à l’intérieur de la meule.
Ces constructions deviennent rares, car les modernes moissonneuses-batteuses les rendent de plus en plus inutiles. D’autre part, rien qu’en regardant les Meules de Monet, on voit tout de suite que ce ne sont pas « d’humbles tas de foin », car ceux-ci, de dimensions réduites, toujours ronds, sont laissés simplement sur le pré, dès la fenaison, pour être rentrés le plus vite possible à la grange ou à l’étable. Excusez ce cours à l’usage des citadins ignorants de la campagne. »

Explication limpide ! Jean-Pierre Hoschedé m’est très sympathique dans ce passage, par ses talents de pédagogue, son agacement devant ce qu’il perçoit comme de la condescendance parisienne, son attachement au monde rural et son admiration pour le savoir-faire des cultivants… Il est peut-être né dans un milieu bourgeois, mais il a grandi et vécu toute sa vie à Giverny.
On comprend bien, en le lisant, les raisons qui ont poussé le propriétaire des meules peintes par Monet à vouloir les démonter au cours de l’hiver. Il y a un calendrier à respecter à la campagne, un temps pour faire les choses, et un temps où il faut qu’elles aient été faites.
Ce paysan voulait-il vraiment nuire à Monet, comme on le présente assez systématiquement dans l’histoire de l’art ? Je suis sceptique. Ce n’est pas totalement impossible, mais ce n’est pas certain non plus, pour faire une réponse de Normande.
Et je ne suis pas sûre non plus que Monet ait jugé utile de lui demander la permission de s’installer dans son champ. Tel que je m’imagine Monet, il devait volontiers se comporter en terrain conquis. J’aurais été Givernoise à son époque, je crois que ça m’aurait énervée.

La crue de 1910

Crue de 1910 à VernonCentenaire oblige, on en parle partout, et la mairie de Vernon, entre autres, lui consacre une exposition : la crue de la Seine a atteint son paroxysme le 1er février 1910, à 7,11m.
Au lieu de couler paisiblement au pied de la colline à droite sur la photo, le fleuve a, pendant plusieurs jours, empli à nouveau sa vallée.
Après une première décrue, l’eau est remontée à la mi-février, coupant Giverny du monde jusqu’au début mars.
Le cataclysme a été largement documenté : c’est l’âge d’or des cartes postales. Celle-ci montre la route de Giverny envahie par les eaux. Ma maison a les pieds mouillés.

A Giverny, tout à fait à gauche sur la photo, le jardin de Monet est submergé.

L’eau monte jusqu’à mi-hauteur de l’allée centrale, détaille Daniel Wildenstein, et les berges du bassin aux nymphéas disparaissent sous les eaux, d’où le dos-d’âne du pont japonais émerge à grand-peine.

Pour le peintre, la désolation est totale.

En parfait égoïste, je ne pensais qu’à mon jardin, à mes pauvres fleurs que voilà souillées de vase.

Monet se rachète bientôt de son « égoïsme » : il donne une belle toile de Londres comme lot à une tombola organisée par l’Académie des beaux-arts en faveur des sinistrés des inondations.
Quand la Seine se retire enfin, les dégâts dans son jardin sont importants, mais pas irrémédiables. Monet doit remplacer les végétaux arrachés ou détruits par les eaux. Surtout, il lui faut remodeler les berges du bassin, qui prend cette fois sa forme définitive.
Depuis, l’eau a plus d’une fois fait des incursions dans le jardin aquatique de Monet. Les crues décennales envahissent régulièrement les terres situées dans la plaine devant la colline de Giverny, sans qu’elles aient atteint jusqu’à présent la hauteur historique de la crue centennale.

Le jardin de Monet en 1961

Le jardin de Monet en 1961Le jardin de Monet en janvier 1961, photo Albert Pillon

En janvier 1961, voici comment se présentait le jardin d’eau de Claude Monet à Giverny, trente-cinq ans après la mort du peintre.
Cette photo d’un grand intérêt documentaire a été prise par Albert Pillon, un Givernois émigré au Québec cinq ans plus tôt. Lors d’une de ses visites dans son village natal, il a pensé à fixer sur la pellicule le fameux bassin aux Nymphéas, motif préféré du chef de file de l’impressionnisme.

Si vous agrandissez la photo, vous pourrez apercevoir les arceaux de l’embarcadère aux rosiers, à peu près au milieu du cliché. Ils permettent de situer l’angle de prise de vue et de comparer avec la restitution actuelle du jardin. Le pont, les bambous, le hêtre pourpre sont hors champ sur la droite.
Certes, c’est l’hiver, une époque où la végétation s’efface, mais le jardin paraît net et entretenu. On est loin de la jungle impénétrable, du bassin partiellement comblé, à l’eau noirâtre, que décrira Gérald van der Kemp quinze ans plus tard.
Les arbres échevelés qui se mirent dans l’étang ont l’air d’être des saules, aucun d’eux n’a survécu jusqu’à aujourd’hui. Mais un saule pleureur se devine sur la gauche, ainsi que des rosiers. Le jardin lui-même donne une impression de vide et de simplicité, loin de l’opulence actuelle.
La petite clôture de barbelés bien symbolique ne dissimule rien au regard des promeneurs qui se tiennent sur le talus de chemin de fer, une disposition fidèle à l’esprit de Monet.
J’imagine les passants de 1961, ceux qui croient apercevoir une banale mare de campagne, et ceux qui savent qu’ils ont sous les yeux le motif d’innombrables chefs-d’oeuvre.
Suspendu entre ce qu’il a été et ce qu’il va devenir, l’étang a déjà en lui ce magnétisme qui attirera bientôt des millions d’admirateurs de tous les coins de la planète.

Monet et Clémentel

La grande allée du jardin de Monet, photo Etienne ClémentelOn trouve des documents incroyables sur le net, par exemple cette photo couleurs de la grande allée du jardin de Monet à son époque, plus exactement un autochrome pris par Etienne Clémentel.
Cet homme politique proche de Georges Clemenceau avait une passion pour les arts et la photographie. Il a utilisé la technique de l’autochrome pour prendre plusieurs vues du jardin de Monet, dont l’une, où Monet pose devant sa maison, est très célèbre.
Ce cliché-ci est moins connu mais tout aussi captivant. Clémentel s’est placé dans le clos normand en bas de la Grande Allée. Les épicéas sont encore là, mais Monet a déjà fait installer les arceaux pour les rosiers. Malgré l’opposition d’Alice qui veut conserver les arbres il ne tardera pas à étêter les conifères.
On a ici une idée de l’ombre qui régnait dans cette allée, de l’impression de chemin forestier qu’elle pouvait donner. Monet a voulu changer ce style. Il a opté pour une impression de tunnel qui démarre devant la maison par une pergola, se poursuit sous les arceaux de la grande allée puis, de l’autre côté de la route, avec le pont japonais recouvert d’une glycine pour finir sous le couvert des bambous et du hêtre pourpre.
Les massifs de fleurs travaillés en taches de couleurs claires ont été conçus pour éclaircir l’ombre des épicéas.
Je n’ai pas trouvé la date à laquelle cette photo a été prise. Je me demande si Monet a attendu la mort d’Alice pour couper ses arbres ou si c’est elle qui a fini par céder, en femme intelligente.

Photo de famille

Famille de MonetAimez-vous feuilleter les albums de photos de famille anciens, ceux qui datent de bien avant votre naissance ? Quand les tirages étaient minuscules mais nets, au temps du noir et blanc ou du sépia.
Même en se faisant aider d’une personne de la génération précédente, le mystère plane souvent sur les clichés. On scrute les visages, les coiffures, les vêtements. On essaie de deviner qui cela peut bien être. Les photos intriguent. On pressent que tous les objets entrevus ont une histoire, mais plus personne n’est là pour la raconter.
C’est un paradoxe que de pouvoir examiner chaque détail, chaque expression des personnages à l’instant de la prise de vue, mais de ne rien savoir de ce qu’eux connaissaient parfaitement, le nom des gens qui les entourent, la date et l’heure, le lieu, la raison d’être de ce cliché… Qui a dit « et si on prenait une photo ? » Qui s’est placé derrière l’objectif ? Que ressentaient ceux qui posent à cet instant ? Quel lien d’affection ou d’animosité les unissait ?
C’est le vertige du temps qui passe que la photo révèle en nous laissant entrevoir un instant d’autrefois suspendu, figé jusqu’à ce que le support de la photo se détériore. Petit voyage dans le passé qui nous trouble et nous fascine.

J’ai découvert au détour d’un livre en allemand, Monets Garten (Hatje Cantz Verlag) cette photo conservée… au musée de Vernon. L’auteur suppose qu’il s’agit des quatre filles d’Alice Hoschedé, la seconde femme de Claude Monet. Entre nous je leur trouve l’air un peu décontracté, à ces demoiselles, et pour tout dire presque avachi. Mais leur attitude montre toute l’entente qui devait régner entre elles.
Le monsieur debout qui ressemble tellement à Monet pourrait être son frère aîné Léon, qui habitait à côté de Rouen. La dame assise devant lui serait-elle son épouse ? Et l’autre qui a l’air de se cacher / respirer un bouquet de fleurs / se moucher, qui est-elle ?
Le cadrage est large. On voit des fauteuils vides sur la gauche. Ils étaient sans doute occupés l’instant précédent, avant que tout le monde ne se rassemble pour faire face à l’objectif.
Surtout, il y a les tableaux. L’auteur du livre les analyse comme la collection personnelle de Monet, accrochée, selon lui, dans le salon.
Monet possédait beaucoup de tableaux de ses amis peintres, cadeaux, achats, échanges avec Renoir, Pissarro, Cézanne, Sisley, Berthe Morisot, Corot, Jongkind, Caillebotte, Boudin… D’autres auteurs affirment que cette collection était exposée dans sa chambre à coucher, trente-cinq toiles qui devaient la tapisser entièrement.
Je ne sais pas qui a raison. Mais j’ai bien regardé à Giverny, aucune pièce ne m’a paru correspondre à cette disposition des fenêtres. Alors, c’est où ? Quels sont ces tableaux ? Qui sont tous les personnages ?
Derrière son apparente netteté, cette photo garde autant de mystère qu’une vue de Vétheuil dans le brouillard.

Massif de géraniums

massif de géraniums et de roses dans les jardins de Monet à Giverny La photo numérique ci-contre, prise cet été devant la maison de Monet à Giverny, me fait penser à l’autochrome de 1923 ci-dessous. Le peintre se trouve dans son jardin, entre deux massifs de fleurs. Sa main qui tient la cigarette reste en suspens pendant le temps de pose prolongé.
On possède plusieurs photos couleur des jardins de Monet. Elles ont le charme inimitable des autochromes, un procédé inventé par les frères Lumière au début du siècle pour capturer la couleur sur des plaques de verre recouvertes de fécule de pomme de terre.
A gauche de Monet, des rosiers taillés en arbres dominent un massif de géraniums (ou de pélargoniums si vous préférez). A droite, des tuteurs de bois servent de support à des plantes grimpantes rouges, sans doute des haricots d’Espagne. A leur base s’étend un massif de pélargoniums roses et rouges bordé de plantes à feuillage gris, peut-être des oeillets.
Monet dans son jardin à Giverny vers 1923, autochromeQuand, à la fin des années 70, il a fallu recréer les jardins retournés à l’état de friche, les jardiniers se sont appuyés sur les photos d’époque, les souvenirs des visiteurs contemporains et des documents d’archives. On peut voir ici avec quelle fidélité l’esprit des jardins de Monet a été restitué.

Cher lecteur, ces textes et ces photos ne sont pas libres de droits.
Merci de respecter mon travail en ne les copiant pas sans mon accord.
Ariane.

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