Le vernissage de l’exposition était fixé au 21 juin. C’était l’été 1889, celui de l’exposition universelle et de la Tour Eiffel. Monet et Rodin exposaient ensemble à la galerie Georges Petit.
Rien ne paraît plus naturel aujourd’hui que de voir réunis sur une même affiche ces deux monstres sacrés de la peinture et de la sculpture. Pourtant, en 1889, cela ne va pas de soi.
Monet et Rodin ont exactement le même âge : ils sont nés à deux jours d’écart, Rodin le 12 novembre 1840, Monet le 14. Ils s’estiment et ils s’admirent mutuellement. Mais leurs carrières parallèles ne se sont pas déroulées à la même vitesse. Rodin a démarré plus lentement, mais il a eu la chance de voir son talent reconnu très vite. Il est un artiste « arrivé », il reçoit des commandes officielles, il fait partie des jurys d’exposition.
En revanche, à 49 ans, Monet attend toujours son heure de gloire. Il est apprécié par un cénacle d’amateurs, soutenu par son marchand Paul Durand-Ruel, mais la critique et le public tardent à lui porter l’admiration qu’il mérite.
Rodin sert donc, un peu, de caution officielle à Monet dans la grande exposition projetée. Ce n’est pas une mince affaire. 36 Rodin voisineront avec 145 toiles de Monet. Oui, 145 ! Une énorme rétrospective de 25 ans de carrière qui restera sur les cimaises de la galerie Petit pendant trois mois !
Des semaines de préparation, des dizaines de lettres pour convaincre ses collectionneurs de prêter telle ou telle toile, et nous voici à la veille du grand jour. Rodin expose ses Bourgeois de Calais au complet pour la première fois.
Mais il attend la dernière minute pour les placer, et, aux yeux de Monet, le 21 juin, c’est une catastrophe :
Je suis venu ce matin à la galerie où j’ai pu constater ce que j’appréhendais, que mon panneau du fond, le meilleur de mon exposition, est absolument perdu, depuis le placement du groupe de Rodin. Le mal est fait… C’est désolant pour moi.
Les sculptures de Rodin le sculpteur reconnu font de l’ombre aux oeuvres de Monet, qui une fois de plus est en proie au doute. Arrivera-t-il à convaincre cette fois-ci ?
Monet a vu juste. La presse fait la part belle aux oeuvres de Rodin, mais se montre moins diserte et moins unanime sur les siennes. Il faudra attendre encore un an et le choc des Meules pour faire enfin taire les donneurs de leçons.
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