Claude Monet, la Maison du douanier, effet rose, 1897, huile sur toile, collection particulière. Cette bâtisse n’était pas une garçonnière, cela va sans dire.
Un des préjugés du 19ème siècle était que les garçons avaient besoin de moins de confort que les filles, et cette opinion a perduré une bonne partie du 20e. A Giverny, les jeunes filles Hoschedé avaient leurs chambres au-dessus de la cuisine, tandis que les garçons devaient gravir un étage de plus pour aller dormir sous les combles, très froids en hiver, très chauds en été.
Cet inconvénient était partiellement compensé par l’avantage de ne pas être juste sous le nez des parents. « C’était leur garçonnière ! » s’est exclamé un de mes clients américains, en français dans le texte.
C’était drôle d’entendre ce mot aimablement libertin appliqué au dortoir des jeunes Monet-Hoschedé sous le toit parental, où Alice devait faire régner la plus stricte moralité.
Le mot français a traversé les océans pour accoster en Louisiane. Tout en gardant sa connotation, il s’est adapté aux us et coutumes locaux.
A l’époque de Monet, les aïeux de ce visiteur de Giverny possédaient une vaste plantation près de la Nouvelle Orléans, où ils cultivaient le coton, la canne à sucre et l’indigo. « La garçonnière désigne une petite maison à l’écart de l’habitation principale, où les jeunes gens de la famille pouvaient rencontrer des esclaves. »
Brrr ! La définition m’a fait l’effet d’une douche glacée. C’était dit sans porter de jugement, sans affect. Et bien sûr ce monsieur était aussi innocent que moi des viols commis dans le passé. Mais en l’écoutant me délivrer cette information, j’ai pris conscience du fait que l’esclavage était pour lui quelque chose de concret, et d’abstrait ici.
Et puis, comment dire ? Difficile de ne pas ressentir un certain malaise. Tant d’années plus tard, quel poids portons-nous encore des exactions de nos ancêtres ?
Le terme de "garçonnière" est employé actuellement pour désigner une chambre tout confort ou un studio pour un jeune homme afin qu’il soit libre d’aller et venir sans déranger les parents. C’est aussi le nom donné aux petits appartements des messieurs qui ont besoin d’un endroit discret… Cela se pratique également aux USA et je pense que votre américain a bien traduit sa pensée en employant le bon mot avec humour pour dire que les garçons Monet étaient à l’écart des parents et disposaient de plus de liberté ; je ne pense pas que nous devions faire allusion aux "garçonnières" du temps de l’esclavage.
Ce n’est peut-être pas très clair dans mon billet : c’est ce monsieur lui-même qui m’a expliqué ce que signifiait le mot pour lui.