Avec sa tête penchée qui paraît sur le point de choir, cette sphynge située dans le jardin de la maison Vacquerie à Villequier me fait penser à Léopoldine. Peu importe qu’elle n’ait sans doute qu’une vague ressemblance avec la fille de Victor Hugo, au visage fin et doux, lui aussi, selon les portraits d’elle qui nous sont parvenus.
Peu importe, car la légende et les idées reçues règnent en maître autour de sa fin tragique.
Nul ne l’ignore, Léopoldine s’est noyée dans la Seine le 4 septembre 1843, à Villequier, à 500 mètres de la maison de ses beaux-parents, dans le naufrage du bateau où elle avait pris place avec son mari.
L’histoire de ce fait-divers nous paraît familière à cause du poème si célèbre des Contemplations, « Demain dès l’aube… », où Victor Hugo, s’adressant à l’être aimé, lui décrit le pèlerinage qu’il va entreprendre le lendemain pour se rendre, on ne l’apprend qu’à la fin, sur sa tombe.
Douze vers émouvants, efficaces, d’une grande maîtrise stylistique. Il s’en dégage une première idée fausse : Hugo était un familier de Villequier, qui ne pouvait s’empêcher d’aller régulièrement se recueillir sur la tombe de Léopoldine. En fait, il a attendu trois ans après le naufrage avant de se décider à venir pour la première fois dans le village des bords de Seine, où il ne s’est rendu qu’à quatre ou cinq reprises.
Et puis, allez savoir pourquoi, le prénom de Léopoldine reste lié à un mot qu’on n’emploie pas tous les jours : le mascaret.
L’occasion était-elle trop belle de passer de la leçon de poésie à la leçon de géographie ? L’école de la république nous a fourré dans la tête que la barque dans laquelle se trouvait la fille d’Hugo avait été renversée par la grosse vague venue de la mer qui, les jours de grande marée, remontait le fleuve jusqu’à Pont-de-l’Arche, bien en amont de Rouen.
Pure invention. Le récit circonstancié qu’on peut lire sous la plume d’Alphonse Karr, ami des Hugo et présent à Villequier, dans le Siècle du 9 septembre 1843, bat en brèche cette version. « Entre deux collines s’élève un tourbillon de vent qui, sans que rien n’ait pu le faire pressentir, s’abat sur la voile, et fait brusquement chavirer le canot. » Une embarcation de course toute neuve, peu stable, mal lestée de cailloux emportés au dernier moment.
Les quatre occupants de la barque périssent dans le naufrage. Évidemment, puisqu’on ne savait pas nager à l’époque, n’est-ce pas ? Encore une idée reçue. Le mari de Léopoldine, Charles Vacquerie, était, nous dit Karr, un excellent nageur. Il a tenté tout ce qu’il a pu pour sauver sa jeune épouse. Il reparaît sur l’eau, appelle à l’aide, replonge, remonte pour crier… Hélas, les témoins de cette scène ont cru qu’il jouait !.. Désespéré, épuisé, il finit par se laisser couler pour rejoindre Léopoldine dans la mort, alors qu’il aurait pu se sauver.
Alors, d’où sort cette histoire de mascaret ? C’est sans doute que, pour tous ceux qui n’avaient pas eu connaissance des détails du drame, la dangereuse vague était l’explication allant de soi, la plus plausible. Des dizaines de bateaux chaviraient chaque année en aval de Rouen à cause de la barre.
Explication qui peut être écartée sans hésitation. Outre le récit de Karr, on sait aujourd’hui qu’à l’heure du naufrage, 13h, il n’y avait jamais de mascaret à Villequier, et que le coefficient de marée du 4 septembre 1843 était faible. Mais ce drame emblématique en raison de la gloire de Victor Hugo, devenait l’occasion d’un discours de prévention sur la dangerosité du fleuve. Aujourd’hui, il ne sert plus à rien de guetter l’arrivée de la vague sur les bords de la Seine. Le mascaret a disparu depuis cinquante ans, suite à l’endiguement des berges.
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