Claude Monet, Village de Sandviken sous la neige, 1895, huile sur toile 73x92cm, Art Institute of Chicago
En janvier 1895, Monet entreprend le long périple de Giverny jusqu’en Norvège, pour une campagne de peinture qui ne s’achèvera qu’au printemps. C’est le voyage le plus lointain qu’il fera jamais.
Ce qui l’attire si loin dans le Nord, en plein hiver ? Le peintre est à la poursuite d’effets de neige. Le pater familias va aller voir Jacques Hoschedé, son beau-fils, employé d’un importateur de bois norvégien à Rouen, qui séjourne à Christiania pour y apprendre la langue. L’homme cultivé, qui a assisté à plusieurs représentations des pièces d’Ibsen à Paris, qui lit Björnson, Strindberg, Hamsun et Herman Bang, est attiré par la culture scandinave alors très en vogue.
Comme d’habitude quand il s’éloigne, Monet écrit quotidiennement à son épouse Alice et lui fait le récit détaillé de son séjour. Récit précieux pour suivre au jour le jour ses recherches de motifs, ses hésitations, son travail, sur lequel se sont penché les historiens de l’art. Mais la correspondance livre aussi un aspect inattendu de la personnalité de Monet : son côté touriste.
Dès son arrivée, Monet se laisse emporter par l’émerveillement :
Ce qui est vraiment délicieux, c’est cette vie d’ici ; d’aller en traîneau enveloppé de fourrures, c’est exquis, puis les fameux chiens. C’est de la frénésie, toute la population ne songe qu’à cela, des tout petits gosses comme les grandes personnes, et tous dans des délicieux costumes qui les font ressembler à des Lapons. C’est ma joie de les voir ; on ne voit que cela, des bandes partir avec leurs sacs, ils s’en vont dans la montagne, nuit et jour, la nuit avec des torches.
Bien avant les Jeux olympiques d’hiver, Claude Monet a l’occasion d’assister à un spectacle inédit : des « courses à ski » :
C’est une chose absolument spéciale que je suis bien heureux d’avoir vue. En dehors de tous les traîneaux de Christiania et des environs, toute la population va là et tout le monde est sur des skis, les soldats, la musique, tous sur skis. C’est extraordinaire, cela a lieu sur le plus haut mont derrière Christiania (…) la course est des plus curieuses : sur une pente de plus de cent cinquante mètres ils descendent cela en faisant en l’air des bonds de vingt à vingt-cinq mètres, c’est très extraordinaire.
La nature, qu’il parcourt en traîneau pendant plusieurs jours, l’éblouit :
Que de belles choses vues là, du haut de ces montagnes à pic sur d’immenses lacs entièrement pris et couverts de neige ! Nous en avions dans ces endroits plus d’un mètre, et notre traîneau glissait là-dessus, le cheval en sueur tout couvert de givre et de glace comme nous. J’ai vu aussi d’énormes chutes d’eau de cent mètres, mais entièrement gelées, c’est extraordinaire.
Monet est frappé par la grande hospitalité des Norvégiens. Loin des zones habitées,
…on trouve de temps à autre un chalet, c’est une halte pour les chevaux et les gens. On est tout surpris d’y entrer dans de vrais salons, d’y être reçu par des gens civilisés, aimables et gracieux, heureux de vous offrir l’hospitalité. (…) Les gens sont charmants partout et toujours disposés à vous rendre service.
A la longue, cette gracieuse hospitalité finira même par lui peser, l’empêchant de s’isoler autant qu’il le voudrait pour travailler, se reposer ou écrire à ses proches.
Tout le monde se met en quatre pour lui, y compris le capitaine du port de Christiania qui l’invite sur son bateau à éperon. Monet s’enthousiasme :
Je viens de passer une journée inoubliable (…). Nous avons vu des choses inouïes de beauté et qu’aucun étranger ne peut avoir vues (…). Le capitaine du port s’est mis à ma disposition pour me faire faire cette magnifique promenade sur un bateau de construction nouvelle pour couper la glace dans les fjords.
Et puis, voilà notre Claude Monet qui fait du shopping :
Aujourd’hui j’ai fait des emplettes d’équipement, chaussures, toques, vêtements, etc, et ce sera le diable si j’ai froid, mais l’air ici est d’un vif extraordinaire, et puis ça pince ferme. -20 à -25 en plein jour à midi hier (…) mais je n’en souffre pas, au grand étonnement des gens d’ici qui sont du reste très frileux.
En achetant nos toques, j’ai vu toutes les fourrures possibles et me suis informé du prix du renard bleu ; on peut en avoir la peau extra pour 60 à 80 francs. Le renard argenté me paraît très cher, 300, 500, 600, 800 francs ; c’est effrayant ce qu’on en voit, tout le monde en est couvert. Dis-moi si ces prix diffèrent de Paris, mais il faut songer aux droits d’entrée.
Claude Monet, Sandviken, Norvège, 1895, huile sur toile 50x61cm, collection privée.
La toile fait presque penser à de la peinture naïve.
on a envie, à l’aide d’un pinceau, de badigeonner de colle à l’amande amère (on peut goûter, c’est bon )
l’arête des toits, les branches des arbres et la margelle du pont, puis de saupoudrer le tableau de paillettes scintillantes . souffler ensuite pour éliminer l’excédent de paillettes, et voilà la plus belle des cartes de voeux, signée Monet .
à Pâques ou z’à la Trinité, mironton mironton mirontaine, il n’est pas trop tard pour envoyer ses voeux ?
Féerie de l’hiver…
Claude Monet touriste… j’adore… Ariane, existe t-il un livre qui retrace toute la correspondance de Claude Monet à Alice Hoschedé ? et les réponses d’Alice…
Catherine, Monet a brûlé toutes les lettres d’Alice après son décès, c’était la dernière volonté de sa femme. Seules les siennes nous sont parvenues, ainsi que celles d’Alice à ses enfants. La correspondance de Monet a été publiée in extenso dans la première édition du catalogue raisonné de Monet par Daniel Wildenstein. Cette édition est malheureusement épuisée et très chère. La deuxième édition du catalogue par Taschen a fait l’impasse sur la correspondance de Monet.