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Le profil du bourgeois

Statue de Flaubert à RouenEn photo comme en journalisme, tout est une question d’angle. Avez-vous reconnu les moustaches qui surmontent cette grosse bedaine ? Mais oui, ce sont celles de Gustave Flaubert. Sa statue s’élève entre les arbres de la jolie place des Carmes à Rouen.
Ce bronze est l’oeuvre d’un artiste d’origine russe, Léopold Bernard Bernstamm, qui l’a exécutée en 1907, donc un quart de siècle après la mort de Flaubert en 1880.
On ne peut pas parler d’un travail d’après nature, mais c’est bien l’écrivain rouennais tel que le décrit Anatole France :

Chauve et chevelu, le front ridé, l’oeil clair, les joues rouges, la moustache incolore et pensante (…) Il me tendit sa belle main de chef et d’artiste, me dit quelques bonnes paroles, et, dès lors, j’eus la douceur d’aimer l’homme que j’admirais. Gustave Flaubert était très bon. Il avait une prodigieuse capacité d’enthousiasme et de sympathie. C’est pourquoi il était toujours furieux. Il s’en allait en guerre à tout propos, ayant sans cesse une injure à venger.

Parmi les croisades perdues d’avance menées par l’écrivain figurait sa haine du prêt-à-penser rendue célèbre par son « Dictionnaire des idées reçues », un bêtisier trop mordant pour avoir pu être publié de son vivant. Mais curieusement aucun de ses aphorismes ne concerne le bourgeois, pour lequel Flaubert avait une aversion définitive qui transparaît dans nombre de ses écrits.

On ne peut être exaspéré que par ce que l’on fréquente de trop près. Or justement, à son corps défendant, Flaubert était un bourgeois lui-même. Regardez-le.
Dans son dernier ouvrage, le sociologue Jean-Claude Kaufmann s’est penché sur l’évolution de la silhouette à travers les âges. Au 19e siècle, l’embonpoint mesuré est « signe de puissance, de santé, et de distinction » et « permet d’affirmer que l’on peut, que l’on sait, profiter de la vie » à condition de savoir « exposer ses rondeurs d’une certaine manière, adopter un style, qui montre à tous que les formes abondantes ne sont pas assimilables au vulgaire ».

Le bourgeois par exemple travaille le port de son ventre. Il l’affiche avec fierté, bien en avant, les épaules redressées pour mieux le mettre en valeur.

On pense au Portrait de Monsieur Bertin peint par Ingres en 1832 (Musée du Louvre). On pense aussi au Claude Monet de la maturité, qui posait pour la photo cambré, gilet ouvert, ventre saillant. Au 19e siècle, un bedon arrondi est donc chic. C’est bien ainsi que l’ont vu les admirateurs de Flaubert qui, en découvrant la statue de Bernstamm au Salon de 1906, ont décidé d’en faire don à la ville de Rouen.


2 commentaires

  1. Tania, celle-ci est drôle en effet ! J’imagine qu’il était agacé par l’idée reçue qui voulait que les (jeunes) peintres mettent trop de vert dans leurs paysages, alors que le goût bourgeois allait encore au bitume.

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Ariane.

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