Impressionnisme américain
Frank W. Benson, Eleanor, 1901 – Huile sur toile, 76,2 × 64,1 cm Providence, Museum of Art, Rhode Island School of Design, don de la succession de Mme Gustav Radeke, 31.079 © Museum of Art, Rhode Island School of Design / Photo : Erik Gould
Vue de France, la situation des artistes féminines de l’impressionnisme fait curieusement écho au manque de visibilité dont pâtit l’impressionnisme américain. L’expo qui vient de s’ouvrir au musée des impressionnismes Giverny démontre avec force le talent de ces peintres méconnus du public français, qu’ils s’attachent au rendu de paysages d’hiver comme Twachtman ou à la lumière du plein été comme Benson.
Les plus familiers de ce côté de l’Atlantique, et l’expo leur fait une grande place, ce sont sans doute ceux qui se sont expatriés longuement en Europe, tels que James Whistler en premier lieu, puis Mary Cassatt et John Singer Sargent. Ils avaient su s’intégrer à la petite communauté des peintres d’avant-garde français, dont ils parlaient la langue. Monet, dans sa correspondance avec Whistler, lui témoigne son amitié. Sargent était un proche avec qui il allait peindre sur le motif. Cassatt s’était mis dans la poche Degas, pas toujours aussi misogyne qu’on pourrait le croire.
On découvre à l’expo de Giverny deux peintures nocturnes de Whistler qui ne rendent pas grand chose en photo, il faut les voir en vrai pour apprécier la finesse de coloriste de ce précurseur qui restitue des ambiances, dans d’étranges tableaux presque monochromes où il ne se passe rien.
Mais la plupart des impressionnismes américains ne firent que de courts séjours en Europe, voire pas du tout. Leur originalité est d’avoir adapté l’impressionnisme à leur continent, en mettant en scène à la fois les beautés de la nature nord-américaine, et l’optimisme d’une nation en plein essor. Tarbell et Benson s’illustrent par des représentations familiales en plein air où la critique verra l’incarnation de la femme du XXe siècle, gracieuse et décidée.
Ci-contre, le peintre Frank Benson a pris pour modèle sa fille Eleanor, qu’on voit grandir de tableau en tableau. L’utilisation de bleu dans les ombres du bras, par exemple, la touche hachurée et vibrante, les couleurs claires, le plein air, montrent l’adoption des principes de l’impressionnisme.
L’impressionnisme et les Américains, jusqu’au 29 juin 2014, Musée des Impressionnismes Giverny
Les femmes impressionnistes
Berthe Morisot, Psychée, 1876, Musée Thyssen Bornemisza de Madrid
Les impressionnistes n’étaient pas tous des hommes. Au moins quatre femmes contemporaines de Monet et Renoir ont fait partie de la même avant-garde, manifestant un immense talent et un grand sens de l’innovation. Ces grandes dames sont Berthe Morisot, Mary Cassatt, Eva Gonzalès, Marie Bracquemond.
Plus je découvre leur oeuvre, plus je suis émerveillée. Tenue par une main féminine, la brosse impressionniste se pare d’une grâce inégalée. Les toiles de Berthe Morisot irradient, avec une économie de moyens qui laisse bouche bée. Pourquoi ces femmes impressionnistes ne sont-elles pas plus connues ? L’avenir finira-t-il par rendre justice à ces immenses artistes qui vivaient dans un monde où la gent féminine était reléguée au second plan ?
Nos voisins allemands paraissent intéressés par la place des femmes dans l’impressionnisme. Après l’exposition de Brême (2006) qui s’intéressait à Camille, épouse et modèle de Claude Monet, c’est le musée Schirn de Francfort qui, en 2008, a mis en avant les femmes peintres, avec une exposition entièrement consacrée à mesdames Cassatt, Morisot, Gonzalès et Bracquemond qui est partie ensuite à San Francisco. Au passage, le Schirn a forgé un féminin à impressionnistes : ‘Impressionistinnen’, bien joli en allemand où l’on n’a pas peur des mots qui sont longs, mais impossible à transposer en français ni en anglais.
Il fallait une sacrée détermination pour oser, à la fin du 19e siècle, braver tous les interdits inhérents à la condition féminine pour devenir peintre. Et le soutien d’un milieu familial artistique n’était pas gagné d’avance.
Si les choses ne semblent pas avoir été trop difficiles pour l’Américaine Mary Cassatt, amie de Degas, qui a fait de longs séjours en Europe, il n’en a pas été de même pour Marie Bracquemond. Son époux le graveur Félix Bracquemond, moins doué qu’elle, n’a cessé de la railler, si bien qu’elle a fini par dire adieu à la peinture. Avec nos yeux du 21e siècle, on aurait préféré que ce soit à lui qu’elle dise adieu.
Berthe Morisot quant à elle intègre le clan Manet en épousant Eugène, le frère d’Edouard. Cette fois c’est Eugène, qui peignait lui aussi, qui va renoncer à son art, écrasé par les deux génies qui l’entouraient. Edma Morisot, la soeur de Berthe, abandonne elle-aussi la peinture après s’être mariée. On dirait qu’une bizarre compétition s’installe dans les familles, comme lorsque deux arbres plantés trop près se font de l’ombre.
On ne sait pas trop comment le mari d’Eva Gonzalès, le peintre Henri Guérard, considérait le travail de sa femme. La mort prématurée d’Eva à 34 ans a coupé court à toute compétition.
Chez Mary Cassatt, c’est la maladie qui a mis un terme à une longue et fructueuse carrière. Dépression, diabète, et surtout la perte de la vue lui font lâcher les pinceaux. De quatre ans plus jeune que Monet, elle est atteinte de la cataracte à peu près en même temps que lui : elle est aveugle en 1921, il se fait opérer en 1923. Ils vont mourir tous deux en 1926 à quelques mois d’écart, elle dans le noir, lui avec la vue recouvrée.
Pour ceux qui lisent l’allemand, un intéressant article du Stern sur l’expo de Francfort.
Les trois Michel

C’est l’histoire de trois messieurs qui s’appelaient tous Michel. Le premier était mort depuis longtemps. Le deuxième s’intéressait aux gens morts depuis longtemps. Le troisième, depuis longtemps, aimait tuer des gens, à coups de plume. Un lieu, comme un lien, reliait ces trois hommes : le village de Giverny.
Le premier est Michel Monet, second fils de Claude. Il est décédé en 1966.
Le deuxième est Michel de Decker, fameux historien qui habite notre coin du val de Seine. Il est l’auteur d’une biographie sur Monet qui a fait date, car il est allé recueillir à Giverny les témoignages des personnes assez âgées pour avoir connu le peintre. Cela se passait je crois dans les années soixante-dix. Comme historien et comme conférencier, de Decker a une verve inimitable.
Le troisième est Michel Bussi, auteur normand de romans policiers devenus depuis l’an dernier des best-sellers. L’un d’eux, Nymphéas noirs, se passe à Giverny.
Le troisième Michel, pour élaborer son histoire, a puisé dans le deuxième, qui parle du premier. Vous me suivez ?
Selon le deuxième, le premier serait mort sans héritier mais non sans descendance. Michel Monet serait le père de la petite Henriette, (alias Rolande Verneiges) la fille de sa femme Gabrielle Bonaventure, qu’il n’a pourtant jamais reconnue.
Pourquoi Michel Monet s’est-il privé de descendance, s’il en avait une ? A ma question, Michel de Decker avance l’hypothèse qu’il avait peut-être des doutes sur sa paternité. L’historien a promis de faire le point sur le sujet dans la prochaine édition de sa biographie de Monet.
En attendant, Michel Bussi n’hésite pas à présenter comme un fait avéré ce qui n’est que supputation. « Michel Monet habita la maison rose de Giverny jusqu’à son mariage, en 1931, avec le mannequin Gabrielle Bonaventure, dont il avait eu une fille, Henriette », lit-on dans Nymphéas noirs. Et comme l’auteur précise en préambule que le roman se fonde sur des faits authentiques, voilà une affaire pliée.
Et vous, qu’en pensez-vous ? Pour ma part, je trouve présomptueux de prétendre en savoir plus long que les intéressés eux-mêmes sur leur intimité. Pour moi, tant qu’on ne m’aura pas prouvé le contraire, Michel Monet n’a pas eu d’enfant. Je préfère pour sa mémoire penser cela plutôt que de le considérer comme un père indigne qui n’a pas voulu reconnaître sa fille.
Bien sûr, chacun est libre de penser ce qu’il veut. Et même de s’en moquer éperdument.
Premier tour
Les Vernonnais vont-ils élire un maire de 28 ans à la tête d’une ville de 26000 habitants ? Hier le jeune Sébastien Lecornu, candidat de l’UMP, a fait le meilleur score avec près de 32% des voix. Il est suivi par le maire sortant du mandat précédent, battu sur le fil il y a six ans, Jean-Luc Miraux, ex-UMP, qui totalise 26% des suffrages.
Je suis curieuse de voir ce qui va l’emporter au second tour de la jeunesse ou de l’expérience. C’est l’une de ces nombreuses interrogations sur le report des voix qui donnent de l’intérêt aux élections, et doivent alimenter les conversations ce matin. Par le passé, Vernon s’est singularisée plusieurs fois, en particulier par une pentagulaire (5 listes avaient passé la barre des 10% et s’étaient maintenues). Il y a six ans, la ville traditionnellement conservatrice s’est surprise elle-même en portant à sa tête un maire socialiste, Philippe Nguyen Thanh, salué à l’époque comme l’un des rares maires de France issu de l’immigration asiatique. Son bilan paraît controversé (17 % hier). Mais naturellement rien n’est joué, car le scrutin de ce 23 mars est marqué par une forte absention (40 %).
Et à Giverny ? La campagne et les élections n’ont pas manqué d’intérêt là non plus. Si certaines petites communes de France peinent à constituer une liste et à trouver une bonne volonté pour assumer la charge souvent ingrate de maire, à Giverny, pas moins de 32 personnes se sont portées candidates au conseil municipal cette fois-ci. C’est le signe des enjeux qui animent ce village pas comme les autres. Un autre signe en est le taux de participation très élevé, près de 82 %.
Au final, le suspense n’aura pas été très long puisque 12 candidats sur les 15 membres qui composeront le conseil municipal sont élus dès le premier tour. Le meilleur score revient à… un jardinier de la Fondation Monet, Yves Hergoualc’h, qui rassemble 181 voix, soit 10 de plus que le maire sortant Claude Landais, lui aussi réélu. Bravo Yves !
Photo : détail de la mairie de Vernon
Résultat des urnes : eh bien oui, Vernon a un maire de 28 ans, et le maire de Giverny garde son siège.
Gleditsia
Après un hiver doux, le soleil des derniers jours a convaincu la nature que le printemps est revenu. L’herbe pousse, les arbres bourgeonnent, les premières fleurs s’ouvrent, cloches dansantes des jonquilles, corolles roses des camélias.
Plutôt qu’à la mi-mai, le jardin de Monet pourrait bien avoir l’aspect de cette photo dès la fin avril, quand la glycine embaume, que les myosotis tapissent les bordures et que le gleditsia se décide à déplier ses feuilles d’un très joli vert-jaune, comme un éclat de soleil au-dessus de l’eau.
Le gleditsia, c’est cet arbre qui offre ses branches graphiques au bord du bassin de Giverny. Il s’agit ici de la variété « gleditsia triacanthos sunburst », un cultivar sans épine (inerme). C’est une sage précaution car ses cousins les féviers d’Amérique sauvages ont des piquants longs comme la main.
Dans la vraie vie, je veux dire là où il se sent chez lui, l’Est des Etats-Unis, le Canada, l’Afrique, le gleditsia peut atteindre les 30 mètres de haut. Cela paraît difficile à croire au vu de l’arbrisseau givernois, mais celui-ci n’a peut-être pas dit son dernier mot. Pour voir de belles photos de gleditsia, il faut le chercher sous son nom anglais, Honey Locust. Haut comme un érable, il est impressionnant.
Je n’ai pas remarqué que le petit gleditsia de Giverny produisit déjà des fèves. Peut-être que dans cinquante ans, les visiteurs seront intrigués par de larges gousses contenant des graines et une substance sucrée qui lui vaut son nom anglais un peu bizarre.
Mot à mot, Honey Locust veut dire « Miel Sauterelle ». Il s’agit vraisemblablement d’une allusion à saint Jean-Baptiste, qui, selon l’évangile, survivait dans le désert en mangeant des sauterelles et du miel sauvage. On peut imaginer que les premiers colons qui s’installèrent en Amérique du Nord recherchaient de quoi se nourrir dans leur environnement. Ils eurent l’audace de goûter aux fruits de cette plante inconnue, lui trouvèrent une saveur douce comme le miel, et y virent un aliment providentiel digne d’une référence biblique.
C’est troublant de s’imaginer un instant dans la peau des premiers colons, tenaillés par la peur de mourir de faim, entourés de plantes sans nom, privés soudain de l’expérience accumulée au long des millénaires sur la façon d’utiliser la nature environnante pour subsister. En pensant au gleditsia, on comprend mieux Thanksgiving, la grande fête nord-américaine d’action de grâces pour avoir survécu à la première année de colonie.
J’aimais déjà beaucoup le petit gleditsia de Giverny, connaître la mémoire humaine qui s’attache à lui me le fait apprécier encore davantage…
Quant au nom de gleditsia lui-même, c’est un hommage au botaniste allemand Johann Gottlieb Gleditsch, qui fut directeur du jardin botanique de Berlin au 18e siècle. On lui doit des avancées décisives dans la compréhension de la reproduction sexuée des plantes et la nécessité de la fécondation du pistil par le pollen des étamines.
Le pâtissier des impressionnistes
Si les francophones devaient élire leur pièce de théâtre préférée, je parie que Cyrano de Bergerac serait sur le podium.
L’un des personnages secondaires du chef-d’oeuvre d’Edmond Rostand, le pâtissier Ragueneau, ressemble étrangement à un homme lié aux impressionnistes : Eugène Murer. Peut-être ce dernier lui a-t-il servi de modèle.
A Rouen, on évoque le souvenir de Murer à propos d’un établissement aujourd’hui disparu, l’hôtel du Dauphin et d’Espagne, au 4 – 6 place de la République. C’est là, dans le hall de l’hôtel, que l’ex-pâtissier et toujours amphitryon des peintres exposait à la fin de sa vie une partie de sa collection personnelle, riche notamment d’une trentaine de Renoir. Mais si on voulait trouver Murer, il valait mieux lui rendre visite à Auvers-sur-Oise. Il repose toujours dans le petit cimetière non loin des tombes des frères van Gogh.
Eugène Murer a passionnément collectionné les impressionnistes à une époque où ceux-ci ne trouvaient pas preneur. Les prix pratiqués étaient souvent très bas, mais peut-on lui en vouloir ? Je suppose qu’il avait de l’art une conception d’artisan à artisan, qui évaluait les toiles avec en référentiel le prix des choux à la crème et des macarons.
On l’a accusé d’avoir voulu spéculer, mais je me demande si ce n’est pas une critique après coup, une fois que les peintres impressionnistes ont eu acquis des galons. Car au moment où Murer échangeait des toiles contre un repas ou quelques dizaines de francs, nul n’aurait imaginé le succès futur de la nouvelle peinture. Il courait une plaisanterie méchante sur Murer, tournée ainsi par le journal Le Gaulois en janvier 1880 : « C’est moi qui fais la pâte, c’est le patron qui achète les croûtes, nous disait dernièrement un gâte-sauce. » Des croûtes… En bon pâtissier, Murer avait du goût, et du nez.
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