Le printemps lance les fleurs dans une compétition parfumée. Laquelle aura l’odeur la plus suave pour attirer les insectes ? Dans les jardins de Monet, le lilas est en pleine floraison, plus beau que jamais, en même temps que le laurier-tin, les jacinthes jaunes, le muguet, les giroflées, les narcisses, et quantité d’autres, dont les pics de parfum varient selon l’heure. C’est une fête pour l’odorat, on a envie de humer, de plonger son nez dans tous ces calices pleins de promesses.
Mais parfois ce n’est pas une délicate fragrance qui est au rendez-vous, à la façon des dragées surprises de Bertie Crochue. Et quand il s’agit d’identifier ce que l’on sent, les comparaisons les plus inattendues viennent à l’esprit.
Pour l’une de mes clientes hier, les fritillaires sentaient bizarre. Ils avaient une odeur de… « fox ».
J’ai cru avoir mal entendu. « Phlox ? » « No, fox, F.O.X., » m’épelle-t-elle, et pour s’assurer de bien se faire comprendre, elle ajoute avec ce charmant accent américain qui me fait fondre, et le sourire malicieux de quelqu’un qui a plus d’un tour dans son sac et plus de vocabulaire qu’on ne le pense : « le renard ».
Bon. Les fritillaires sentent le renard. Et même si je ne crois pas avoir jamais senti de renard, je suis heureuse de l’apprendre, car pour moi ils ne sentent rien du tout. Ce n’est pas la première fois que je suis confrontée aux limites de mon nez. D’autres visiteurs m’ont déjà dit qu’ils leur trouvaient une odeur désagréable. Et je sais aussi qu’en été, une autre plante inodore pour moi sent la moufette (‘skunk’), comme le petit Fleur de Bambi, ce qui est à peu près aussi flatteur que de la comparer à une odeur de putois.
Ces confrontations à des perceptions plus aiguës que les miennes me questionnent. Que voyons-nous du monde qui nous entoure ? Qu’en entendons-nous ? Y a-t-il un daltonisme des odeurs ? Peut-on voir mieux que les autres, comme peut-être c’était le cas de Monet ? Comment sent-on quand on est nez pour un parfumeur, comment goûte-t-on quand on est sommelier ? Et dans quelle pénombre des sens sommes-nous plongés à notre insu, pour la majorité d’entre nous ?
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Je suis venue samedi, je n’ai pas pensé à sentir les fritillaires, je n’ai rien remarqué de spécial, sauf que le jardin était magnifique. La prochaine fois j’irai les respirer de près …
Peut-être que tu sentiras quelque chose, toi…
Nous ne percevons pas tous de la même manière, c’est sûr – même la couleur peut différer de l’un à l’autre, je m’en suis déjà rendu compte. Ces différences de sensibilité me rappellent toujours ce beau passage du "Temps retrouvé" où Proust écrit ceci : "Par l’art seulement, nous pouvons sortir de nous, savoir ce que voit un autre de cet univers qui n’est pas le même que le nôtre et dont les paysages nous seraient restés aussi inconnus que ceux qu’il peut y avoir dans la lune. Grâce à l’art, au lieu de voir un seul monde, le nôtre, nous le voyons se multiplier, et autant qu’il y a d’artistes originaux, autant nous avons de mondes à notre disposition, plus différents les uns des autres que ceux qui roulent dans l’infini, et qui bien des siècles après qu’est éteint le foyer dont ils émanaient, qu’il s’appelât Rembrandt ou Ver Meer, nous envoient leur rayon spécial."
Merci Tania, quelle merveille ces lignes de Proust…