C’est un livre où l’histoire d’un tableau s’enchevêtre à celle d’un adolescent : Donna Tartt, dans son ample roman (1100 pages en Pocket !) explore avec finesse de nombreuses thématiques essentielles et profondes : le hasard, le deuil, le sens de la vie, l’ambivalence des relations humaines, la relativité du bien et du mal… L’ensemble est sombre, pessimiste, et je dois dire que je ne partage en rien le nihilisme du narrateur, alcoolique, drogué et désespéré. Si j’en parle ici, c’est parce que le seul personnage lumineux du roman, la mère du héros, est une esthète dont l’enthousiasme vis-à-vis de la peinture m’a touché.
En visite dans une exposition, elle commente pour son fils plusieurs oeuvres de peintres hollandais. Voici par exemple ce qu’elle dit de la Leçon d’anatomie de Rembrandt, un tableau qui lui « flanquait la trouille » quand elle était petite :
Le consensus autour de ce tableau est qu’il traite de la raison et des Lumières, de l’aube de l’investigation scientifique, tout cela, mais à mes yeux ce qui donne la chair de poule, c’est de voir comme ils sont polis et formels, grouillant autour de la table de dissection comme s’il s’agissait d’un buffet à un cocktail. Cependant, tu vois ces deux types perplexes là-bas au fond ? Ce n’est pas le corps qu’ils regardent – c’est nous. Toi et moi. Comme s’ils nous voyaient debout devant eux – tout droit débarqués du futur. Eberlués. « Qu’est-ce que vous faites ici ? » C’est très naturaliste. En revanche (du doigt elle traça en l’air les contours du cadavre) le corps n’est pas peint de manière naturaliste du tout, si tu observes bien. Il s’en dégage une incandescence bizarre, tu vois ? On dirait presque l’autopsie d’un alien. Regarde comme il illumine les visages des hommes penchés sur lui. Comme s’il générait sa propre lumière ? Rembrandt lui donne cette qualité radioactive parce qu’il veut attirer notre oeil vers ça – que cela nous saute aux yeux. Et ici (elle pointa la main écorchée) tu vois comme il attire l’attention dessus en la peignant si grande, complètement disproportionnée par rapport au reste du corps ? Il l’a même retournée, et du coup le pouce est du mauvais côté, tu le vois ? Eh bien, il n’a pas fait cela par hasard. La peau sur la main est enlevée – on le remarque tout de suite, il y a quelque chose qui ne colle pas – mais en retournant le pouce il rend l’image encore plus étrange ; de manière subliminale, et même si nous n’arrivons pas à cerner pourquoi, nous enregistrons que quelque chose est de travers, faussé. C’est très astucieux.
Des commentaires d’oeuvres comme celui-ci, je pourrais en écouter pendant des heures… Je vous laisse découvrir son analyse du Chardonneret de Fabritius, qui donne son titre au roman, et les regards portés sur cette oeuvre et sur la peinture en général par les différents protagonistes de l’histoire.
J’avais vu cette romancière dans l’émission de Busnel et avait noté ce roman….
Elle a l’air d’avoir une personnalité très particulière. Vaguement inquiétante peut-être ?
"Le maître des illusions" m’avait tenue en haleine, aussi ne vais-je pas manquer celui-ci, avec ses échappées vers la peinture.
Bonne lecture Tania ! C’est un auteur qui accroche le lecteur, c’est vrai !