Voici maintenant le texte de l’article de J.-C.-N. Forestier. Plus encore que le détail des plantations, l’auteur nous restitue le ressenti du visiteur, fil conducteur de la restauration du jardin de Monet : « En toute saison, c’est un éblouissement. »
A GIVERNY, DANS LA VALLEE DE L’EPTE, M. CLAUDE MONET A CREE UN JARDIN REMARQUABLE. – DESCRIPTION DETAILLEE DES DIVERSES PARTIES QUI COMPOSENT CE JARDIN. – LES FLEURS, LES ARBRES. – LES SITES PITTORESQUES.
En cet endroit où le chemin de fer atteint Giverny, la voie, prise entre la route et la jolie rivière de l’Epte, longe une haute palissade de Roses. A l’abri de ce rideau, la rivière s’est écartée et a laissé place au tranquille étang dont on aperçoit les reflets à travers les feuilles.
De l’autre côté de la route, une grille légère, sur un mur à mi-hauteur d’homme, clôt avec bonhomie le plus éclatant amoncellement de fleurs ; de distance en distance, des Capucines de Lobb enroulent aux barreaux leur feuillage d’un vert tremblant et leurs fleurettes couleurs de feu.
Le jardin est ainsi divisé en deux parties – qui sont, au surplus, bien différentes – par la route et la voie de chemin de fer qui se déroulent côte à côte.
La route n’est pas très large, et, pour donner plus de place aux voitures, à l’entrée le mur se courbe en une petite demi-lune.
La grille s’ouvre sur une allée droite, bordée de Dahlias, de Montbretias, d’Asters, de Capucines naines, qui conduit directement à la maison.
A droite et à gauche, devant soi, partout en planches, en bouquets, en bordures, des fleurs, des fleurs par masses éclatantes d’une même espèce et d’une même couleur. Et déjà l’on aperçoit la tache ardente des Salvia splendens qui allument à côté de la maison leurs flammes écarlates.
Salvia splendens à Giverny
C’est comme un champ éblouissant de couleurs que nous traversons. Cette partie du jardin s’allonge entre la suite des constructions de l’habitation et de l’atelier d’un côté, et la route de l’autre. Il est partagé en rectangles par d’autres allées droites parallèles à l’allée d’accès que nous suivons, et les fleurs innombrables s’alignent transversalement. Ici ou là, des supports légers soutiennent des Clématites à larges fleurs ou des voûtes de Rosiers à floraison abondante, comme les Dorothy Perkins, les Félicité et Perpétue, les Crimson Rambler.
Au milieu du jardin, voici l’Eden, voici le Paradou où, sous l’ombrage aéré de quelques arbres, des fleurs brillantes jouent sur le tapis uni du gazon avec les taches claires du soleil. C’est une pelouse plate et douce ; l’ombre légère des Pommiers y abrite de larges touffes d’Iris dont les taches violettes succèdent à l’éclat vite passé des arbres en fleurs. Et çà et là se détachent les bouquets des fleurs d’or des Helianthus multiflorus, des Heliopsis, des Helenium d’automne, de grands Soleils resplendissants. Des Dahlias et des Asters, les uns lourds et colorés, les autres légers, bleus, mauves et roses, animent et relèvent la splendeur des fleurs jaunes.
Le jardin de Monet en octobre : dahlias, hélianthes, asters et sauges
La variété des combinaisons est surprenante. En toute saison, c’est un éblouissement. Quand, la première surprise passée, la curiosité est attirée par les détails, c’est, à chaque pas, une exclamation.
Les Iris que nous apercevons disséminés en bouquets sous les Pommiers, nous les voyons courant en épais cordons au bord des allées, en larges taches, enserrant les plates-bandes. Nous les retrouverons sous toutes les formes et sous toutes les espèces autour de l’étang.
Au printemps, en mai, parmi leur envahissement bleu, mauve, les Pivoines somptueuses ouvrent leurs gros bouquets chiffonnés.
Et comme il y a tous les Iris, – tous les Iris des jardins et les Iris pseudo-acorus, les Iris pumila, les Iris sibirica, les Iris aurea, et, pour l’été, les Iris Koempferi, – il y a aussi toutes les Pivoines. Mais surtout, sous des abris légers pour les abriter des grands froids, voici, à droite en allant à la maison, les précieuses Pivoines reçues du Mikado que l’on soigne pour leur noble origine et la beauté de leurs monstrueuses fleurs simples.
En cette saison, les Iris ne valent que par leur joli feuillage aigu et clair.
Mais une petite allée passe entre des planches d’Anémones d’automne qui offrent leurs fleurs roses et blanches sur leurs frêles tiges et viennent nous caresser au passage.Voici la maison d’habitation vêtue de feuillage et de fleurs. La Vigne vierge, la Clématite Jackmanni et les Rosiers (surtout des Crimson Rambler) se disputent le soin de l’orner et de s’enrouler autour du bois des balustrades.
A côté d’elle, de hauts Tilleuls, et sur les bords d’un massif, timidement des Pavots nudicaules, des Argémones et des Lavatères mêlent leurs fleurs délicates.
Pour aller de la maison à l’atelier, prendrons-nous cette allée ombrée de grands arbres taillés, ou passerons-nous à côté, dans la petite allée fleurie, sous cet arceau de Rosier rouge ? C’est un Crimson Rambler qui, à la fin de juin, forme ici une voûte de feu.
Au-dessus de remises et de hangars, au premier se trouve l’atelier. A côté des oeuvres anciennes, – admirables souvenirs d’une patiente carrière et d’une foi inflexible, – sont rangées au hasard du moment les toiles nouvelles, peintures des jeux infinis de la lumière qui attestent le triomphe. L’atelier a son balcon ; au-dessous de lui, après la serre, se déploie à nouveau le tapis vivant des fleurs, en mille combinaisons différentes, que chaque saison renouvelle. Sur le côté, à gauche, des Jackmanni superba forment, avec leurs fleurs d’un violet sombre, une palissade haute d’environ 2 mètres qui borde la pelouse plantée d’arbres et sert de fond à des roses claires tenues devant elle sur leurs longs rameaux courbés.
Les Soleils rutilants, les douces Anémones d’Automne, les Erigerons d’un bleu timide et gris qui ne cessent de fleurir, se partagent les plates-bandes avec les Dahlias, les Penstemons, les Asters et les Glaïeuls ardents.
Les plates-bandes de grands Pieds-d’alouette fleurissaient au printemps et élevaient jusqu’à 2 mètres leurs gros et triomphants épis bleus, de tous les bleus : bleu-porcelaine, bleu d’azur clair, bleu de roi, bleu sombre et profond.
Panicaut (Eryngium) à Giverny
Il y a des plates-bandes de Lilium testaceum, des groupes d’Echinops ritro dressant leurs boules bleues, d’Eryngium amethystinum (ou oliverianum, ou, mieux encore, Panicaut) qui, de leurs rameaux et de leurs fleurs en chardons, font des taches d’un joli bleu cendré.
Il y a aussi des Eremurus dont les monstrueux épis roses ou crème sont passés. Mais le Maître – jardinier de ce beau jardin – regrette de ne pas en connaître de plus tardifs, et il note, avec l’intention de l’ajouter aux autres, l’Eremurus Bungei Olgae, que je lui indique pour sa lenteur à fleurir. Et tous deux, pris par le même amour du jardin et des fleurs, nous échangeons des noms, car tous deux nous pouvons donner leurs petits noms à ces belles amies fidèles, familières et complaisantes.
Il m’arrête. C’est une plante nouvelle : un grand Soleil vivace, l’Helianthus sparsifolius, hybride de l’Harpalium rigidus et du grand Soleil annuel. Il le tient de Nonin. Il aime l’ardeur, la somptuosité des larges fleurs d’or des Soleils. A mon tour, j’admire la grâce légère de cet Aster, le Callimeris incisa dont les mille fleurs blanches dans la poussière verte du fin feuillage ne sont pas assez lourdes pour incliner leurs tiges fragiles.
Mais nous voici revenus à la grille d’entrée ; nous sortons du premier jardin, nous traversons la route et, par la petite barrière de bois, nous entrons dans l’enclos du magique étang.
C’est un frôlement de hautes graminées, des Eulalias, des Gynériums, des Bambous ; dans l’air, un fouillis épais de rameaux pendant des Saules pleureurs. Dans le fond, de vieux Saules en têtards affranchis forment un léger et clair rideau de leurs longues branches. Traversons, sous son plafond de feuillage, le pont de bois très arqué et haut sur l’eau. C’est admirable. Dans cet amas de verdures et de feuillages entremêlés, dans ce fouillis d’Iris, de Bambous, de Saules et de plantes d’eau, les Nénuphars étalent leurs feuilles rondes et piquent l’eau de leur mille fleurs rouges, roses, jaunes et blanches.Le Maître vient ici souvent, sur les bords de cet étang que borde le gros ourlet des Iris. Vous le rencontreriez posant ses touches successives et brèves, ses paillettes de couleurs lumineuses ici ou là suivant l’heure.
Le mot a été dit ; il est juste et charmant : M. Claude Monet, en même temps que le paysage, peint aussi l’heure qu’il vit… » Et cette toile, qu’il a visitée ce matin à l’aube, n’est plus celle où nous le trouvons attaché cet après-midi. Revenu à l’attrait de l’eau et de ses reflets mobiles, de l’eau frissonnante et sombre sous les grandes feuilles somnolentes des Nymphaeas, il suivra dans la matinée l’épanouissement des fleurs qui, dès le milieu de la journée, commencent à se fermer.
Mais ici encore, malgré la triomphante tyrannie des Nénuphars, d’autres fleurs trouvent leur place. Le petit pont qui conduit au pré voisin passe sous deux arceaux de Rosiers Crimson Rambler.
De l’autre côté de la rivière, des fils de fer soutiennent un rideau d’autres Rosiers. Le Rosier Wichuraiana pousse avidement ses longs et fins rameaux et ses abondantes petites feuilles d’un vert luisant. Au bout de l’étang, de hauts Peupliers de Caroline abritent un massif de plantes de terre de bruyère : Azalées, Rhododendrons, Bruyères, parmi lesquelles s’élèvent les fleurs orgueilleuses des Lilium auratum.John Singer Sargent, Carnation, Lily, Lily, Rose – 1885-86 – Huile sur toile, 174 × 154 cm, Tate Britain, Londres.
Et M. Claude Monet, auquel je dis la difficulté de conserver ces beaux Lis, me raconte que son ami le peintre Sargent avait fait le portrait d’un enfant parmi des Lis. Le fond qu’il avait choisi était formé d’une masse de Lilium auratum installés jadis parmi des Rhododendrons et développés depuis en une souche énorme vieille d’une cinquantaine d’années.
J.-C.-N. Forestier
Revue Fermes et Châteaux de septembre 1908 (N° 37), p 14. Article « Le jardin de M. Claude Monet » par J.-C.-N. Forestier.
Thank you for posting this text in full. It describes the garden in 1908 perfectly. You can shut your eyes and imagine being there!
Yes, we can feel Forestier did his best to describe the garden, though writing was not his job.