En 1891, Octave Mirbeau, ami de Claude Monet et critique d’art, fait cette extraordinaire analyse du tableau Portrait de Suzanne aux soleils dans L’Art dans les Deux Mondes :
De l’ombre, du mystère, de l’ombre dont elle est toute baignée, de l’ombre transparente et profonde, apparaît une jeune femme, assise, accoudée à une table de laque. Sa robe mauve va se violaçant, se perdant, avec les contours, dans l’ombre violette, découvre la nuque inclinée légèrement, et la naissance de la gorge. Elle est d’une beauté délicate et triste, triste infiniment. Enigmatique, les yeux vagues, un bras pendant, toute son attitude molle et charmante de nonchaloir, à quoi pense-t-elle ? On ne sait pas. A-t-elle de l’ennui, de la douleur, du remords, quel est le secret de son âme ? On ne sait pas. Elle est étrange comme l’ombre qui l’enveloppe toute et, comme elle, troublante, et terrible, aussi, un peu. Mais plus étranges encore sont ces trois fleurs de soleil, immenses, qui s’élancent d’un vase, placé près d’elle, sur la table de laque, montent, tournent au-dessus et en avant de son front, pareilles à trois astres, sans rayonnement, d’un vert insolite à reflets de métal, à trois astres venus on ne sait d’où, et qui ajoutent un mystère d’aube, un recul d’ombre, au mystère, au recul de l’ombre ambiante. L’impression est saisissante. Involontairement, l’on songe à quelque Ligeia, fantomale et réelle, ou bien à quelqu’une de ces figures de femme, spectres d’âme comme en évoquent tels poèmes de Stéphane Mallarmé.
Octave Mirbeau, L’Art dans les Deux Mondes, 7 mars 1891
Je trouve qu’il y va un peu fort avec le nonchaloir, pour moi Suzanne n’est pas molle mais au contraire raidie par son corset. Que dirait-il de notre façon de nous enfoncer dans les canapés… Pour le reste, il a, du vivant de Suzanne, qu’il connaît, senti dans ce tableau planer sur elle l’ombre et la mort, jusqu’à y voir un spectre.
Mirbeau a aussi un oeil affuté de jardinier pour détailler la couleur des soleils. Et un talent hors pair pour décrire un tableau, porté par une plume d’un lyrisme puissant. Mirbeau, saisi, est saisissant.
Une interprétation très précise de Mirbeau en effet!
Je ris pour notre position dans le canapé plus « qu’amollie » parfois et souvent…
D’accord avec toi pour la raideur. Bel exercice de style, néanmoins.