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René Gimpel à Giverny

René Gimpel à Giverny

Le marchand de tableaux René Gimpel a tenu un journal, commencé en février 1918, dans lequel il raconte les faits marquants de son métier. Le 19 août 1918, il rend visite à Claude Monet à Giverny. Il est accompagné de Georges Bernheim, cousin des marchands Josse et Gaston Bernheim-Jeune avec lesquels le peintre entretient des relations commerciales et amicales.

19 août – Chez Claude Monet.

Dans le train qui nous conduit à Vernon, Georges Bernheim me dit que j’ai pris la responsabilité du voyage à Giverny, mais que Monet ne nous recevra peut-être pas. Comme Renoir, il ne veut pas être dérangé quand il travaille. Je lui demande s’il le connaît bien et il me répond : « Oui, et dans une certaine circonstance j’ai mieux agi envers lui que lui, plus tard, envers moi.
– A quelle occasion ?
– Voici : Monet avait épousé en secondes noces une veuve ou peut-être bien une divorcée. Elle avait un fils qui, à la mort de sa mère, me vendit huit toiles de son beau-père pour huit milles francs.
– Pourquoi si bon marché quand il ne pouvait en ignorer la valeur ?
– C’est qu’elles n’étaient pas signées, et ce garçon était en trop mauvais termes avec Monet pour que le peintre y mette sa signature. Elles valaient quand même quarante milles francs avec ma garantie. Monet apprend cette transaction et m’envoie mes cousins, les Bernheim frères, me dire qu’il aimerait racheter les huit tableaux et il m’en fait demander le prix. Je lui écris : « Monsieur Monet, vous n’avez qu’à m’adresser un chèque de huit mille francs et prendre les toiles. » Il me l’envoya en me faisant promettre un cadeau. Je l’attends encore. Deux ans, trois ans passent. Je me décide à l’aller voir et je lui dis : « Monsieur Monet, je ne vous demande aucun cadeau, mais vendez-moi quelques toiles. » Il m’en cède douze pour cent vingt mille francs et il en ajoute une treizième. Je lui en avais vendu huit pour huit mille francs. Ce fut un cadeau payé un peu cher, mais enfin ! C’est un homme très dur.

Voilà une anecdote dont Georges Bernheim ne sort pas grandi. Il avoue tranquillement avoir roulé Jacques Hoschedé, aux abois comme toujours, venu lui vendre les tableaux qui lui revenaient dans l’héritage d’Alice en 1911. Le marchand s’apprêtait à multiplier leur prix par cinq, sans sourciller.
Puis il se sent obligé de les céder à prix coûtant à Monet, qui n’en demandait pas tant. Frustré, le marchand attend un cadeau comme un dû. Mais quand il vient chez Monet, il a l’indélicatesse de rappeler au peintre qu’il lui a promis un cadeau, tout en le refusant d’avance. Néanmoins, quand Monet ajoute généreusement un treizième tableau, il ne lui en est guère reconnaissant, considérant que les prix d’achat au peintre sont très élevés. Or Monet ne fait que lui appliquer le même prix, 10 000 francs la toile, qu’aux autres galeristes, Durand-Ruel, Boussod, Petit, Bernheim-Jeune…

René Gimpel à Giverny

Claude Monet dans son atelier, photo de novembre 1913 illustrant un article d’André Arnyvelde publié dans « Je sais tout » du 15 janvier 1914. Photographe anonyme

On peut s’interroger sur ce qui a poussé Bernheim à rétrocéder les tableaux à prix coûtant à leur auteur, car celui-ci ne risquait pas de savoir combien le marchand les avait achetés à Jacques Hoschedé. Il me semble qu’il voulait faire de Monet son redevable, et ainsi entrer en relations commerciales avec lui. En effet Monet était alors un peintre recherché. Proposer ses tableaux valorisait la galerie de Bernheim. Or Monet avait suffisamment de marchands pour ne pas en chercher d’autres. En fait de faveur, c’en était déjà une, pour Monet, d’accepter de vendre des tableaux à Bernheim.

Je n’ai pas pu savoir quels étaient les huit tableaux qui ont brièvement appartenu à Jacques Hoschedé. Son nom ne figure pas dans l’index des collectionneurs du catalogue raisonné de Daniel Wildenstein. On y trouve son père Ernest Hoschedé, bien sûr, avec 32 numéros. Son frère Jean-Pierre Hoschedé a possédé 11 Monet, sa soeur Blanche Hoschedé-Monet en avait 16 (les siens et ceux de Jean Monet, je suppose), Suzanne Hoschedé-Butler 4, Germaine Hoschedé-Salerou 9. En ce qui concerne Michel Monet, la liste est interminable.


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