Claude Monet dans son premier atelier de Giverny
Suite de la visite de Georges Bernheim et René Gimpel à Giverny le 19 août 1908. La conversation roule sur les peintres et la peinture :
« Venez dans l’atelier », nous dit-il. C’est une grande salle rectangulaire. Au mur sont accrochés une centaine de tableaux environ qui courent et s’échelonnent sur trois ou quatre rangées. Pour la plupart, ce sont des peintures peu intéressantes, assez plates, sans couleur, ce sont des préparations. Parfois, un tableau sort de l’ordinaire. J’en vois un qui m’a l’air de représenter une épaisse forêt avec des éclaircies de lumière surprenante, et cette forêt de fleurs peut être celle de son jardin.
Ma réflexion sur la peinture moderne lui a plu car il m’en reparle et me dit : « Je préfère une nature morte peinte par Delacroix à un tableau de Chardin. » Comme la conversation tombe sur le paysage, je fais : « Vous êtes quelques maîtres qui, au XIXe siècle, avez porté l’art du paysage à un sommet qu’il n’avait jamais atteint. » Monet s’écrie : » Ne m’appelez pas : maître, je n’aime pas ça. » Je proteste, je ne l’ai pas appelé : maître, et j’ajoute : « Vous me rappelez Renoir qui ne veut pas entendre prononcer le mot maître. »
« – Je suppose, observe-t-il, que ces Hollandais n’ont pas vu la nature en jaune. Leurs couleurs ont dû changer. Quand nous étions jeunes, nous nous promenions au Louvre et nous comparions nos manchettes au linge des personnages de Rembrandt et jugions que ses toiles sont loin des couleurs originelles ; Rubens, lui, a fait de beaux paysages. »
Georges Bernheim prononce le nom de Corot et Monet dit : » Il n’a pas mis sur ses toiles assez de pâte. Je ne sais ce qu’elles deviendront avec le temps, les vernis et les nettoyages ; je me demande ce qu’il en restera, bien peu, j’en ai peur ! »
Monet est comme Renoir, très préoccupé de l’évolution chimique des couleurs et il assure que lorsqu’il peint il ne cesse d’y penser.
Source : René Gimpel, Journal d’un collectionneur marchand de tableaux, éditions Calman-Lévy, 1963
Intéressant,je ne savais pas que Monet était si soucieux du devenir des couleurs et il avait raison….un « maître » en peinture