Êtes-vous satisfait de votre mémoire ? Je parierais bien que non. Tout le monde aimerait que cette fonction de notre cerveau en fasse un peu plus.
Cesse, par exemple, de faire sa maniaque en fichant à la poubelle beaucoup trop vite ce que nous nous sommes donné tant de mal à apprendre.
Tienne à jour le trombinoscope de nos relations pour nous ressortir la fiche adéquate instantanément en cas de besoin.
Accepte d’accueillir des données nouvelles. Oui, oui, ça va faire des cartons supplémentaires à stocker, mais quand même, on a la place !
Notre mémoire, elle nous fait l’effet d’être aussi vaste que celle d’un ordi tout neuf, mais elle se comporte comme celle d’un ordi qui a déjà bien servi : elle s’imagine toujours qu’elle est sur le point d’exploser et qu’il faut faire du vide.
Tous les métiers font appel à la mémoire – je veux dire à la fonction de restitution de choses apprises – mais certains plus que d’autres. En ce qui me concerne, et sans doute pour beaucoup de jardiniers aussi, l’apprentissage des noms de fleurs est un bras de fer permanent.
Pourquoi est-ce si difficile ? Certains noms rentrent tout seuls, presque par jeu, comme asclépia ou crocosmia. D’autres reviennent au bout de quelques jours quand la plante réapparaît, comme lysimaque. Mais certains se rebellent.
J’avais oublié le nom de l’agastache, cette belle vivace à fleurs bleues. Par chance, j’en ai une dans mon jardin, avec l’étiquette de la jardinerie ; j’ai pu me rafraîchir la mémoire, me taper le front et comprendre l’origine du problème.
Quand on lui dit agastache, notre inconscient entend agace tache. Comme nous sommes des gens bien élevés, nous avons appris que nous devons avoir une tenue correcte et absolument exempte de tache. Si on s’en fait une, c’est agaçant. Il va falloir se changer ou supporter un malaise.
Quand la mémoire flanche, il y a souvent du malaise pas loin. Dans le discours professionnel, où nous contrôlons notre langage, nous nous efforçons d’éviter les familiarités et pire, les grossièretés. En proférer une par inadvertance nous mettrait très mal à l’aise.
Notre surmoi en alerte a tendance à en faire un peu trop. C’est lui qui fait trébucher les présentateurs télé sur les mots en ouille, aussi innocents soient-ils.
Le nom de fleur qui a le malheur de présenter la moindre analogie avec des vocables appartenant à la sphère génito-anale est impitoyablement éliminé. A la trappe, l’osteospermum !
Alors, il y a des ruses. Pour éviter que les mots ne passent dans le vide-ordure, chacun a ses astuces. Les listes de vocabulaire. Les sachets de graines qui traînent dans la voiture, et dont on va relire le nom trois fois par jour. La décomposition en calembour.
Tous les moyens sont bons, surtout quand il faut apprendre le nom des fleurs en trois voire quatre langues. Parce que, pour les guides à Giverny, il est préférable de ne pas sécher trop souvent. Ça créerait un malaise.
La preuve ? Aujourd’hui, c’est un comble, j’avais oublié comment on disait mémoire en allemand. (Gedächtnis, merci, mon interlocuteur me l’a soufflé.)
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Merci Ariane pour ce sympathique et intéressant billet. Il m’a permis de "reconnaître" instantanément (en fait de superposer le nom et l’image) la fleur que j’avais vue il y a 15 jours à Giverny : je savais qu’elle avait un rapport avec le diable, que j’en avais déjà eue dans mon jardin il y a longtemps… En vous lisant, j’ai retrouvé son nom complet : c’est Crocosmia LUCIFER ! et c’est celle que l’on voit dans votre billet précédent.
L’osteospermum ne me pose pas problème (sauf qu’il ne fleurit pas chez moi !) mais je n’arrive jamais à me souvenir du nom de cette plante de jardin de curé, qui sent la vanille…. notre ami Google, lorsque je lui propose cette définition m’en rappelle le nom : c’est l’héliotrope !
Bonne journée.
Odile, ça c’est intéressant, l’aspect diabolique, mais oui, ça tombe sous le sens ! Ca fait un peu celui-dont-il-ne-faut-pas-prononcer-le-nom, si vous voyez ce que je veux dire. Pour héliotrope, une suggestion qui vaut ce qu’elle vaut : peut-être que vous trouvez ce nom illogique, cette fleur ne ressemble pas à un tournesol. Notre inconscient a plus d’un tour dans son sac !