Ce tableau figure au catalogue raisonné de Claude Monet sous le titre "Les Coquelicots à Argenteuil". Au musée d'Orsay où il est conservé, on le nomme "Les Coquelicots". Exécuté en 1873, c'est l'une des toiles les plus célèbres de Claude Monet.
Vous trouverez sur ce site le lieu où l'on suppose que le peintre s'est installé pour exécuter cette oeuvre. Il n'y a pas beaucoup d'éléments identifiables, mais il semblerait que le cadre soit plutôt celui de l'île Marante, sur le territoire de la commune de Colombes, et non pas Argenteuil située sur l'autre rive de la Seine. Cela n'a au fond pas tellement d'importance, car le paysage a été radicalement transformé par l'urbanisation.
Quiconque a déjà vu un champ envahi par les coquelicots accepte sans sourciller l'idée du titre, selon laquelle les taches vermillon du tableau représentent les fameuses fleurs sauvages. Mais si l'on vient d'une partie de la planète où les coquelicots sont inconnus, il est difficile de voir dans ce tableau une représentation florale.
Il y a de l'audace dans ce titre, comme dans le tableau lui-même. Monet aurait pu lui donner un nom plus conventionnel, tel que "Promenade dans les prés" ou encore "L'Eté". En choisissant "Les Coquelicots", il affirme qu'ils sont le vrai sujet de l'oeuvre. Les personnages ne sont qu'un prétexte pour animer la scène. Ce qui compte, ce sont les taches rouges qui font vibrer le paysage.
Il ne fait pas de doute que la jolie jeune femme et le petit garçon qui parcourent l'image, en haut et en bas du talus, sont la famille de Claude Monet : Camille, qu'il a épousée en 1870, et le petit Jean, né en 1867. Le fils de Monet porte le même chapeau de paille à ruban rouge que sur d'autres toiles, par exemple l'admirable Femme à l'ombrelle où il pose, le même été, à côté de sa mère.
Monet n'est pas dérangé par le fait de faire figurer plusieurs fois les mêmes modèles sur un tableau. C'est une convention picturale courante. Dans le Déjeuner sur l'herbe, on reconnaît trois fois son ami Bazille.
Ici, les vêtements différents portés par la femme du haut et celle du bas sont peut-être l'indice de deux séances de pose distinctes, comme un signe du temps qui passe. Cette image du temps se matérialise aussi dans l'idée d'une promenade, le temps qu'il faut aux personnages pour aller du haut du talus jusqu'au bas de celui-ci. Comme dans les tableaux du Moyen Âge, Monet semble représenter plusieurs scènes consécutives sur la même toile.
Il est à noter que Monet a exécuté une deuxième toile de la même scène (collection particulière) en ne conservant que le couple du bas.
Le tableau n'est pas très grand, 50 cm par 65 cm. Les personnages sont à peine esquissés, et pourtant Monet y a mis tout l'amour qu'il porte à sa femme et à son fils. Camille, saisie dans une attitude toute en grâce et en féminité, a laissé son ombrelle glisser vers l'arrière, dévoilant le dessous tendu de bleu pâle, comme un rappel du ciel. A ses côtés, l'enfant n'a que le haut du corps qui dépasse des herbes. Réduit à un buste, il rappelle les putti de la Renaissance.
Pour marquer l'éloignement, les traits des visages sont indistincts, ils se présentent comme des taches claires. L'impression de perspective et de profondeur est renforcée par la rangée de coquelicots du premier plan, plus grands que les autres.
Qu'est-ce qui fascine tant dans cette oeuvre ? Elle suscite spontanément l'empathie. Le spectateur se projette dans les personnages à peine suggérés : on se souvient d'avoir, enfant, cueilli des coquelicots, on est cette jeune femme élégante qui cherche son équilibre comme un funambule, en écartant un peu les bras, tandis que le vent joue dans les rubans de son chapeau, on est le peintre qui immortalise la scène champêtre.
Surtout, l'expérience sensorielle proposée par l'image séduit. Avancer parmi les fleurs, se glisser au milieu d'elles jusqu'à mi-corps, comme on marche dans la mer. C'est une expérience qu'on peut faire en ce moment à Giverny dans le jardin créé par l'artiste. Les coquelicots et les pavots sont si hauts qu'ils masquent les allées. De loin, les visiteurs semblent baigner dans une marée florale. C'est une expérience de fusion avec la nature, symbolique de la relation que Monet entretenait avec elle.
Ce tableau daté d'un an avant la première exposition impressionniste concentre bon nombre des principes chers au mouvement dont Monet est le chef de file, notamment la peinture de plein air, les teintes claires, et l'utilisation de taches de couleurs sans souci du détail. Mais il présente aussi certaines caractéristiques plus conventionnelles : représentation des loisirs bourgeois, et cette étonnante palette grisée rehaussée par les arbres sombres, qui évoque celle de Corot.
Monet a fixé sur la toile une lumière tamisée par les nuages. Ils sont très nombreux à circuler dans le ciel, et c'est sans doute la raison pour laquelle Camille a laissé son ombrelle reposer sur son épaule. Elle n'en a pas besoin, les nuages ombrent la scène.
On peut comparer les teintes adoucies des Coquelicots d'Orsay à celles, éclatantes, du Champ aux coquelicots de l'Art Institute de Chicago peint en 1890.
Certaines oeuvres d’art nous donnent le frisson car elles concentrent , en peu de mots , ou sur une faible surface , par delà l’espace et par delà le temps, l’universelle condition humaine, la vie , éternelle tout autant qu’éphémère , qui se renouvelle sans cesse : c’est le cas pour la chanson de Clément : Le temps des cerises, qui , oublions l ‘incontournable rengaine des fins de repas de famille, nous brise le coeur quand on est attentif aux paroles .
C’est le cas pour cette page remarquable de Colette : " Où sont les enfants ?" cette question demeure, cosmique, universelle, alors qu’il n’y a plus d’enfants, plus de mère qui les cherche, plus d’écrivain qui les évoque, seulement une question sans réponse, un lecteur qui a le coeur gros , et le frisson .
C’est le cas également du tableau de Berthe Morisot " Le berceau " : une maman contemple son enfant qui dort, attentive , remplie d’amour, encore étonnée par ce miracle de la vie qui est passé par elle, Berthe Morisot peint sa soeur Edma, qui a abandonné la peinture pour donner le vie . c’est le choix de nombreuses artistes femmes : la vie plus forte que l’art . seule une femme peintre pouvait ainsi comprendre et peindre ce regard concentré, émerveillé et apaisé : accepter de donner la vie, c’est accepter la mort .
C’est enfin le cas des " Coquelicots " de Monet : " tant qu’il y aura des hommes ", disent les pompeux . Camille n’est plus, Jean n’est plus, Claude n’est plus, mais, tant qu’il y aura des printemps, et tant qu’il y aura des coquelicots sur les talus …… voyez comme nous sommes fragiles , et cependant éternels .
Geneviève
Geneviève, c’est la beauté de l’éphémère, n’est-ce pas ?
j,ai retrouvé un tableau champ de coquelicot à la poubelle imprimé au Louvre pièce N° 900 en bonne état, je voudrais savoir sa valeur, cordialement.
Si c’est une reproduction imprimée, la valeur est de quelques euros.