Se plaindre de son jardin est un filon intarissable, qui peut devenir comique si on a le talent d’Octave Mirbeau.
La correspondance de l’écrivain avec Claude Monet regorge d’allusions au jardinage et aux fleurs. Mais Mirbeau, si fin jardinier, ne peut se départir d’un sentiment d’infériorité par rapport aux gens qu’il admire et qu’il déifie. Il met souvent une certaine complaisance à l’auto-dénigrement, et son humour finit par avoir des accents touchants. Voici ce qu’il répond à Monet depuis sa propriété des Damps à la mi-juillet 1890, une période où le peintre en pleine crise morale vient de lui écrire qu’il est « foutu » :
Si vous faites une petite interruption dans votre travail, c’est vous qui devriez venir en famille passer une journée ici. Nous essaierions de nous remonter réciproquement le moral, et, quoi que vous en disiez, mon bon Monet, j’en ai bien plus besoin que vous, parce que vous c’est vous, et que moi c’est personne, parce que vous au moins, vous avez la consolation d’un beau jardin, et que moi… Ah ! il se passe dans le mien des choses véritablement extraordinaires. Dieu sait si les plantes étaient mesquines. Eh bien, au lieu de pousser, les voilà qui rapetissent. Chaque jour je constate une diminution de un ou deux centimètres. Et je m’attends, un de ces matins, à ce qu’elles vont rentrer en terre complètement.
Il ya là un phénomène surprenant. La terre a été abondamment fumée ; durant la sècheresse, l’arrosoir a fait rage. Peut-être qu’elles poussent par en bas, et que je vais avoir un jardin souterrain. Et pour comble d’infortune, Vilmorin s’est moqué de moi d’une façon outrageante. Je lui demande des capucines naines, il m’envoie des capucines grimpantes. Je ne sais plus que faire de celles qui me restent, ni comment les diriger. C’est absurde. Et voilà une maladie inconnue qui s’abat sur mes 50 tristes reines-Marguerite. Elles poussent sans feuilles, une hampe dépourvue de tout, une hampe qui ressemble à un bout de bois mort. Comme tout a crevé, pour occuper les places vides, le jardinier m’apporte des balsamines. Des balsamines ! La fleur la plus bête que je sache. Ah ! je suis bien loti, et tout s’acharne pour me rendre fou. Enfin, mon ami, le jardin est des plus curieux, en ce sens qu’il n’y a rien, et que ce qu’il y a est moins que rien. Il faut voir cela.
Et vous, vous reconnaissez-vous en Mirbeau ? Vous arrive-t-il de vous plaindre de vos plantes ?
Photo : La balsamine, « la fleur la plus bête » qui soit, selon Mirbeau.
A quelle aune se mesure la "bétise" d’une fleur ???
A sa facilité de culture peut-être ? A ce qu’elle est si courante qu’elle a l’air quasi sauvage ? Ah ! Ces jardiniers, il leur faut toujours des challenges !