Peut-être cette photo vous dit-elle vaguement quelque chose. J’avais été intriguée, il y a plus d’un an, par cette chapelle tronquée, et vous avais fait part de mes conjectures.
Samedi dernier, j’ai découvert le fin mot de l’histoire de cette église, à l’occasion d’une journée de formation en compagnie d’un archéologue. Une histoire encore plus étonnante que ce que j’avais pu imaginer.
Cette chapelle s’élève à Château-sur-Epte et se nomme chapelle Saint-Martin. Une dédicace à Saint-Martin indique en général un édifice très ancien. C’est le cas ici.
Remontons à la fin du 11e siècle, vers 1096. Guillaume le Roux, fils de Guillaume le Conquérant et duc de Normandie, a décidé de construire un château-fort pour défendre la frontière de son domaine avec le royaume de France. Au sommet du coteau qui domine l’Epte, à 1,5km de la voie romaine, il fait élever une motte castrale surmontée d’une tour. La forteresse prend le nom de Château-sur-Epte. Elle se dresse à huit cents mètres d’un village regroupé autour d’une église paroissiale, notre chapelle Saint-Martin, une église complète plus grande qu’aujourd’hui.
Le duc est tué dans un accident de chasse, et c’est son frère Henri Ier Beauclerc qui lui succède. Le nouveau duc décide que la forteresse de Château sur Epte doit être entourée d’un village, lui-même fortifié. Comment remplir ce bourg castral ? C’est simple : d’une main ferme qui manie la carotte autant que le bâton, le duc va obliger les habitants de la paroisse Saint-Martin à déménager.
Voilà donc tout le village de Château-sur-Epte qui se translate de huit cents mètres. Le duc est content, il va pouvoir contrôler la production des artisans, les ventes sur les marchés, et percevoir des taxes qui serviront à entretenir le château.
Les habitants, de leur côté, sont peut-être moins enthousiastes. Car leur église n’a pas suivi le mouvement, elle est restée à son ancien emplacement. Et les fidèles de multiplier les aller-retour entre le bourg et la chapelle, maintenant perdue au milieu des champs.
Les navettes ont duré aussi longtemps que la chapelle est restée église paroissiale, jusqu’au 19e siècle. Puis elle a été abandonnée et elle est devenue une carrière de pierres. Il n’en reste plus que l’abside et une partie du choeur, tout le reste a été démoli.
Pour étayer son hypothèse concernant le déplacement du village, notre archéologue nous a raconté qu’autour de la chapelle on trouve fréquemment, à l’époque des labours, des fragments de céramiques datant du 10e au 12e siècle, et jamais au-delà. C’est le signe de la présence d’un village à cet endroit, puis de sa disparition.
Passionnant et enthousiasmant, merci Madame !!!
Ainsi la chapelle se trouve amputée QUE parce que elle est devenue carrière de pierres :
Je suis déçue, j’imaginais bien Saint Martin, après avoir d’un geste élégant tout autant que généreux, partagé son manteau, partager aussi la chapelle d’un coup d’épée mythique, et en déménager un tronçon huit cent mètres plus loin .
d’ailleurs, l’étymologie du mot " chapelle " fait directement référence au manteau, à la "chape"
de Saint – Martin . ( merci wikipedia ).
étonnant, non ?
Merci pour ce détail que j’ignorais, Geneviève ! Je vais en parler pendant mes visites, et je penserai à vous ! Voici les précisions de Wikipédia :
La chapelle palatine d’Aix-la-Chapelle (alors appelée Aix avant sa construction) a été nommée ainsi à partir du mot latin capa, en référence à la relique de la chape de saint Martin de Tours qui se trouvait dans l’édifice. Dès lors, grâce au rayonnement international d’Aix-la-Chapelle, le mot capella (puis chapelle en français) a été utilisé, dès le IXe siècle, pour désigner d’autres édifices religieux n’ayant pas les pleins droits paroissiaux.
J’aime bien cette photo, il y a le plan du sol qui est bien réel et un plan de coupe vertical qui traverse un lieu anciennement consacré.
Les églises isolées c’est comme la cathédrale gothique de NewYork, on a l’impression de franchir une porte temporelle au passage du portail.