Saint-Ouen-sur-Iton mériterait de s’appeler Saint-Ouen-sur-Maire, mais le nom était déjà pris. Ce village de l’Orne dédié au grand saint normand (Saint-Ouen de Rouen, et merci de faire rimer les deux, quand bien même vous seriez un habitué des puces de « Saint-Ouin »), ce village donc a eu un maire un peu spécial, et si la canonisation existait pour les premiers magistrats des communes, nul doute qu’il aurait été sur les rangs.
Voilà longtemps que j’avais envie d’y aller car Saint-Ouen-sur-Iton est célèbre pour une particularité architecturale, ses cheminées qui tire-bouchonnent. Elles font un tour, ou deux, voire trois pour les plus folles, et cela donne un côté fantaisiste et inattendu aux maisons.
C’est très charmant, mais ce n’est pas ce qui surprend le plus sur la place du village. Non, ce qui cloue les visiteurs, c’est l’envahissante présence d’un maire au long cours disparu depuis un siècle, Désiré Guillemare. Il n’a pas seulement sa rue, il a sa statue, sa colonne monumentale, et bien sûr une tombe qui vaut le détour dans le cimetière municipal.
Un peu imbu de lui-même, le bonhomme ? On serait tenté de le croire, et puis on se met à lire les textes interminables qui accompagnent les monuments, et l’image qu’on se fait de ce maire du 19e siècle s’affine jusqu’à devenir involontairement touchante.
Quand Désiré Guillemare arrive aux affaires, en 1852, Saint-Ouen compte 400 habitants répartis en plusieurs hameaux. L’ambition, le désir de Désiré est de créer un bourg là où il n’en existait pas. En rase campagne, entre Verneuil-sur-Avre et l’Aigle, le maire va jouer à Sim City avant l’heure, en vraie grandeur et le plus souvent avec ses deniers.
Selon « Ouest-France », Guillemare était rentier, fils unique d’agriculteurs aisés, et propriétaire d’un commerce de bois. Il a du temps, quelques moyens, le sens du bien commun et sans doute l’angoisse sourde de laisser une trace de son passage sur la terre.
Alors il bâtit : une mairie et une école, des lavoirs, il trace et répare des chemins, il obtient une halte (de chemin-de-fer je suppose) et des ponts… Et pour tout cela il se démène, réclame des subventions, lance des souscriptions avec promesse (tenue) de faire graver les noms des généreux donateurs, il négocie pour éviter les dommages dus à la guerre.
Comme son énergie est inépuisable, il s’occupe de tout, il sponsorise le concours de labourage, il ouvre des carrières pour pallier le chômage hivernal, il établit un cimetière, une compagnie de sapeurs-pompiers, un bar-tabac, un théâtre « pour les pauvres », un jeu de boules, il offre une horloge pour la mairie, il va jusqu’à instituer une fête de la rosière qu’il dote, naturellement. Et encore, interminablement classés par ordre chronologique, des chemins, des chemins, des chemins…
Lui-même arrive au bout du sien et se prépare à passer de l’autre côté. Je ne sais pas s’il a eu des descendants ou s’il a légué tous ses biens à la commune, notamment la mairie qui était « sa demeure » comme l’indique une carte postale. Tout comme l’école, le maire avait fait construire la mairie à ses frais et percevait un loyer. Les affaires communales et les siennes propres étaient décidément bien emmêlées.
A la fin de son parcours, donc, Guillemare se préoccupe de sa gloire. Il est décoré. Il organise l’inauguration en grandes pompes du village. Il devient doyen des maires de France, indéfectiblement réélu pendant 52 ans jusqu’à sa mort à l’âge de 84 ans. Et il a cette idée extravagante de la colonne à sa gloire.
Quand je dis colonne, ce n’est pas tout à fait cela. C’est un phare Sollerot. Du haut de ses quatorze mètres, il éclairait la place du village à l’acétylène dès 1897. Mais le monument n’a rien d’un phare, c’est un empilement de niches ornées de statues naïves glorifiant le maire.
Sur la fin, Désiré Guillemare s’est préoccupé davantage de l’église. Il lui a offert une cloche, des bancs, un harmonium, a fait paver le choeur… Ses obsèques ont certainement eu toute la solennité requise. Post-mortem, Guillemare a même fait une surprise à ses concitoyens : sa statue grandeur nature, qui a l’air d’être en bronze, a été dévoilée le jour de son enterrement. Comme s’il avait voulu dire à ses administrés : « Je ne vous quitterai pas. »
Peut-être croyait-il aux forces de l’esprit, comme François Mitterrand. De fait, on a l’impression qu’il est toujours là.
Une visite qui s’imposait avec un tel personnage!
Les cheminées sont originales,je n’avais jamais vu.
Marie-Claude, il paraît que c’est unique en France, à part deux ou trois exceptions individuelles deci-delà.
Un maire entreprenant qui a soigné sa postérité ! Des cheminées torses fort décoratives – elles le sont si rarement.