La belle église de Dives-sur-Mer, dans le Calvados, a été fondée à l’époque de Guillaume le Conquérant, au 11e siècle. C’est en effet à Dives que le duc de Normandie a préparé sa flotte pour partir à la conquête de l’Angleterre en 1066. Mais l’essentiel de l’église est plus tardif et de style gothique.
Que retient-on d’une visite ? Le détail le plus marquant, l’explication la plus convaincante. Ce qui nous touche ou nous éclaire. Tout le reste sera bientôt avalé par les sables mouvants de l’oubli.
A Dives-sur-Mer, notre guide nous a montré la liste des compagnons de Guillaume gravée dans la pierre au 19e siècle. Mais la stèle est placée en hauteur, les noms ne sont guère lisibles, et pas tous exacts. Ensuite elle nous a détaillé le vitrail qui relate la légende de la statue du Christ-Sauveur, repêchée deux fois dans la mer. Mais la statue elle-même a été détruite pendant les guerres de Religion. Je ne crois pas que je me souviendrai de tout cela dans dix ans, ni des graffitis marins mêlés aux graffitis contemporains sous le porche.
Mais l’élément qui restera peut-être, ce sera le trou aux lépreux, une disposition étonnante que je voyais là pour la première fois.
Il paraît que de nombreuses églises disposaient autrefois d’un hagioscope. Ils ont été murés lorsque les grandes épidémies de lèpre ont disparu, à partir du 15e siècle.
Le nom seul dit tout. Une ouverture pratiquée dans la muraille permettait aux malades contagieux de suivre la messe avec vue sur l’autel depuis l’extérieur de l’église. A Dives, elle est oblique et va en se rétrécissant. Tout au bout, on aperçoit un christ en croix, autrefois probablement celui envoyé par la mer.
C’est habile, efficace, alors qu’est-ce donc qui m’étreint tandis que je me penche à cet oeilleton ? Ce paternalisme qui ne parvient pas à masquer l’extrême violence d’être exclu, il me révolte. Quelle terrible société qui met les malades dehors, mais leur propose ce pis-aller pour vivre leur foi, sans doute pour se donner bonne conscience… Ces siècles-là agissaient en fonction de leurs valeurs et de leurs connaissances, il n’était sans doute pas possible de faire autrement, mais que cela nous paraît dur aujourd’hui.
Et dans sept cents ans, quel regard porteront les générations futures sur notre société d’aujourd’hui ? Leur paraîtra-t-elle brutale et injuste, ou aura-t-elle le parfum de l’âge d’or, du paradis perdu, juste avant les grandes catastrophes écologiques ?
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