C’est tout le mérite de Marc Elder d’avoir fait parler Monet à propos de la peinture des maîtres qui l’ont précédé. Dans son livre A Giverny chez Claude Monet, deux pages avant l’épisode Daumier, Monet évoque l’émotion qui l’a saisi face aux chefs-d’oeuvre du musée du Prado à Madrid.
Le Prado ! Quel musée ! Le plus beau de ceux que je connais. Quand je me suis trouvé dans ces salles, au milieu des Titiens, des Rubens, des Velasquez, des Tintorets qu’on dirait faits d’hier, qui éclatent de force, de lumière, de couleur, l’émotion m’a empoigné au coeur, à la gorge, et j’ai pleuré, pleuré sans pouvoir me contenir… (…) Que voulez-vous, c’était plus fort que moi….
Marc Elder est un interlocuteur de choix pour Monet : il est conservateur de musée. Il s’y entend en peinture. C’est ce qui incite Monet à poursuivre, avec une grande modestie :
Quels colosses à côté de nous ces grands peintres !… J’ai vu à Venise, un fragment du Tintoret, par terre, là, sous mes yeux… Etourdissant ! Chaque morceau vous donne le coup dans l’estomac !… Et Titien, ce n’est qu’une gloire !… Croyez-vous qu’il est beau son François Ier du Louvre, avec ce nez prodigieux qui est tout le portrait, tout le tableau… Ah ! comme on l’aurait refusé au Salon celui-là !
Une phrase comme celle-ci intrigue, n’est-ce pas ? Elle donne une irrésistible envie de revoir ce portrait célèbre. Rien de plus facile aujourd’hui par le miracle de l’internet. En effet, quel nez…
J’en étais là, face à cette image reproduite à l’infini sur l’écran de l’ordi, et je n’aurais sans doute pas écrit une ligne sur cette histoire, sur l’émotivité positive de Monet, si une jolie coïncidence n’était venue m’en donner l’élan. Le même jour, un site de tourisme normand m’apprend qu’une exposition vient d’ouvrir à Evreux : « Autour du Portrait de François Ier par Titien » ! La toile du musée du Louvre est exceptionnellement dans la capitale de l’Eure, dans le cadre de l’opération « Catalogue des désirs » pilotée par le ministère de la Culture. L’idée est de « faire circuler au sein des territoires les chefs-d’oeuvre des collections nationales françaises. »
A peine plus tard, me voilà donc en face de l’oeuvre sublime mise en valeur par le musée d’Evreux. Elle rayonne. Le nez s’étale en pleine toile, magnifique. Monet avait raison : dans le jeu des couleurs naturelles du tableau, on ne voit que lui. Cela pourrait suggérer la caricature, mais c’est le contraire qui se produit : il y a de la superbe dans ce nez royal.
L’exposition explique que Titien a travaillé d’après une médaille de Cellini, c’est pourquoi il a exécuté un portrait de profil et non de trois-quart. La médaille originale est là, en vitrine. C’est un tour de force d’avoir su en tirer ce grand tableau plein de vie.
Devant l’oeuvre, je me laisse prendre par le mystère de la peinture. J’essaie de voir le portrait avec les yeux de Monet, de ressentir ce qu’il ressentait. Je ne pleure pas, mais la force de la toile me saisit. Je pense au clin d’oeil de là-haut qui m’a conduite devant. C’est comme une leçon de peinture, une voix dans l’ombre qui dirait « Tu vois ».
Exposition « Par quatre chemins – Autour du Portrait de François Ier par Titien (1539) » Musée d’Art, Histoire et Archéologie d’Evreux du mardi au dimanche jusqu’au 5 mai 2019. Entrée libre.
Belle coïncidence en effet,j’espère que quelques oeuvres vont arriver jusqu’ici…
J’ai commandé le livre de Marc Elder, vivement que je puisse le découvrir!
Belle semaine,Ariane,le soleil devrait être au rendez-vous
Sûrement ! On peut consulter le catalogue des oeuvres proposées en ligne sur le site du ministère de la Culture, c’est très curieux à voir.
Bonne lecture de Marc Elder, il rend Monet proche.
Voilà une belle ilustration de l’expérience décrite sur Bonheur du Jour, il y a peu : http://bonheurdujour.blogspirit.com/archive/2019/02/18/la-question-du-lundi-en-vrai-3129944.html
Ah oui, en effet ! Encore une jolie coïncidence, on dirait !