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De l’aube au crépuscule

Claude Monet, La plage à Pourville, soleil couchant, 1882, Musée Marmottan-Monet, Paris

Les impressionnistes affectionnaient les effets de lumière. Ils ont aimé représenter les plus spectaculaires, ceux du début et de la fin du jour. L’exposition proposée par le musée de Louviers dans le cadre du Festival Normandie impressionniste rassemble quelques beaux instants crépusculaires capturés par Monet et les peintres de son temps.

Mais l’expo ne s’arrête pas aux paysages. En prime, une section intimiste nous fait entrer dans les intérieurs bourgeois du 19e siècle, au fil de la vie, de l’aube au crépuscule.

Roger-Joseph Jourdain, Le nuage, 1885 Musée de Louviers

Ce tableau-ci, par exemple, m’a scotchée par sa théâtralité. Nul doute que c’est l’intention de ces rideaux ouverts, de cette femme qui nous fait face. On se croit face à la scène d’un théâtre.

L’oeuvre est signée d’un peintre né à Louviers, Roger-Joseph Jourdain, bien connu des milieux artistiques parisiens de l’époque. Ainsi, Jourdain participe à la souscription pour acheter l’Olympia de Manet à sa veuve et faire entrer le tableau dans les collections de l’Etat. C’est Monet qui se charge de rassembler les fonds.

Jourdain retranscrit une scène du quotidien et fait de nous ses spectateurs indiscrets : les deux protagonistes sont en train de se faire une scène, justement. Pas de doute là-dessus. Le nuage dont il est question dans le titre ombrage leur relation, et non cette lumineuse journée d’été.

Que se sont-ils dit ? Elle s’appuie sur la table, comme si sa tête était devenue trop lourde des mots qu’elle vient d’entendre. Il s’est éloigné pour regarder par la fenêtre, comme s’il préférerait être ailleurs. Il croise les jambes, prêt à faire demi-tour quand une réplique bien sentie lui traversera l’esprit.
Le spectateur cherche des indices. Que faut-il déduire de ce haut-de-forme et de cette paire de gants posé sur le tabouret, de cette table mise pour le thé ? Petit morceau de virtuosité que cette nature morte, où la théière d’argent reflète les tasses de porcelaine et même l’éclat de lumière sur le plateau.

Comme lorsqu’on entre dans l’appartement de quelqu’un d’autre, l’oeil parcourt les détails, les petits bouquets disposés partout, les pages négligemment coincées entre les livres sur l’étagère, les bibelots sur la cheminée, le reflet du jour sur le tapis, la fenêtre qui se dessine sur la cheminée, sans trouver la clé. Peut-être Monsieur a-t-il suggéré une sortie à Madame, et celle-ci aura décliné pour cause de mal de tête ? Il boude à la fenêtre. Il n’a pas touché à son thé.

Mais l’oeil revient encore et encore vers un détail du premier plan un peu agaçant. Le tapis fait une bosse, comme le faisaient les tapis de laine d’autrefois. Il est tout prêt pour qu’on se prenne les pieds dedans.
Pourquoi le peintre a-t-il pris grand soin de décrire ce détail ? Veut-il accentuer le réalisme de la scène ? Rien n’est apprêté. Le couple n’est pas en train de recevoir. Ils sont juste tous les deux, dans leur petit fourbi, tandis que passe leur nuage.
C’est à se demander s’il y a quelque chose de caché. Un non-dit dissimulé sous le tapis.


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