Cela peut se passer au milieu du déluge d’iris et de giroflées du clos normand, ou même devant les parterres plus sages du jardin d’eau. Parmi les nombreuses classes de jeunes enfants qui visitent en fin d’année les jardins de Claude Monet à Giverny, il se trouve toujours un garçon pour annoncer, un brin provocateur : « Moi, j’aime pas les fleurs. »
Les adultes présents, qui se sont donné beaucoup de mal pour l’organisation et la réussite de la sortie, font souvent mine de ne pas avoir entendu. Ils préfèrent, j’imagine, se laisser subjuguer par la beauté des jardins, plutôt que de répondre à la réflexion d’un gamin boudeur.
En revanche, les petites oreilles masculines dans lesquelles la remarque tombe se dressent avec vivacité. Les garçons sont heureux d’entendre leur copain dire tout haut avec aplomb ce qu’eux-mêmes pensent tout bas, mais dont ils percevaient l’aspect politiquement incorrect. Eux non plus n’aiment pas les fleurs, ou du moins c’est ce qu’ils pensent.
S’il y a une certaine audace à risquer le courroux des adultes par l’affirmation de son aversion florale, aucun garçon n’oserait reconnaître qu’il trouve les fleurs jolies. Le motif de ce silence est évident : les fleurs, ça fait fille.
Inutile de chercher à raisonner les petits mâles en argumentant que Claude Monet, concepteur de ces jardins, était un homme, que toute l’équipe des jardiniers ne compte pas une seule jardinière, et que la plupart des pépiniéristes, malgré l’aspect maternel qu’il peut y avoir à multiplier les plantes et à prendre soin des petites pousses, est à ranger du côté viril de l’humanité. Rien n’y fera. Les enfants sont imperméables à tout ce qui peut bien avoir cours parmi les adultes. Dans leur monde, ils savent bien, eux, que les fleurs sont des attributs de la féminité, comme la couleur rose, les perles, les cheveux longs et les robes. Il n’y a pas plus conformiste qu’un enfant de huit ou dix ans.
Hélas, ce conformisme masculin perdure parfois à l’âge adulte. Combien de messieurs, tirés à Giverny par leur femme, ou venus dans l’intention louable de lui offrir un plaisir, subissent-ils la visite ? Ils s’ennuient. Ils tripotent leur portable. Ils bâillent. Ils disent à madame, n’as-tu pas fini de prendre toutes les fleurs en photo ? Au mieux, ce sont eux qui tiennent l’appareil, retrouvant une contenance derrière ce semblant d’activité technique.
Que leur a-t-il manqué pour savoir apprécier la beauté des fleurs fraîchement écloses ? Sans doute juste l’autorisation de les aimer, un père esthète et peut-être jardinier qui leur aurait dit, regarde comme c’est beau, une rose…
Ce cadrage serré sur ce tapis d’iris et de giroflées donne le tournis.
Bah, combien sont-ils, ces réfractaires à la beauté des fleurs ? à la beauté en général ? Je crois naïvement qu’ils représentent une goutte d’eau dans la marée qui submerge, aux heures d’ouverture, les jardins de Monet.
Mais vous ouvrez, là, la porte à de grandes et passionnantes discussions.
Toujours trop nombreux à mon goût ! Ils me désolent !
Quelle merveille de découvrir chaque jour toutes ces fleurs
merci infiniment pour ce blog Ariane
amitiés
Qui êtes-vous Ariane, vous écrivez si bien…
Merci pour ce beau site que je découvre ce jour.
J’y suis très sensible connaissant bien la région où j’ai habité une quarantaine d’années. Personnellement, j’écris aussi, et avec plaisir.
Merci encore et bel été à vous et à vos lecteurs.
Vous voilà de retour chez vous, Elina, bienvenue ! J’espère que vous reviendrez un de ces jours !
A nous de leur apprendre à mieux les connaitre!
Ah, si j’osais, je répondrais bien à Thérèse, qui semble encore plus naïve que moi. Non, apprendre… non, décidément non. On peut peut-être apprendre à un individu, en prenant le temps, mais pas à une foule. La beauté existe depuis toujours, l’art existe depuis que l’Homme est Homme. Les artistes depuis qu’ils existent n’ont fait qu’essayer de transmettre la beauté, la tolérance, la paix et il y a toujours des guerres, de la violence, de l’horreur. Non, le beau ne s’apprend pas. Non Thérèse, on ne peut pas semer sur un tas de cailloux. Il y aura toujours ceux qui aiment les fleurs et ceux qui ne les aiment pas. C’est comme ça depuis le début.
Vous êtes rudement pessimiste, jazzloup. S’agissant des jeunes enfants dont parle le billet, tous les espoirs sont permis !
En effet, il m’est difficile de soutenir que je ne tiens pas des propos pessimistes. J’avais laissé de côté les enfants et avais pris en compte uniquement la dernière partie de votre billet qui décrit le comportement de certains adultes. N’empêche que ce que je dis est une réalité qu’on peut constater tous les jours en s’informant auprès de nos [chers] médias, et sans être généticien, je pense qu’il y a en chacun de nous des prédispositions à telle ou telle chose (d’où mon histoire de semis sur un tas de cailloux). D’aucuns seront prédisposés aux mathématiques, d’autres le seront à la pêche à la ligne etc. (ne dit-on pas avoir la bosse de ceci ou de cela ?).
Je crois que la sensibilité au Beau fait partie de ces prédispositions. On peut sans doute faire s’épanouir cette prédisposition mais pas la créer. Il existe probablement des gens qui possèdent beaucoup de prédispositions. Heureux les "omniprédisposés", heureux le mathématicien / peintre, heureux le forgeron / 1er violon (ou malheureux car, à moins d’être nantis, ils devront choisir). Pour revenir aux enfants, parmi ceux d’entre eux qui ont "la bosse du beau", il n’y aura pas besoin de trop forcer pour leur apprendre à mieux connaître la beauté des fleurs. Quant aux autres…
Promesse vous est faite, Ariane, d’essayer de montrer plus d’optimisme dans mes éventuels prochains commentaires (mais… si j’ai été prédisposé au pessimisme…)
Merci de votre blog, vos images, vos textes et des réflexions qu’ils génèrent.
Jean-Loup
Moi aussi , j’aime les fleurs et pourtant je suis un homme ! Et dire que les fleurs, ça fait fille ressemble beaucoup à un conformisme féminin. Désolé Ariane… mais généraliser est toujours critiquable.
Bernard, il ne s’agit pas d’une généralisation, mais d’observations faites dans les jardins de Monet, dont la récurrence me frappe. Dieu merci un grand nombre de messieurs, et même d’enfants, sont sensibles à la beauté des fleurs et des jardins, qu’ils soient jardiniers ou non ! Ce qui m’étonne, c’est que face à ce spectacle magnifique, certains puissent rester indifférents. Vous avez une autre explication à leur ennui que celle qui m’est venue à l’esprit ?