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Marie Bashkirtseff par elle-même

Ce nom me disait quelque chose : dans son exposition « Portraits de femmes », en 2016, le musée de Vernon présentait plusieurs toiles de Marie Bashkirtseff, une peintre morte quelques jours avant ses 26 ans, terrassée par la tuberculose, en 1884. Avec une vie aussi brève, l’artiste n’a pas eu le temps de laisser beaucoup d’oeuvres à la postérité, d’autant qu’un certain nombre d’entre elles ont été détruites par les Nazis, m’apprend Wikipédia.

Marie Batkirtsheff, Autoportrait à la palette, 1880

Le livre paru en 1933 aux éditions de la Madeleine est un curieux amalgame d’extraits du journal de la jeune femme, qu’elle entreprend dès ses douze ans, et de ses lettres envoyées anonymement à Guy de Maupassant. Elle s’en explique auprès de l’écrivain, alors qu’ils sont sur le point d’interrompre leur brève correspondance :

Pourquoi vous ai-je écrit ? On se réveille un beau matin et l’on trouve qu’on est un être rare entouré d’imbéciles. On se lamente sur tant de perles devant tant de cochons.
Si j’écrivais à un homme célèbre, un homme digne de me comprendre ? Ce serait charmant, romanesque, et qui sait, au bout d’une quantité de lettres, ce serait peut-être un ami, conquis dans des circonstances peu ordinaires. Alors on se demande qui ? Et on vous choisit.

Marie est tout entière dans ces quelques lignes. Aujourd’hui, on la qualifierait de surdouée. Son journal nous livre les mouvements incessants de sa pensée. Les fées se sont penchées sur son berceau et elle en a conscience. Elle se sait supérieurement intelligente, jolie et talentueuse, ce qui lui donne ce ton de supériorité arrogante.

Pourquoi contacte-t-elle le romancier sans dévoiler son identité ? C’est peut-être qu’elle voudrait être sûre d’être recherchée pour elle-même et non pas pour son nom, sa fortune ou sa figure. Mais elle déchante vite :

Vous ne me valez pas, a-t-elle le front d’écrire à Maupassant. Je le regrette. Rien ne me serait plus agréable que de vous reconnaître toutes les supériorités, à vous ou à un autre. Pour avoir à qui parler.

Autre trait agaçant de son caractère, elle est capricieuse ; elle ne sait pas ce qu’elle veut. Elle ne se sent jamais bien là où elle se trouve. Et puis, je la soupçonne d’être parfois méchante, avec le goût de faire des farces aux gens et de se moquer.
Elle est dévorée d’ambition et de vanité. « Je suis admirable et je m’adore », lance-t-elle à son journal. Elle rêve d’être connue, célébrée. Elle veut épouser un homme riche et vivre en grande dame. Elle raffole de la toilette. Se montrer. Bref, avec un tel narcissisme Marie Bashkirtseff n’est pas forcément quelqu’un qu’on aurait aimé avoir pour amie… jusqu’à ce qu’on découvre sa sensibilité extrême qui fait qu’on lui pardonne tout. C’est cette sensibilité qui la fait s’ouvrir à la question sociale. Elle adopte le style naturaliste. Son mentor : Jules Bastien-Lepage, dont le musée de Vernon possède une très belle toile :

Jules Bastien-Lepage, Paysage au charbonnier, l’hiver, Musée de Vernon

Le catalogue de l’exposition Portraits de femmes du musée de Vernon dit sobrement qu’elle « admire Bastien-Lepage et devient son amie ». Admirer, elle ? ce serait trop tiède. Elle l’adule. Son amie ? Elle l’aime, elle en est folle, elle ne pense qu’à lui. « Jules Bastien-Lepage est mon dieu ! », s’épanche-t-elle dans son journal. Faut-il y percevoir une pointe d’auto-ironie ? Non :

Bastien est un pur génie, Vélasquez peignait comme lui ; mais ce n’était qu’un peintre intelligent, tandis que Jules Bastien est un sublime artiste.

Il a aussi le bon goût d’être son contemporain, et il lui plaît : « Son portrait à lui est absolument un chef-d’oeuvre. »

J’ai bien peur, en attendant, que ma peinture ressemble à la sienne, note-t-elle avec lucidité. Je copie la nature très sincèrement, je sais ; mais tout de même, je pense aussi à sa peinture.
Pourvu cependant que mon tableau, Les Deux Gamins, ne ressemble pas trop à son Pas Mèche, un véritable chef-d’oeuvre !

L’air de famille entre son travail et celui du peintre lorrain est indéniable…
Mais deux obstacles vont empêcher l’idylle : Jules Bastien-Lepage a déjà une femme dans sa vie. Et son frère Emile en pince pour Marie, si bien que Jules s’interdit de lui rafler la belle artiste sous le nez.

C’est la mort qui les réunira. Marie et Jules s’éteignent à quelques jours d’écart, après s’être souvent rendu visite au cours des semaines qui précèdent leur agonie. Jules a 36 ans, il est célèbre. Marie est en passe de le devenir : l’Etat vient de lui acheter un tableau pour le musée du Luxembourg. Elle n’aura pas eu le temps d’exprimer tout son talent de sculptrice et d’écrivaine.


4 commentaires

  1. Très intéressant, ton billet sur cette jeune artiste à la vie si courte. Il me semble avoir lu des extraits de son Journal, mais je ne le trouve plus dans la bibliothèque et le souvenir est flou. Du caractère, en effet.

  2. Une artiste que je découvre avec plaisir grâce à toi, je suis allée sur Wikipédia..
    Quelle tristesse qu’elle soit partie si jeune. Comme elle l’écrit « oh oui elle pouvait peindre encore »…
    J’ai aimé ton billet
    As-tu trouvé ce livre aussi dans ton grenier???

    • Oui ! Comment il est arrivé là, mystère, il n’est pas dédicacé. C’est une lecture assez féminine, peut-être qu’il a appartenu à l’une des dames de la maison…

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Cher lecteur, ces textes et ces photos ne sont pas libres de droits.
Merci de respecter mon travail en ne les copiant pas sans mon accord.
Ariane.

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