Parmi tous les personnages inspirants de Giverny, visionnaires, passionnés, engagés, talentueux, Angelina Baudy tient une place à part. Cette femme du 19e siècle a su faire fi des limitations imposées au genre féminin à son époque et se comporter en véritable entrepreneur.
Rendons justice à son époux Lucien Baudy, représentant en machines à coudre et mercerie en gros, qui l’a laissé faire et certainement encouragée et soutenue dans ses projets. Cela mérite d’être souligné, à l’heure où tant de maris faisaient peser leur autorité sur leur épouse. On a l’impression qu’Angelina a eu carte blanche pour engager des travaux considérables. Témoins de la bonne entente du couple, les initiales LB ornent toujours la façade de l’hôtel Baudy. Le L ne signifie pas Lucien mais Ledoyen, le nom de jeune fille d’Angelina.
L’histoire commence au printemps 1886, quand un grand gaillard barbu pousse pour la première fois la porte de l’épicerie-buvette d’Angelina Baudy, un modeste établissement où les gars du coin se retrouvent pour boire le coup. Le barbu cherche une chambre, mais il ne parle pas le français et Angelina ne comprend pas un mot à ce qu’il lui demande. Est-il insistant ? Le prend-elle pour un rôdeur ? Toujours est-il qu’elle lui montre la porte. L’histoire, tant de fois répétée par la suite, est devenue un mythe. Certains narrateurs, qui ont peut-être exagéré sa réaction pour dramatiser l’anecdote, prétendent qu’Angelina met Metcalf dehors.
Ce n’est que le lendemain, quand l’Américain revient avec son matériel de peintre, qu’elle percute. Elle sait ce que c’est, Monet est installé depuis trois ans dans le village et peint en plein air. Son visiteur est artiste ! Il cherche à se loger !
C’est à cet instant que la personnalité d’Angélina se dévoile. La Givernoise aurait pu passer son existence à tenir sa petite épicerie-buvette, mais cette rencontre va changer le cours de sa vie et bouleverser celle du village. La jeune femme a un sens aigu de l’hospitalité. Généreusement, elle laisse sa propre chambre à Willard Metcalf, elle lui prépare des repas, à un prix modique. Le peintre est enchanté. Il promet de revenir avec des amis.
L’année suivante, en 1887, ils sont six, et c’est là qu’elle m’épate le plus : Angelina comprend le potentiel commercial de l’engouement des artistes étrangers pour le village. Son sens de l’accueil va révéler l’entrepreneuse.
Elle ose. Elle se lance. Elle a la foi dans son projet. Elle a confiance que ces messieurs vont revenir année après année. Bref, elle fait construire.
Douze chambres, puis d’autres encore. Des verrières au nord éclairent les combles où les peintres pourront travailler. Et un atelier est bâti dans le jardin.
Comment finance-t-elle ces travaux considérables ? Quel argent familial ou emprunté investit-elle ? C’est un pari risqué. Heureusement, le succès est au rendez-vous. Le mot circule, les artistes affluent. Angelina est attentive à leurs besoins. Elle est l’hôtesse parfaite.
Ses registres et notes d’hôtel, dont une partie nous est parvenue, révèlent l’identité des clients, leur nationalité, mais aussi la liste de leurs dépenses à l’hôtel Baudy : consommations, articles de toilettes, de mercerie ou de bonneterie, matériel de peinture venu des établissements Lefebvre-Foinet à Montparnasse, etc. Dans ce village perdu, ils ne manquent de rien. Et quand le mal du pays se fait trop fort, Angelina leur cuisine des recettes américaines : des haricots façon Boston, de la salade de crevettes à la mode de Kansas City, de l’omelette californienne, des côtelettes à l’anglaise, du pudding à Noël, le tout arrosé de bière, de whisky ou de champagne « Widow Cliquot »…
Et peu à peu les murs de l’établissement se couvrent de toiles, laissées en paiement ou en cadeau. Il y a une grande générosité chez cette femme, un coeur immense doublé d’un sens de l’action.
Elle ne s’arrête pas là. Veuve à 46 ans, la voilà seule aux commandes de l’entreprise familiale, secondée par son fils et sa belle-fille. L’ancienne remise à machines à coudre est transformée en salle de bal. Le potager alimente la cuisine, l’eau du toit alimente le bassin du potager… Le jardin devient un parc. On vient au Baudy pour téléphoner, se faire conduire en carriole à Vernon, jouer au tennis, faire la fête le soir, organiser un banquet pour le dimanche, prendre un verre, acheter du papier et des plumes… Angelina accueille les désirs des autres et y répond sans attendre. Elle a l’art de passer à l’action.
Quand elle s’éteint en 1942, si elle se retourne sur sa vie, elle doit avoir le sentiment que celle-ci a été riche et remplie. Et si elle n’a pas vraiment fait fortune, elle a vécu intensément, avec générosité. Un accomplissement qui va de pair avec, sans nul doute, le souvenir de s’être bien amusée.
Sur le caveau familial, elle apparaît comme Mme Lucien Baudy, selon un usage assez répandu où l’identité de la femme disparaissait derrière celle de son mari.
Merci pour cette histoire, que je connaissais dans les grandes lignes. Preuve que les femmes savent très bien se débrouiller lorsqu’on les laisse faire ..
Oui! Il y en a tant à qui on a coupé les ailes, et je crois qu’on en paie encore le prix.
La maison Baudy toujours très accueillante où nous avons fait une délicieuse halte après une visite dans les jardins et la maison de Claude Monet.
A recommander le bassin des nympheas
et l allée de capucines.
Quel lieu chargé de cette belle « histoire ».
Cette personne généreuse a du être heureuse et que de belles rencontres!
J’ai aimé ce billet .
C’est un bel exemple, n’est-ce pas ?
Oh oui!!!
Wir waren schon so oft am und im Hotel Baudy, haben auch fotografiert, die Buchstaben haben wir nie entdeckt, wo sind sie angebracht? Eine bemerkenswerte Frau, man muss
Angelina einfach gerne haben, wenn man ihre Geschichte und die vom Hotel Baudy kennt!
Die Buchstaben sind oben auf die Fassade. Stehen sicher auf Ihre Bilder! Danke für den Besuch, Renate!