Claude Monet, Nymphéas avec rameaux de saule, 1916-1919 – Lycée Claude Monet de Paris, en dépôt au musée des impressionnismes Giverny
Claude Monet n’a pas cessé d’innover tout au long de sa vie, à mesure que sa perception du monde et sa conception de la peinture évoluaient. Vers 1916-1919, date supposée d’exécution de ses Nymphéas avec rameaux de saule, il peint son bassin de Giverny depuis 20 ans déjà, et il continuera d’expérimenter avec ce motif unique jusqu’à sa mort en 1926.
La toile
La toile est de taille imposante : 1,80 m de large, 1,60 m de haut. Accrochée à quelques dizaines de centimètres du sol, le bord supérieur dépasse la tête du spectateur qui la contemple, tandis que les côtés sortent de son champ de vision. C’est le principe de l’immersion : une oeuvre tellement grande que vous plongez dans la peinture en oubliant le reste du monde.
Que montre cette toile ? Des feuilles étroites attachées à des tiges pendantes, où un oeil habitué à la promenade le long de plans d’eau paysagés reconnaît tout de suite des rameaux de saule pleureur.
Ce n’est pas l’idée de Monet de nous donner à voir un saule pleureur. Ce qui l’intéresse n’est pas l’arbre, mais l’expérience de voir à travers ses rameaux. Ils strient le paysage, arrêtent le regard sur eux en même temps qu’ils laissent deviner l’arrière-plan. On les voit et on voit à travers.
Monet s’est placé devant le saule, au bord de son bassin. Le tronc n’est pas figuré car il est derrière le peintre, dans son dos. Ce parti renforce l’effet d’immersion : nous aussi, nous voilà si près des branches que nous ne voyons pas d’où elles partent.
Les rameaux sombres contrastent avec un fond bleu ciel magnifique qui les met en valeur. L’harmonie de tons froids, la forme souple des feuilles de saule font tout le charme du tableau. Il en émane un grand calme.
Les branches de saule sont si présentes sur la toile qu’il faut un instant avant de remarquer un autre motif confiné au bas et aux côtés de la composition : des formes arrondies et vertes.
Le titre
Je me demande si, sans le titre Nymphéas avec rameaux de saule probablement donné après la mort de Monet, un spectateur non averti comprendrait. Le peintre n’a fait qu’esquisser la forme des feuilles de ses chers nymphéas. Pas une fleur. Titre d’ailleurs trompeur, puisqu’il aurait été plus exact de dire « Rameaux de saule avec nymphéas ». Les nénuphars sont clairement à l’arrière-plan. Faire passer les nymphéas en premier, c’est inscrire la toile dans la production artistique de Monet, évoquer implicitement les célèbres séries, souligner la présence du motif fétiche de l’artiste.
Les Nymphéas
Pour ses contemporains, pas de problème de compréhension : la Belle Epoque semait des nénuphars partout. C’était l’une des fleurs à la mode, à l’égal de la glycine ou de l’iris. Elles ont été largement exploitées comme motif décoratif de l’Art nouveau, qui faisait la part belle au végétal. L’amateur d’il y a un siècle n’a pas d’hésitation, ces formes rondes sont des feuilles de nénuphars.
Une fois que son regard a capté les nymphéas, le spectateur reboote. La présence des feuilles de nénuphar lui impose une nouvelle analyse de ce qu’il voit. Les nymphéas sont des fleur aquatiques. Leurs feuilles flottent à la surface de l’eau. L’arrière-plan bleu n’est donc pas le ciel comme il le croyait mais son reflet. La petite zone blanche sur la gauche devient un reflet de nuage. Tout en bas, les lignes plus ou moins verticales figurent le reflet des rameaux de saule eux-mêmes.
Monet rompt avec les règles traditionnelles de la peinture de paysage. Il n’a pas représenté les bords du bassin, ni l’horizon, ni le ciel. Immersion, encore : nous sommes si près que nous ne les voyons pas. Notre oeil boit le contraste des couleurs et des formes jusqu’à ce que nous nous sentions fondus dans cette nature que le peintre aimait tant. Pour mieux nous faire plonger dans l’eau du bassin, Monet en a redressé le plan à la manière des estampes japonaises. Pas de perspective, la surface de l’eau semble parallèle au plan des feuilles de saule.
La signature
Claude Monet n’a jamais signé Nymphéas avec rameaux de saule. Il avait l’habitude de poser son paraphe sur les tableaux qui quittaient son atelier pour cause de vente ou d’exposition, et qu’il considérait comme terminés. Ceux qui étaient encore chez lui n’avaient pas besoin d’être identifiés. Ce n’est qu’après sa mort que son fils Michel Monet a fait fabriquer un tampon d’atelier rappelant la signature de Claude Monet et qu’il l’a apposé sur toutes les oeuvres non signées dont il a hérité. Sur ce vaste tableau, le cachet paraît d’une petitesse disproportionnée.
Le cadre
Claude Monet considérait-il sa toile comme finie ? Voulait-il y travailler encore ? Impossible de trancher. Il n’a pas jugé bon de fignoler les contours du tableau, qui laissent apparaître la toile par endroit, discrètement encadrée d’une large baguette aux tons ivoire. Ce cadre n’entre pas en concurrence avec l’oeuvre et ne lui impose pas de limitation brutale.
Tout porte à croire que l’encadrement date de l’époque où le tableau a quitté Giverny pour être accroché à un endroit assez inattendu : aux murs d’un lycée parisien.
L’histoire du tableau
En 1954, Michel Monet, le fils du peintre, fait don de cette toile à l’établissement auquel on veut donner le nom de lycée Claude Monet, qui doit être inauguré l’année suivante. Il est situé dans le 13e arrondissement, près de la place d’Italie.
Michel Monet a 76 ans. Il possède encore beaucoup de tableaux de son père, surtout des grands panneaux décoratifs de Nymphéas qui peinent à trouver acquéreur. Les oeuvres de Claude Monet, en particulier les plus tardives, n’ont pas la cote qu’elles atteignent aujourd’hui. Elles ont connu une longue désaffection du public et des collectionneurs dès la mort de l’artiste. En 1954, le rebond s’amorce tout juste, les Suisses en particulier manifestent un nouvel intérêt pour Monet. Ce n’est qu’en 1955 que l’acquisition par le Museum of Modern Art de New York d’immenses panneaux du bassin aux nymphéas marquera un retour en grâce du maître de Giverny, considéré désormais comme précurseur de l’art abstrait.
Donc, au moment du don des Nymphéas avec rameaux de saule, le cadeau n’est pas démesuré. C’est un contre-don adapté à l’honneur de voir le nom de son père porté par un établissement scolaire, pour la première fois sans doute (mais pas la dernière !).
Depuis, la situation a quelque peu changé. Les Monet ont pris des valeurs stratosphériques et on imagine bien que la présence d’une telle oeuvre dans le bureau du proviseur pose un problème d’assurance et de sécurité. Nymphéas avec rameaux de saule est depuis plusieurs années en dépôt au musée des impressionnismes Giverny, pour le plus grand plaisir du public qui peut désormais l’admirer.
Les élèves de la cité scolaire Claude Monet ne sont pas privés d’art pour autant. Leur établissement possède une collection impressionnante d’oeuvres dues à de respectables artistes tels que le prix de Rome Jean Dupas, l’académicien Jean Bouchaud, une extraordinaire tapisserie d’Aubusson de René Perrot, (elle m’a scotchée, allez voir) et une série de quatre vasques monumentales au pied des escaliers.
Avoir la chance de côtoyer des oeuvres d’art au quotidien pendant ses années de scolarité, c’est aussi cela, l’immersion…
Passionnante approche de cette belle toile, merci Ariane.
Une étude approfondie de cette toile que je connaissais pas et que j’ai appréciée.
Beaucoup de chance pour ces lycéens qui étudient dans ce si bel environnement.
Un billet intéressant comme toujours!
Oui, si je peux me permettre, c’est classe !
Oh bien trouvé….