Averse

Hier, j’ai fait l’expérience de l’ironie du ciel, cet humour de là-haut dont on ne comprend pas vraiment la finalité, mais qui laisse l’impression que quelqu’un s’amuse à nos dépens.

Je guidais une auteure allemande qui prépare un roman ayant pour cadre Giverny.* Cette fois-ci, pour changer, pas de meurtre mais plutôt des romances, avec la famille Monet en toile de fond. Nous venions de commencer le tour du bassin aux nymphéas quand il s’est mis à pleuvoir. Bientôt, des trombes d’eau se sont déversées sur le jardin.

Il aurait été raisonnable d’aller se mettre à l’abri, comme tous les autres visiteurs. Mais le temps pressait, nous avions plusieurs lieux à repérer ensemble dans le village. Nous nous sommes lancées bravement sous la cataracte, dans le jardin déserté.

Accrochées à nos petits parapluies, nous écoutions d’énormes gouttes tambouriner sur nos têtes. Rester au sec relevait de l’illusion. Ma cliente, qui s’était levée à cinq heures du matin et avait fait toute la route depuis l’Allemagne, était hilare. Rien n’aurait pu doucher sa joie d’être là. Extatique, elle ne cessait d’exprimer son éblouissement devant la beauté du lieu.

L’averse s’acharnait sur l’étang, brouillant tout reflet. C’était d’une beauté sauvage incroyable. Je rêve de photographier cela un jour. Je ne crois pas avoir jamais vu pleuvoir comme ça sur Giverny.

Des nappes liquides ruisselaient sous la porte de la route à la façon d’une piscine à débordement, sauf que nous étions du côté du déversoir. Ce n’étaient plus des flaques dans les allées, mais un pédiluve continu dans lequel nous pataugions, les chaussures trempées.

C’est là que j’ai ressenti l’ironie du ciel. Ah ah ! tu prétendais que le jardin était si bien drainé qu’il était difficile d’y trouver une flaque ? Regarde un peu le beau miroir que je te fais dans les allées ! Ah ah ! Tu as fait 800 kilomètres et tu te faisais une fête d’être là, regarde comme je vais te la gâcher !

Au bout d’une vingtaine de minutes, les nuages sombres se sont éloignés, remplacés par des nuées plus claires, et la pluie a fini par se tarir. Un soleil apaisant a fait son apparition. Soudain, la lumière est devenue sublime, comme une réconciliation. Je n’ai pas pu résister, j’ai sorti moi aussi mon téléphone. Il a fait ce qu’il a pu.

Alors, l’humour du ciel ? On n’est pas sûres d’avoir compris la blague, mais on a bien ri quand même.

*Claire Paulin, Blanche Monet und das Leuchten der Seerosen (Ullstein)


4 commentaires

  1. Vous étiez au bon endroit mais pas au bon moment…
    Une visite que vous n’êtes pas près d’oublier toutes les deux!
    Ta photo est superbe.

  2. Chouette rencontre que vous n’oublierez ni l’une ni l’autre !
    (J’étais à peine entrée à une exposition cette après-midi qu’un déluge s’abattait sur le jardin – un vrai spectacle, oui, quand la pluie tombe si dru.)

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Ariane.

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