C’est peut-être le vitrail ancien le plus beau de l’église de Vernon : parfaitement conservé, il date de la fin du 15e siècle et occupe une lancette d’une baie sud de l’édifice.
A gauche, une femme agenouillée présente un flacon dans ses mains. Son visage est entouré d’une auréole. C’est Marie-Madeleine, venue apporter du parfum au tombeau du Christ pour embaumer son corps, le dimanche de Pâques.
A droite, un homme seulement vêtu d’un manteau somptueux se tient debout. Il porte un bâton terminé par une croix, et un nimbe crucifère autour de la tête, signe qu’il s’agit de Jésus.
La scène est d’une émotion extrême. Marie-Madeleine était plongée dans l’affliction la plus totale, le deuil le plus cruel.
Elle était une des disciples les plus proches de Jésus, et elle a eu la douleur de voir le Messie crucifié. Revenue au tombeau le surlendemain de la Passion, elle veut lui rendre un dernier hommage, une sépulture digne de lui. Et là, que découvre-t-elle ? Plus de corps !
Elle craque, Madeleine. Elle pleure. L’évangile de Jean nous raconte ses larmes, qui nous sont restées dans l’expression « pleurer comme une Madeleine ».
On devine ce qu’elle s’imagine : que les bourreaux du Christ ont pris son corps pour le jeter quelque part, dans la fosse commune ? aux bêtes ? pour empêcher toute dévotion post-mortem.
Et là, coup de théâtre, retournement complet de situation.
Au milieu de ses larmes elle regarde le tombeau, et elle y voit deux anges, deux anges blancs qui lui demandent pourquoi elle pleure.
Drôle de question ! C’est qu’ils savent, eux, qu’il n’y a pas à pleurer mais à se réjouir. A peine Madeleine a-t-elle le temps de leur expliquer entre deux hoquets pourquoi elle pleure : « Parce qu’ils ont enlevé mon Seigneur, et je ne sais où ils l’ont mis », qu’un nouveau personnage apparaît.
Nous qui sommes finauds, nous l’avons tout de suite reconnu, n’est-ce pas. Depuis deux mille ans, on s’est fait à l’idée de sa résurrection. Mais Madeleine ne peut pas s’attendre à cela. Elle s’imagine parler à un vivant, et elle prend cet homme pour le jardinier. Qui d’autre pourrait se trouver là ?
Regardez avec quel raffinement le maître-verrier du Moyen Âge a figuré la verdure sous les pieds des personnages. Toute une harmonie de tons de verts, de formes de feuilles différentes… On se croirait à Giverny, autour de l’étang de Monet !
Un arbre se dresse au centre du vitrail. C’est l’arbre de vie, peut-être, car le Ressuscité donne la Vie éternelle. C’est aussi une verticale qui divise le vitrail en deux parties, à gauche, Madeleine, bien vivante, à droite le Christ, revenu se manifester à ses disciples après sa mort. Deux mondes distincts, qui ne doivent pas se toucher.
Car elle a sûrement envie de le toucher, Marie-Madeleine. Pour qu’elle le reconnaisse, Jésus l’a appelée par son nom, Marie. Et la voilà qui passe de la douleur à la joie la plus folle. Qu’est-ce que vous auriez eu envie de faire à sa place ? Lui sauter au cou, le serrer dans vos bras ? Lui baiser les pieds ?
Pas question. Un phylactère sort de la bouche du Christ, on y lit, à l’envers, les paroles latines « Noli me tangere », ne me touche pas.
Madeleine devra témoigner auprès des autres disciples de l’Apparition. Celui qu’elle a pris pour le jardinier est le jardinier des âmes.
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Beau billet qui donne à voir, merci.