Au détour d’une balade dans les collines de Giverny, voilà qu’on tombe nez à nez avec ce vallon. A première vue, rien d’extraordinaire, mais l’oeil y a décelé un motif connu. C’est le millième tableau de Monet.
Avec ses touffes d’orties, ses bouquets d’arbres, la réalité frappe surtout par sa banalité. Qu’est-ce qui a bien pu séduire le peintre pour qu’il plante son chevalet devant ce paysage-ci en particulier ? Qu’y a-t-il vu de pittoresque ?
On peut chercher des raisons rationnelles. Il y a d’abord le dessin délicat de cette crête arrondie, la douceur accueillante de ce creux dans la colline. La scène qui s’élève devant les yeux répond à la verticalité de la toile, et propose un cadrage original d’où le ciel est presque absent. Mais quand on oublie la réalité, quand, de retour à la maison, on revient au tableau, une autre explication du choix de l’artiste saute aux yeux.
L’oeuvre s’appelle Champ de coquelicots, environs de Giverny. Quand Monet a peint ce vallon, en 1885, il était envahi de fleurs rouges. Et l’image d’une de ses toiles les plus célèbres s’impose. Camille et Jean, doublement peints dans leur promenade à travers un champ tout tacheté de coquelicots près d’Argenteuil, douze ans plus tôt.
C’est le souvenir de ce doux instant du passé qui ressurgit, me semble-t-il, quand Monet choisit de peindre ce vallon. La toile s’emplit alors de mélancolie, par l’absence de la gracieuse jeune femme.
Et par contraste avec l’image heureuse d’Argenteuil, quand l’avenir était riche de promesses, le paysage se ferme. La colline se dresse comme un mur. La mort de Camille a fait s’évanouir un certain rêve de bonheur.
Les notes d’Ariane sont précises, justes et poétiques à la fois, à la manière des haikus qui envahissent l’esprit : longtemps après flotte leur parfum. Cette représentation-ci me frappe particulièrement, une dombe fleurie, un val fourré, une représentation végétale de l’intimité féminine, tantôt nappée de rouge, tantôt drapée de vert, l’accueil entre la rondeur de deux cuisses. On ne sait vraiment pas à quoi pensent et rêvent les hommes quand ils dessinent ou peignent des vallons, ou l’origine du monde. Pourvu qu’ils continuent de rêver…