Après son voyage en train en compagnie de Georges Bernheim, René Gimpel arrive à Vernon. Voici la suite de sa journée, telle qu’il la relate dans son journal à la date du 19 août 1918 :
Il est une heure et demie, nous arrivons à Vernon, nous descendons du train et enfourchons les bicyclettes que nous avons louées à Paris car les moyens de communication ne sont pas faciles en temps de guerre. Nous suivons pendant quelques kilomètres la vallée de la Seine, si belle en cet endroit, et nous arrivons au village célèbre où plusieurs artistes se sont groupés autour du maître. J’aperçois de grandes baies vitrées qui s’ouvrent dans plusieurs maisons de paysans. Nous voici devant le mur de Claude Monet, percé d’une grande porte verte et un peu plus loin d’une autre porte très petite, verte aussi, et nous l’ouvrons pour entrer dans le jardin de Monet si souvent décrit. Je regrette d’être dans l’ignorance la plus complète du nom des fleurs et de me trouver impuissant à les nommer. Il faudrait un Maeterlinck pour un tel jardin qui ne ressemble à aucun autre, d’abord parce qu’il est composé de fleurs très simples, puis qu’elles s’élèvent toutes à des hauteurs inouïes. Je crois qu’aucune ne fleurit au-dessous d’un mètre. Certaines fleurs dont les unes sont blanches, les autres jaunes, ressemblent à de colossales marguerites et montent jusqu’à deux mètres. Ce n’est pas un champ mais une forêt vierge de fleurs avec des couleurs toujours franches ; aucune n’est rosée ou bleutée, elles sont rouges, elles sont bleues.
Ce témoignage, s’il ne nous renseigne guère sur les variétés de fleurs que Monet cultivait en 1918, a au moins le mérite de nous restituer l’impression ressentie par un visiteur peu versé dans la botanique. Ce qui le frappe, à peine passé la porte, ce sont la hauteur des fleurs et leurs couleurs franches, et cette image de forêt vierge. On note aussi que les portes sont vertes à la fin de la guerre.
Source : René Gimpel, Journal d’un collectionneur marchand de tableaux, éditions Calman-Lévy, 1963
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