Home » A la table de Monet
Category Archives: A la table de Monet
Giverny dans l’assiette
Voilà déjà plusieurs années que les faïenceries de Gien ont choisi les belles aquarelles de Fabrice Moireau pour décorer l’un de leurs services de table. C’est frais et ravissant, un peu épais puisque c’est de la faïence.
On visite à Gien le musée de la fabrique, mais je crois que beaucoup de visiteurs viennent pour le magasin d’usine, immense et bien achalandé.
Au milieu des dizaines de services différents, j’ai cherché celui qui s’appelle De Paris à Giverny. Eh oui ! Les jardins de Monet partagent la vedette avec plusieurs lieux parisiens, parmi lesquels le musée de la Vie romantique et le musée Rodin.
Heureusement, chaque pièce est disponible à l’unité. On peut ainsi choisir plus ou moins ses motifs et le nombre de pièces que l’on souhaite, ce qui est préférable vu leur prix. Le très joli plat à gâteau tout en haut coûte 100 euros dans le commerce (70 à Gien) et la tasse à déjeuner ci-dessus vaut 49 euros, sans soucoupe. A la boutique de la fondation Monet, ils ont un succès certain.
14 novembre
Claude Monet aurait eu 182 ans aujourd’hui, d’accord c’est absurde. Disons plutôt que la date du 14 novembre est celle de l’anniversaire du peintre. On imagine la salle à manger de Giverny pleine de joyeux convives venus le fêter. Qu’y aurait-il eu à déjeuner ? Peut-être de la bécasse, que son beau-fils Jean-Pierre Hoschedé partait chasser plusieurs jours à l’avance, car Monet l’aimait bien faisandée.
La bécasse se reconnaît à son très long bec effilé, qui lui vaut son nom. J’ignore quel est le goût de sa chair et si elle mérite sa réputation. Peut-être que si je le savais, je serais moins portée à m’attendrir sur cette pauvre bête pendue la tête en bas, et à m’interroger sur ce qui peut pousser un artiste à la peindre et un amateur à acheter le tableau pour le contempler sur son mur.
Bref : toute la famille de Monet était au courant qu’il en raffolait.
Avant que Jean-Pierre soit assez grand pour tenir un fusil, Alice devait acheter l’oiseau, qui se vendait très cher :
Lettre de Claude Monet à Alice Hoschedé, Etretat 20 novembre 1885
Il me faut d’abord vous gronder un peu de votre folie, pour les bécasses. Je sais bien que vous m’en aviez un peu parlé et que je ne m’étais pas trop défendu, mais le moment était mal choisi et vous auriez mieux fait d’économiser cela pour vous. Enfin, je vais me régaler comme un gueulard que je suis, mais j’aurais mieux aimé que vous puissiez être là à partager ce régal avec moi.
Lettre de Claude Monet à Alice Hoschedé, Etretat 21 novembre 1885
Quant aux bécasses, j’en ai mangé une hier soir. Quel repas, bon Dieu, une sole au gratin épatante et la bécasse exquise, le tout y a passé ; c’est honteux de bâfrer de la sorte, aussi m’a-t-il fallu arpenter bien des fois la terrasse du Casino pour faire passer tout cela.
Lettre de Claude Monet à Alice Hoschedé, Etretat 23 novembre 1885
Ce soir je mange la seconde bécasse et songez qu’hier j’avais un perdreau.
Un gueulard est, selon le dictionnaire, une personne qui mange beaucoup ou aime manger bien, quelque part entre le gourmand, le gastronome et le goinfre. Lucide, au moins, le père Monet.
Le style Monet
Claude Monet aimait la couleur à la folie. Les impressionnistes ont libéré la couleur dans la peinture. Monet l’a employée à profusion dans ses tableaux, mais aussi dans ses autres créations que sont le jardin et la maison de Giverny.
Auriez-vous envie d’entrer dans une pièce rayonnante de jaune à chaque repas ? Un jaune cadré et mis en scène par le bleu des pièces voisines, par les portes-fenêtres donnant sur le jardin.
Du temps de Monet, ces portes-fenêtres étaient largement ouvertes dès les beaux jours. On avait ainsi l’impression de déjeuner presque en plein air. Les moineaux s’avançaient à l’intérieur pour picorer les miettes, de même que les petites poules japonaises offertes par Clemenceau.
Du jaune, il y a bien de quoi vous mettre de bonne humeur, surtout si vous avez un solide coup de fourchette comme Monet, et la perspective d’un bon repas. Selon son beau-fils Jean-Pierre Hoschedé, Monet, quand il était de bonne humeur, aimait chanter.
« Il entonnait le toréador de Carmen ou il s’écriait en chantant A table, à table, à table, mangeons ce pigeonneau qui ne saurait être bon s’il n’était mangé chaud.
Il chantait, il blaguait. Il imitait les voix des crieurs de rue, pour la plus grande joie des enfants. De l’entrain à revendre. Et puis, comme son chauffeur s’appelait Sylvain, une autre chanson lui venait en tête, celle de Juliette Borghèse :
Espoir charmant, Sylvain m’a dit « Je t’aime »
Et depuis lors tout me semble plus haut
Nos prés fleuris, nos bois et le ciel même
Semblent parés d’un éclat tout nouveau
Un peu plus loin dans la chanson, des paroles devaient résonner étrangement aux oreilles de Monet et sa famille :
J’entends déjà le commérage
Qui se fera dans le village
Et les cancans, les mots méchants
Qui vont courir à nos dépends.
Probable que Monet devait s’arrêter aux premiers couplets.
Noël chez Monet
Fêtons Noël avec Claude Monet ! Dans son introduction aux Carnets de cuisine de Monet, (Ed. Chêne), Claire Joyes raconte comment se passe la plus belle fête de l’année dans la maison rose de Giverny.
Le sapin de Noël est installé dans le salon mauve, le petit boudoir d’Alice. Au pied de l’arbre sont disposés les cadeaux destinés aux enfants. Il va falloir qu’ils soient patients ! Ils n’auront le droit de les ouvrir qu’après le déjeuner de Noël, peut-être même le 31 décembre seulement. Au tournant du siècle dernier, la coutume est en effet de réserver les échanges de présents pour le nouvel an.
On sait en tout cas que Monet a offert à Alice le portrait que voici de son dernier-né, Jean-Pierre Hoschedé, à la saint-Sylvestre, car il l’a daté 31 Xbr 1878.
Le repas est servi un peu plus tard que d’habitude : à midi pile. La décoration est sobre, guirlandes de feuilles et de fleurs disposées sur la table, par exemple du mimosa dont les fleurs jaunes se marient à merveille avec les couleurs de la salle à manger.
La table resplendit de l’éclat du service de porcelaine des grands jours, des verres en cristal et de l’argenterie.
A côté de leurs serviettes monogrammées, les huit enfants découvrent en s’asseyant leurs étrennes glissées dans une enveloppe, et une petite boîte contenant des confiseries ou un bijou. Une odeur délicieuse vient de la cuisine voisine…
On raffole des truffes chez les Monet. Voici une idée du menu de Noël traditionnel :
Oeufs brouillés aux truffes
Foie gras de Strasbourg truffé en croûte
Chapons truffés et farcis sur un lit de marrons et de truffes du Périgord, accompagnés de purée de marrons
Salade de mâche
Roquefort
Pudding flambé au rhum
Glace à la banane
Café
Alcools
Certainement aussi succulent que… calorique ! Et dire qu’il arrive que l’on festoie ainsi plusieurs jours de suite, au gré des invitations !
Les girolles de Mallarmé
Quel meilleur signe de la familiarité entre deux hommes que l’échange de recettes ? Consignée dans les carnets de cuisine de Claude Monet, on retrouve cette preuve de son amitié avec Stéphane Mallarmé. L’homme de lettres de deux ans son cadet avait sa façon d’accommoder la girolle. Le peintre avait dû la trouver alléchante, puisqu’il l’a notée.
Il s’agit de faire revenir 1 kilo de ces champignons avec du saindoux et 125 gr de lardons. Le temps de cuisson a de quoi laisser pantois : 1h30 ! « pour que l’eau contenue dans les girolles soit réduite », justifie le poète. Certes, mais que restera-t-il de nos précieuses girolles après ce mijotage prolongé ?
La touche finale est des plus classiques, une gousse d’ail et du persil haché à ajouter cinq minutes avant la fin. Mallarmé se montre tout à fait optimiste sur la bonne résistance des girolles à la cuisson, car il est persuadé qu’il y aura des restes. « Les girolles sont aussi bonnes, presque meilleures, réchauffées au bain-marie. » Bon appétit !
Monet et Sacha Guitry
En feuilletant le livre de cuisine réalisé à partir des cahiers de recettes familiales retrouvées dans la cuisine de Monet à Giverny, j’ai été tentée par la « palette de porc à la Sacha ».
Il s’agit de Sacha Guitry, dont les parents étaient déjà amis de Monet. L’humoriste n’était qu’un jeune homme quand Monet entrait dans le 3e âge. Mais ils semblent avoir eu une belle complicité, notamment grâce à leur passion commune pour la photographie.
On sait peu que Monet a fait installer une chambre noire à Giverny, près de son deuxième atelier. Il était ami de Nadar, qui a fait de très beaux portraits de Monet et d’Alice.
Sacha Guitry a lui aussi pris Monet en photo dans son jardin. Mieux : il l’a filmé en train de peindre, gratifiant la postérité d’un document unique.
La palette de porc à la Sacha ne rappelle en rien le ton spirituel de son auteur. Pas l’ombre d’un trait d’humour, la cuisine est une affaire sérieuse. La recette tient en quelques lignes :
« Mettre la palette à cuire dans de l’eau froide. Quand elle bout, on met les choux, les pommes de terre. Laissez cuire 2 heures, ajoutez le saucisson. Laissez cuire 1/2 heure et servez. » Avouez que ça a l’air simple.
Il a beau faire frais pour la saison, le chou et le saucisson font de cette recette un plat d’hiver. J’ai fait encore plus simple : j’ai mis la palette dans une terrine avec du bouillon, et je l’ai laissée cuire toute la matinée à four doux. En refroidissant, le bouillon a pris en gelée comme un aspic. Délicieux.
Commentaires récents