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Les chevaux d’Hiroshige
HIROSHIGE Utagawa (1797-1858), Koganehara dans la province de Shimosa, Fondation Monet.
Prendre le temps d’admirer les belles estampes japonaises que collectionnait Monet fait partie des plaisirs de la visite de sa maison de Giverny. Cette gravure-ci s’intitule « Koganehara dans la province de Shimosa » (la plaine de Kogane dans la Province de Shimōsa). Le prétexte, c’est le petit cône du volcan au fond. L’estampe fait partie de la série « Trente-six vues du mont Fuji » d’Hiroshige publiée en 1858, l’année de sa mort. Toutes sont de format vertical.
La plaine de Kogane, pas très loin de Tokyo (alors Edo) était un centre d’élevage de chevaux pour l’armée. Les bêtes vivaient en liberté avant d’être capturées et dressées.
On se figure aisément Monet séduit par cette représentation de coucher de soleil en un subtil dégradé, même si son estampe a probablement été bleuie par l’exposition prolongée à la lumière du jour. La même conservée (en trois exemplaires !) à l’Art Institute de Chicago présente une herbe tout à fait verte.
HIROSHIGE Utagawa (1797-1858), Koganehara dans la province de Shimosa, Art Institute de Chicago
Ne trouvez-vous pas cette estampe irrésistible ? Le cheval au premier plan qui sort presque du cadre mais tourne la tête pour nous regarder du coin de l’oeil en fait tout le charme. Vue d’Europe, cette façon très japonaise de pousser sur le côté le sujet du premier plan et de le couper était l’audace même.
Japonaise aussi, cette ligne serpentine du ruisseau, qui a peut-être inspiré à Monet sa rivière de capucines. Japonaise encore, la présence de ce deuxième cheval qui s’éloigne, dont la taille donne le sentiment de la profondeur de champ sans recours à la perspective à point focal. Sans parler de l’exotisme de ces deux pins solitaires dont la silhouette se détache sur le fond uni du couchant.
Enfin, les cartouches aux inscriptions en japonais, dont le rouge répond au rouge des fleurs, achèvent de placer la scène dans un Orient qui restera pour Monet un Orient rêvé.
L’ère Meiji
Yoshitora Utagawa, Un dimanche avec des étrangers de cinq pays, vers 1870. Collection Claude Monet, Fondation Claude Monet à Giverny.
A Giverny, la plupart des visiteurs de la maison de Claude Monet sont surpris par sa vaste collection d’estampes japonaises. On a un peu oublié aujourd’hui à quel point le japonisme a été à la mode à la fin du 19e siècle. L’art et la culture du Japon ont déferlé sur l’Occident, comme une vague trop longtemps contenue.
Depuis plus de deux cents ans, on ne savait rien du Japon. Entrer dans le pays ou en sortir était passible de peine de mort. Seuls les navires de la Compagnie des Indes battant pavillon hollandais étaient autorisés à accoster, dans un seul port. Cet isolationnisme extrême a pris fin en 1854.
Cettte année-là, le Japon signe un traité commercial avec les Etats-Unis. Bien obligé : l’US Navy, en la personne du commodore Perry, menace la ville d’Edo (aujourd’hui Tokyo) avec des navires de guerre. Surprenante façon de nouer des liens commerciaux ! Tu joues avec moi ou je te tue… Mais toutes les tentatives pacifiques précédentes ont échoué.
Le Japon signe donc sous la menace des canons ce qui s’intitule avec une certaine ironie un « traité de paix et d’amitié ». Des échanges encore timides débutent. La question de l’ouverture à l’Occident divise le Japon, certains sont pour, d’autres contre.
Tout bascule en 1868, avec l’arrivée au pouvoir d’un très jeune empereur, Mutsuhito, dit plus tard Meiji. Il réforme à grande vitesse le pays, l’ouvre et le modernise. Il a compris que le Japon doit rattraper son retard, sinon le pays risque de se retrouver colonisé.
On imagine la surprise des Japonais en découvrant l’allure et l’accoutrement des Occidentaux. Les artistes nippons n’ont pas manqué de représenter ces étrangers si étranges.
La fascination est réciproque, et l’art et la culture du pays du soleil levant envahissent bientôt les intérieurs européens et américains. Des estampes, importées par cargaisons entières, trouvent de nombreux amateurs à Paris.
On ne s’étonnera pas que la préférence des acheteurs aille à des sujets typiquement orientaux. Les collectionneurs ne raffolent pas des représentations d’Occidentaux, qu’ils jugent caricaturales.
Pourquoi Monet fait-il exception ? Mystère. Il n’en a jamais rien dit. Mais il a grandi au Havre, ce qui pourrait expliquer qu’il ne dédaigne pas ces scènes portuaires et cosmopolites, comme une réminiscence de sa jeunesse.
La femme papillon
Suzuki Harunobu, Beauté sautant dans le vide depuis le balcon du temple Kiyomizu, 1765
L’exposition d’estampes japonaises de la Bibliothèque Nationale de France se termine dimanche, mais son magnifique site internet permet une belle séance de rattrapage. Je ne sais pas vous, mais j’ai eu un coup de coeur pour cette estampe-ci, et pour l’oeuvre d’Harunobu en général.
Cet artiste japonais vivait au 18ème siècle. Il porte un regard tendre sur les femmes qu’il peint graciles, gracieuses, légères. La quintessence de la femme vue par Harunobu, c’est cette estampe où la jeune fille paraît voler au-dessus de l’arbre en fleurs.
Gisèle Lambert, la commissaire de l’exposition, donne cette explication :
Semblable à un oiseau ou plus encore à un papillon, la jeune fille suspendue à son ombrelle vient de sauter dans le vide, du haut de la terrasse du temple Kiyomizu. Si les dieux sont favorables à ses amours, elle arrivera sans mal, comme il se doit, sur le cerisier, au fond du vallon. Selon la légende, le souhait formulé pouvait aussi concerner une guérison.
Vous imaginez ? Vous êtes amoureuse, pour savoir si ça vaut le coup de continuer avec ce garçon il faut que vous alliez sauter à l’élastique avec le risque de vous écraser au fond. Charmant !
Ce qu’il y a de bien avec Harunobu, c’est qu’on n’est pas vraiment inquiet. Elle est tellement mignonne, rien ne peut lui arriver, n’est-ce pas ? Aidée de son parapluie et de son kimono, elle va se poser comme une fleur. D’ailleurs, regardez, elle n’a pas peur.
Est-ce la confiance ou l’inconscience qui la pousse et la soutient ? Elle est l’image même des choix que nous demande la vie. A chaque fois que nous nous engageons pour une orientation professionnelle ou avec un partenaire, nous ne cessons de nous lancer dans le vide, accrochés à des ombrelles dérisoires. Le métier et le conjoint vont prendre une importance extrême. Pourtant même lorsque nous croyons les connaître nous savons si peu d’eux et de nous-mêmes.
Que faire alors ? Sans hésitation, il faut sauter ! On verra bien comment on atterrira. En cette veille de Saint-Valentin, je vous souhaite de toucher terre en douceur sur un lit de mousse. A vos amours !
Success Story
Bon nombre des estampes japonaises de Monet sont revenues sur les murs de sa maison. Le raccrochage s’est fait progressivement au cours de l’été, avec surtout des triptyques et des estampes de grand format.
C’est un art fascinant que celui des estampes, mais il n’est pas facile à percer. A la boutique de la Fondation Monet, j’ai trouvé un livre qui je l’espérais me permettrait d’en savoir plus : « L’Estampe Japonaise » de Gabriele Fahr-Becker, éditions Taschen.
L’intérêt de l’ouvrage tient surtout à ses reproductions pleine page de très nombreuses gravures. Le texte est émaillé de mots japonais, parfois à tel point qu’il en devient fastidieux :
(P. 44) Cette estampe nous montre Danjuro II dans le rôle de Soga no Goro du kyogen intitulé « Yuzuriha nemoto Soga » représenté au théâtre Nakamura la 12ème anée de l’ère Kyoho (1727). »
Je ne sais pas si j’arriverai à en tirer quelque chose. Mais un petit texte imprimé sur le rabat de la couverture et sans rapport direct avec le contenu du livre m’a beaucoup fait rêver.
« L’Estampe Japonaise » a été publié en 2005, l’année des 25 ans de la maison d’édition. Taschen en profite pour raconter sa success story.
Écrire sa propre légende est un exercice qui répond indéniablement à des règles implicites. Cela m’a fait penser à l’histoire de Daniel Terra, le fondateur du Musée américain de Giverny, ou encore à Claude Monet revenant sur son passé alors qu’il avait atteint la gloire.
Il y a ce que l’on dit, ce que l’on occulte, un mélange d’apparente sincérité et d’omissions calculées, le tout forcément teinté d’humour et d’auto-dérision pour se faire pardonner d’avoir réussi.
Au départ le héros est quelqu’un comme tout le monde ou presque. En lui sommeille le génie mais personne ne le sait encore, peut-être même pas lui :
La grande aventure TASCHEN débute en 1980, quand Benedikt Taschen, alors âgé de 18 ans, ouvre une boutique en Allemagne, dans sa Cologne natale, pour écouler son immense collection de bandes dessinées.
Le héros est jeune, c’est préférable mais cela ne suffit pas, j’en connais d’autres qui avaient 18 ans en 1980 et n’ont pas fait fortune pour autant. Tous les ados caricaturistes ne sont pas devenus des Monet non plus.
Le héros a un côté dilettante et mono-maniaque qui a de quoi exaspérer son entourage. Comment réagissaient papa et maman Taschen face à leur fils toujours plongé dans ses sempiternelles BD ? Et d’abord, comment se les procurait-il ?
Personne n’est assez stupide pour croire qu’on devient riche en vendant d’occasion ce que l’on a acheté neuf, même si cet épisode dénote du soin et de l’organisation. Le déclic se produit un peu plus tard, en 1984, quand
il rachète 40 000 invendus d’un ouvrage en anglais sur Magritte et les revend à une fraction du prix original.
Pouce ! Je voudrais comprendre ce ressort essentiel, comment on passe de la boutique au business international. Où B. Taschen a-t-il trouvé ce stock impressionnant au prix du pilon ? Et les fonds nécessaires à cet investissement important ? Comment a-t-il écoulé ensuite tous ces Magritte en anglais ? On ne le saura pas. Ce que le rédacteur veut mettre en avant, c’est l’audace, le flair, l’esprit d’entreprise extraordinaires de cet autodidacte. Monet aussi était rebelle aux études…
Ensuite, l’histoire de Taschen devient moins surprenante. Il juge que
les livres d’art sont trop chers et difficiles à trouver.
Il fait le pari de l’édition de masse à prix démocratisés, en commençant par les artistes les plus populaires, Picasso et van Gogh. Il n’est pas très étonnant que de tels produits aient marché. Mais encore une fois tout un savoir-faire d’éditeur et de distributeur est présenté comme allant de soi. Pourtant il y a tant d’embûches sur la route d’une entreprise, tant d’occasions de la faire capoter que le succès suppose d’avoir su faire à chaque fois les bons choix.
Quant à la gloire en art, elle est encore plus incertaine puisqu’elle doit tout à la reconnaissance de la part de ses contemporains.
Le génie n’a rien à voir avec elle, il peut éclater a posteriori ou demeurer incompris, comme un fleur merveilleuse qui s’est épanouie pour personne.
La qualité des estampes de Monet
Aujourd’hui, il y avait dans le groupe que je guidais à Giverny un collectionneur d’estampes japonaises.
Cela se voit vite : à la place du regard intéressé, admiratif, recueilli ou curieux qu’ont généralement les visiteurs, celui-ci éprouvait une réelle jubilation devant l’impressionnante collection de gravures rassemblée par Monet.
Il m’a désigné l’estampe d’Hiroshige « Ohashi, averse soudaine à Atake » comme l’une des plus célèbres, m’a montré celles qu’il possédait et s’est extasié sur la qualité de la collection Monet.
De l’avis de ce connaisseur, Monet achetait ce qu’il y avait de mieux, non seulement les meilleurs artistes japonais mais aussi les meilleurs tirages.
Les estampes sont des impressions à l’encre à partir d’une gravure sur bois. On peut effectuer une centaine de tirages de chaque bois gravé, mais la finesse des contours diminue à la longue. Monet choisissait des tirages de tête, les toutes premières feuilles tirées des gravures, qui gardent la trace des veines du bois. C’est aussi émouvant que les empreintes digitales d’un sculpteur dans la glaise ou que les grains de sable collés dans la peinture de Camille sur la plage de Trouville par Monet.
L’état de conservation de la collection d’estampes japonaises de Monet est remarquable. Celles à dominante bleue ont bien traversé les décennies, et même si quelques-unes comme « Chrysanthèmes et abeille » d’Hokusai ont vu leur rouge pâlir, elles restent fort belles.
Exposition d’estampes japonaises de Monet au musée Marmottan
Hier s’ouvrait à Paris l’exposition des estampes japonaises de Monet, venues de la maison de l’artiste à Giverny. Elles seront présentées au musée Marmottan-Monet jusqu’au 25 février.
Monet possédait 231 gravures dont il avait décoré la plupart des pièces de sa maison. L’accrochage des estampes sur les cimaises de Marmottan permet de les voir autrement. A Giverny, certaines d’entre elles passent inaperçues : suspendues trop haut ou dans un recoin, trop nombreuses, éclipsées par des éléments du décor plus spectaculaires… A Marmottan, elles sont toutes à égalité, à hauteur des yeux.
L’exposition se déploie sur plusieurs salles, les estampes ont été logiquement regroupées par auteur. Cette présentation fait ressortir le style de chaque artiste, ses motifs préférés, son coloris, en même temps que l’attraction qu’il exerçait sur Monet.
On devine facilement ce qui pouvait plaire au peintre dans les paysages bleutés d’Hiroshige, dans la représentation de la nature d’Hokusai. Mais quand on pénètre dans la salle consacrée à Utamaro, l’étendue de la collection de Monet de cet artiste étonne.
Des femmes, des femmes, des femmes, dessinées avec sobriété, presque sans couleur, dans des tons chamoisés. Elles cueillent des fleurs, elles pêchent, elles jouent avec leur enfant, elles s’habillent, elles se regardent dans un miroir… A la vérité, elles vivent, et c’est ce qui devait séduire Monet, surtout si l’on pense aux portraits guindés qui étaient la règle à l’époque en Europe. Selon le récit d’un de ses visiteurs à Giverny, le peintre croyait voir « la chair qui palpite » dans les gravures d’Utamaro.
La vague
Quel est vraiment le sujet de cette estampe d’Hokusai, qui figurait dans la collection de Monet ? On voit d’abord une vague énorme, un véritable monstre qui avance des bras armés de griffes. Comme une bouche gigantesque, la vague s’apprête à engloutir tout ce qu’elle pourra trouver. Instant suspendu, juste avant la catastrophe.
Le titre de l’estampe attire l’attention vers le bas de la gravure : « Sous la vague au large de Kanagawa ». On remarque alors deux esquifs, qui paraissent désespérément fragiles face à la montagne liquide sur le point de s’effondrer sur eux. Ils sont à moitié cachés par d’autres vagues menaçantes.
Les pêcheurs sont prostrés sur les barques. Ils détournent la tête, n’osant affronter le danger du regard.
« Sous la vague au large de Kanagawa ». Il y a une certaine ironie dans ce titre au ton détaché, avec son indication géographique superflue dans cet instant dramatique. Ou alors, peut-être qu’il s’analyse en termes rassurants : il n’y a pas lieu de s’inquiéter, les marins s’en sortiront comme à l’accoutumée ?
Le titre paisible vient contrebalancer l’impression de danger dégagée par l’estampe. Il ramène vers le seul élément paisible de la gravure : au centre, « sous la vague » on aperçoit le Fuji-Yama couvert de neige, dont les couleurs se confondent avec celles de la mer déchaînée. C’est la clé de cette estampe : elle fait partie de la suite « Les trente-six vues du mont Fuji. »
Chrysanthèmes et abeille
Claude Monet possédait cette estampe d’Hokusai, Chrysanthèmes et abeille, qui orne aujourd’hui les murs de son cabinet de toilette. Comme il ne subsiste pas de photo d’époque de cette petite pièce intime, on n’est pas absolument sûr de l’accrochage d’origine. Mais Monet aimait sans doute beaucoup ces Chrysanthèmes. Ils font partie d’une suite de onze estampes, « Grandes fleurs », dont Monet possédait aussi Volubilis et rainette et Pivoines et papillon.
Il rêvait d’acquérir une autre de ses fleurs préférées, les Coquelicots, mais il n’est probablement pas parvenu à ses fins.
Comme l’indiquent les titres des oeuvres de cette suite, Hokusai introduit un petit animal, ici une abeille, dans chaque gravure pour lui donner vie. La composition, à la savante asymétrie, pourrait sinon sembler un peu figée. Les fleurs ne paraissent pas saisies dans leur milieu naturel, mais plutôt organisées en arrangement floral à la manière d’un Ikebana.
Monet s’est-il inspiré de cette estampe pour ses Chrysanthèmes ? En apparence, c’est le même sujet, mais le traitement en est radicalement opposé. Pas d’ode à la couleur et à la vibration lumineuse ici, mais des lignes nettes qui dessinent chaque pétale, et des teintes douces rehaussées par le vert sombre des feuilles.
Van Gogh et les estampes japonaises
Van Gogh et Monet avaient une passion commune : les estampes japonaises. Tous deux se sont constitué de magnifiques collections de gravures des plus grands maîtres nippons, notamment Hiroshige.
Hiroshige est l’auteur de cette estampe, « Ohashi, averse soudaine à Atake ». Elle figure en bonne place dans la maison de Monet à Giverny, accrochée dans le vestibule qui mène à son salon-atelier. Van Gogh, pour sa part, admirait tellement cette estampe qu’il en a fait une copie réinterprétée à sa manière.
On peut tenter une analyse de ce qui a plu à van Gogh et Monet dans cette gravure sur bois.
– La sobriété des moyens : une gamme serrée de bleus traités en aplats, quelques notes d’ocre et de rouge. Le relief est donné par les valeurs des couleurs froides, qui varient du clair au foncé.
– La composition au dessin très affirmé, en flèche vers la droite, avec cette berge opposée qui penche dans le sens où coule l’eau. Mais le pont est coupé, on ne voit pas d’où il part ni où il arrive, si bien que le focus est mis sur les personnages, sur cet instant où ils se font tremper dans la traversée d’un pont qui n’offre aucun abri.
Il y a de l’impressionnisme dans cette façon de capter l’instant, de figurer la pluie.
Dans le tableau de van Gogh, « Le Pont sous la pluie », une couleur supplémentaire fait son apparition : le vert. Il est probable que van Gogh a travaillé d’après une autre version de cette planche, dont on connaît trois états différents, l’un d’eux présentant des teintes vertes.
Plus d’aplat chez van Gogh. Les surfaces sont animées de nuances. L’eau de la rivière est la partie la plus caractéristique de son style. Les coups de brosse parallèles de vert, de gris-bleu et de blanc y dessinent des reliefs, des vagues qui lui donnent un aspect menaçant. Le frêle esquif qui tente de remonter le courant paraît en danger.
Le dessous du pont d’Hiroshige est monochrome et graphique, créant un contraste avec la passerelle claire où progressent les piétons. Celui de van Gogh sort de l’ombre pour montrer sa matière, – bois ? bambou ? – un matériau assez fragile que l’on croit entendre gémir et sentir trembler sous la poussée de l’eau.
L’analyse des couleurs montre qu’elles sont de valeur égale, les couleurs sombres sont repoussées vers les bords du tableau. Le principal élément de fort contraste vient de la petite tache noire sur fond jaune qui représente les deux hommes presque au milieu du tableau. Pour renforcer sa force d’attraction, Van Gogh a noirci aussi le personnage de gauche, et éclairci les parapluies et l’homme venant vers nous. Le sens de lecture de l’oeuvre en devient plus net.
Chez les deux peintres, la pluie est rendue par de fines lignes obliques parallèles et croisées, offrant une impression plus nette et plus froide chez Hiroshige.
L’élément le plus personnel que van Gogh apporte à cette copie a été repoussé dans le cadre. Sans reproduire dans le dessin même le cartouche de signature de l’artiste japonais, van Gogh a imaginé un cadre vert bordé d’un liséré rouge, et décoré de caractères d’inspiration japonaise. Il affirme ainsi son intention décorative et japonisante, selon la mode de l’époque.
Inspiration
Quel lien y a-t-il entre l’oeuvre de Claude Monet et les estampes japonaises qu’il collectionnait passionnément ?
A l’automne prochain, le musée Marmottan-Monet à Paris proposera une exposition des estampes de Giverny, en relation avec des tableaux du maître.
La mise en parallèle des gravures japonaises et des toiles de Monet donne des résultats saisissants. Un des sites les plus extraordinaires qu’on puisse trouver sur internet à ce propos est celui conçu à l’occasion de l’exposition ‘Monet and Japan’ en 2001 en Australie, à Canberra et à Perth.
Les concepteurs du site ont réalisé un travail colossal de mise en relation d’estampes ayant appartenu à Monet avec ses tableaux. Les corrélations se font selon de multiples critères, composition, forme, technique, sujet… Surfer dans cette base permet de comprendre comment Monet a su s’inspirer des gravures qu’il avait sous les yeux dans sa maison. Il a adapté les leçons de l’art japonais à son style propre. Il s’en dégage une impression de connexion profonde entre ce Japon où il n’est jamais allé et son monde occidental.
Voici un exemple tiré de la rubrique « asymétrie ». A gauche, la toile de Monet Meule, soleil couchant peinte en 1891. A droite, une estampe d’Hokusai, Beau temps par vent du sud, extraite de la série des trente-six vues du Mont Fuji.
Cette gravure, dite aussi Fuji rouge, se trouvait dans le petit salon de Monet.
La similitude de composition et de forme est évidente. Même les coloris se répondent, avec ce cône supérieur sombre, ce bas rouge vibrant, cette ombre bleue de la meule.
Dans les 36 vues du Mont Fuji, Hokusai s’attache à représenter le volcan mythique à travers les variations climatiques. C’est sans doute l’artiste japonais qui a guidé Monet sur la voie des séries. Le maître de l’impressionnisme possédait neuf des trente-six vues.
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