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Splendeur du printemps

Le jardin de Monet au printempsQuand j’accompagne des visiteurs dans les jardins de Monet à Giverny, les premiers pas se font dans le silence. J’aime bien guetter l’émerveillement sur leur visage, pour le plaisir de m’assurer que nous sommes en phase.
« Vous devez être blasée », me disent parfois les visiteurs. Il n’en est rien. Entrer dans le clos fleuri et découvrir cette mer de corolles et de couleurs qui s’étend jusqu’au pied de la maison, traverser le pont japonais et embrasser d’un coup d’oeil toute l’étendue du jardin d’eau sont des joies que je retrouve intactes chaque jour.
Je ne suis pas la seule à revivre chaque jour la magie du jardin, si j’en crois le laconique « Il y a pire que nous » de l’un des gardiens.
Le printemps donne au clos fleuri des allures de jardin d’Eden. « Nous avons trouvé le Paradis, disaient les peintres américains en découvrant Giverny, il ne nous reste plus qu’à en jouir. » Le jardinier Monet a encore renforcé cette impression paradisiaque. Comme lui en 1883 tout le monde a envie d’écrire : « Giverny est un pays splendide pour moi ».

La mémoire des lieux

Comme Monet à sa fenêtreLa maison de notre enfance a gardé dans ses murs et dans ses meubles le souvenir de l’enfant que nous avons été. Peut-être que vous fréquentez la vôtre au quotidien et que cela ne vous trouble pas de vous retrouver en tête à tête avec ces réminiscences. Mais si, adulte, on s’est éloigné depuis longtemps de la maison parentale, l’émotion des lieux assaille autant que celle des retrouvailles avec la famille.
L’autre jour je suis retournée dans ma chambre enfantine après des années d’absence. C’est toute une mémoire de perceptions qui m’est revenue, sa lumière, son hygrométrie, son volume, la vue de la fenêtre comme un balcon sur le monde…
Je me demande si ces sensations, si fortement engrammées en nous qu’on les retrouve intactes des années après, les autres peuvent en partager quelque chose.
Peut-on, par exemple, être en communion avec le ressenti de Monet en entrant dans sa maison ou en regardant par la fenêtre de sa chambre ?
Je me le demande, dans une interrogation sur mon métier de guide, sur le respect des lieux de mémoire, sur la rencontre qui s’opère entre ces lieux et leurs visiteurs. A quel moment doit-on simplement se taire et laisser les gens sensibles sentir ? Qu’attendent-ils de moi si ce n’est de les aider à approcher l’esprit des lieux ?
Après la coupure de l’hiver, j’ai retrouvé la chambre de Monet. De l’avoir un peu oubliée me l’a fait sentir à nouveau. Mais déjà, dans la répétition, cela s’estompe. Comment rester connectée avec la sensation de sa présence, au bord du bassin aux nymphéas ou devant la grande allée ?
Je suis dans le recueillement chaque fois que j’entre chez Monet. Je l’ai tellement fréquenté depuis douze ans, j’ai tellement plongé dans les détails de sa vie comme dans ceux de sa peinture que cela me le fait ressentir fortement. Il m’accueille, je dirais presque : il m’attend. Je crois qu’il est content, là où il se trouve, que je sois guide chez lui, il connaît ma sincérité et mon respect.

Depuis que je me suis mise à travailler d’autres sujets, d’autres lieux peu à peu s’ouvrent à moi. Les humains qui les ont bâtis et peuplés me deviennent présents. Je sens combien les pierres et le sol se sont chargés de leur passage, lieux tumultueux de batailles, lieux d’élévation spirituelle et de foi, lieux de vie et de labeur des hommes et des femmes qui nous ont précédés…
Quand nous visitons un lieu, il n’y a rien de plus essentiel que cela, que ressentir en tant que vivant le lien qui nous unit au passé et aux morts. C’est plus essentiel encore que de comprendre, de façon rationnelle, les aléas de l’Histoire.
Alors : prenez le temps. A quoi bon courir d’un lieu à un autre si c’est pour manquer l’occasion de s’en laisser toucher ?
A la question mille fois entendue, « quel est le meilleur moment pour voir les jardins de Monet ? » on peut répondre, cela dépend de vous. Si vous cherchez l’éblouissement, le grand spectacle qui émerveille, vous viendrez au moment de la floraison des tulipes, des iris, des roses, des glycines, des nénuphars… Mais si c’est Monet que vous cherchez, vous reviendrez dans la douceur tranquille de l’arrière-saison. Il sera là.

Cher lecteur, ces textes et ces photos ne sont pas libres de droits.
Merci de respecter mon travail en ne les copiant pas sans mon accord.
Ariane.

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