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Des ronds de soleil
Dans le jardin d’eau de Giverny, le long du Ru, le soleil qui filtre à travers le feuillage des grands arbres dessine des ronds de lumière sur le gazon. On pense au Déjeuner sur l’herbe, où le même effet de taches de soleil sur la nappe blanche avait étonné les contemporains de Monet :
Claude Monet, Le Déjeuner sur l’herbe, 1865-66, musée d’Orsay, Paris
Les lumières du Havre
Pour qui arrive au Havre par voie de terre, après s’être empli les yeux de verdure normande, impossible de ne pas remarquer la lumière. Infiniment subtile, elle décline les gris bleus, les tons de lait, les reflets de métal.
C’est une lumière qui fait du spectacle. Elle se montre, on ne peut pas la rater. Elle laisse bouche bée cinquante fois par jour.
Ce sont les entrées maritimes de nuages qui la façonnent. Il est toujours en train de pleuvoir quelque part sur l’estuaire, et de faire beau ailleurs.
Au Havre, l’horizon se fait vaste. Rien ne distrait de la vue du ciel. Il occupe toute la place.
L’air est lavé de frais. Il arrive du grand large. La lumière éclate de brillance au soleil.
Par moment, le ciel est d’un bleu pur. Mais regardez, déjà un nuage se reflète dans la fenêtre.
Plus qu’ailleurs, le promeneur ne cesse de scruter le ciel, inquiet de décrypter ses mouvances.
Le temps d’une course ou d’un repas, de gros nuages de pluie se sont amassés sur la porte de l’Europe.
Il pleut à grosses gouttes, il est temps de se réfugier dans le musée André Malraux.
Eugène Boudin, obsédé par les nuages et la lumière de l’estuaire, n’était pas Havrais pour rien.
Des perles sur ma robe
Après la pluie, les fleurs rivalisent d’élégance. Elles tourbillonnent, parées de bijoux pour le bal. La rose rose fait gonfler ses jupons.
La blanche lavatère s’anime de lumière.
Le dahlia s’est mis un brillant derrière l’oreille.
Averse
Hier, j’ai fait l’expérience de l’ironie du ciel, cet humour de là-haut dont on ne comprend pas vraiment la finalité, mais qui laisse l’impression que quelqu’un s’amuse à nos dépens.
Je guidais une auteure allemande qui prépare un roman ayant pour cadre Giverny.* Cette fois-ci, pour changer, pas de meurtre mais plutôt des romances, avec la famille Monet en toile de fond. Nous venions de commencer le tour du bassin aux nymphéas quand il s’est mis à pleuvoir. Bientôt, des trombes d’eau se sont déversées sur le jardin.
Il aurait été raisonnable d’aller se mettre à l’abri, comme tous les autres visiteurs. Mais le temps pressait, nous avions plusieurs lieux à repérer ensemble dans le village. Nous nous sommes lancées bravement sous la cataracte, dans le jardin déserté.
Accrochées à nos petits parapluies, nous écoutions d’énormes gouttes tambouriner sur nos têtes. Rester au sec relevait de l’illusion. Ma cliente, qui s’était levée à cinq heures du matin et avait fait toute la route depuis l’Allemagne, était hilare. Rien n’aurait pu doucher sa joie d’être là. Extatique, elle ne cessait d’exprimer son éblouissement devant la beauté du lieu.
L’averse s’acharnait sur l’étang, brouillant tout reflet. C’était d’une beauté sauvage incroyable. Je rêve de photographier cela un jour. Je ne crois pas avoir jamais vu pleuvoir comme ça sur Giverny.
Des nappes liquides ruisselaient sous la porte de la route à la façon d’une piscine à débordement, sauf que nous étions du côté du déversoir. Ce n’étaient plus des flaques dans les allées, mais un pédiluve continu dans lequel nous pataugions, les chaussures trempées.
C’est là que j’ai ressenti l’ironie du ciel. Ah ah ! tu prétendais que le jardin était si bien drainé qu’il était difficile d’y trouver une flaque ? Regarde un peu le beau miroir que je te fais dans les allées ! Ah ah ! Tu as fait 800 kilomètres et tu te faisais une fête d’être là, regarde comme je vais te la gâcher !
Au bout d’une vingtaine de minutes, les nuages sombres se sont éloignés, remplacés par des nuées plus claires, et la pluie a fini par se tarir. Un soleil apaisant a fait son apparition. Soudain, la lumière est devenue sublime, comme une réconciliation. Je n’ai pas pu résister, j’ai sorti moi aussi mon téléphone. Il a fait ce qu’il a pu.
Alors, l’humour du ciel ? On n’est pas sûres d’avoir compris la blague, mais on a bien ri quand même.
*Claire Paulin, Blanche Monet und das Leuchten der Seerosen (Ullstein)
Cendrillon
Les pavots ont un incroyable pouvoir évocateur. Quand ils sont dans toute leur majesté, ils font penser à des danseurs et danseuses qui tourbillonnent. Même dépourvus de leurs pétales, il leur reste un air de tête perchée au bout d’un très long cou, à la manière d’une marotte.
Ces derniers jours, la pluie les a flétris. J’ai surpris celui-ci, non moins touchant dans son habit chiffonné et taché. C’est Cendrillon, qui pense qu’elle va rester au logis pendant que les autres vont au bal.
Inondations
Claude Monet avait l’art de tirer parti des caprices de la nature. L’intérêt artistique des inondations ne lui a pas échappé : il a repris ce motif à plusieurs reprises.
La lumière crépusculaire est celle du soir. Monet peint trois toiles du même endroit, dans des dominantes bleutées, mauves puis roses.
Il n’a pas eu à aller bien loin. Selon le catalogue raisonné établi par Daniel Wildenstein, cette rangée de saules parallèle à la route se trouve dans la Prairie, près du jardin d’eau. Je pense que l’un des arbres au moins a survécu, le long du ru du côté du buste de Monet.
Monet se serait donc installé plus ou moins sur le talus du chemin de fer, surélevé, où il était au sec. Devant lui, le plan d’eau immobile tend un miroir aux arbres et offre de beaux reflets.
L’équipe de Wildenstein est allée compulser les archives météorologiques :
« Des pluies considérables au cours de l’automne 1896 (20 jours en septembre, 21 jours en octobre, 12 jours en novembre, avec un total de plus de 300 mm) ont provoqué des inondations. L’Epte en crue envahit la Prairie où se trouve le rideau de saules situé à proximité de la propriété de Monet. »
On est donc probablement en décembre 1896.
Comme la Prairie de Giverny présente le même aspect de grand lac en ce moment, je suis allée chercher dans les archives de la météo les cumuls de précipitations. En 2021, les 300 millimètres de pluie ont été atteints en deux mois seulement. Après un mois de novembre assez sec (24 mm), il est tombé 166 mm d’eau en décembre 2020 et 137 mm janvier 2021. Et le début février a été bien arrosé aussi. Mêmes causes, mêmes effets.
Après la canicule
La Normandie respire, après un épisode caniculaire sans précédent cette semaine. 41 °C à Giverny, c’est la première fois depuis toujours.
41 °, c’est dix degrés de plus que nos températures estivales d’il y a quelques années à peine. Le bouleversement climatique semble s’accélérer de façon préoccupante.
Pour les humains comme pour les fleurs, il est très difficile de survivre longtemps dans cette fournaise. Pour y faire face, il faut l’adaptation d’une succulente ou d’un cactus, ou l’expérience des hommes du désert.
Heureusement, le souffle brûlant venu du Sud ne s’est pas attardé trop longtemps sur les massifs givernois. Le jardin accuse le coup, certes, mais il reste beaucoup de fleurs magnifiques à admirer, des lis, des soleils, des dahlias, des glaïeuls… Le jardin d’été déroule ses harmonies colorées à hauteur des yeux.
La Seine en crue
Voici la vallée de la Seine ce soir à Vernon. Là, d'habitude, c'est de l'herbe, une jolie pâture à vaches de fond de vallée avec des creux et des bosses.
Un mois d’août pas très doux
La buée s’accroche aux carreaux du salon-atelier de Monet. Il faisait 6° au petit matin sur les bords de l’Epte, une fraîcheur qui surprend, à laquelle on refuse de croire un 20 août. Il y a un certain dépit à s’emmitoufler déjà. Où est passée la belle saison ?
Dans les jardins, les pelouses ne cessent de pousser et les jardiniers de les tondre.
Pour les fleurs, ce n’est pas si mal. Nombre d’entre elles préfèrent la fraîcheur à la canicule, les arrosages du ciel à ceux des humains. Elles durent plus longtemps s’il ne fait pas trop chaud.
Partout, les prairies arborent fièrement une belle couleur émeraude. La Normandie est verte comme jamais en plein coeur de l’été.
Les vaches sont à la fête. Elles broutent, elles ruminent, elles recommencent. Elles me font penser à la philosophie de mon grand-père à l’égard du temps : s’il fait beau, ce sera bon pour la vigne, s’il pleut, ce sera bon pour les choux.
Pour les agriculteurs céréaliers, c’est la catastrophe. Dans l’Eure, les moissons ne sont toujours pas finies et elles seront mauvaises. Les paysans n’arrivent pas à battre le blé. Le grain germe dans les épis.
Va-t-il pleuvoir dans l’Eure ?
Faut-il ou non prendre un parapluie ? Si vous devez sortir, un service internet de Météo France est capable de répondre à cette question avec une grande précision. Il s’appelle « Va-t-il pleuvoir dans l’heure ? » et définit pour chaque commune la nature et la quantité de précipitations pour les 60 prochaines minutes. On sait s’il va pleuvoir, quand, et combien.
Quand on a goûté à ces performances d’exactitude, il est difficile de s’accommoder des prévisions plus vagues qui concernent le temps pour la journée, surtout en cas de « rares averses », « averses éparses » ou « averses localisées », sans parler des « risques d’orages ». Ce côté p’têt ben qu’oui p’têt ben qu’non a quelque chose d’exaspérant même en Normandie, où pourtant l’on est champion de la réponse de Normand, paraît-il. Pluie ou pas pluie, le problème est le poids du parapluie. Que pariera-t-on ?
Cette semaine, il a fait bien chaud dans l’Eure. Je marchais dans les jardins de Monet en me demandant si le temps allait se dégrader quand j’ai remarqué le chuchotis de l’arrosage automatique. J’en ai conclu avec optimisme que les jardiniers pariaient sur le maintien du beau temps. Je présumais qu’ils avaient des sources météorologiques plus précises que les miennes.
Pas si sûr. En fait, m’a expliqué l’un des jardiniers, à Giverny, quand on n’est pas absolument sûr qu’il va pleuvoir, on préfère arroser quand même. Une plante qui a soif est stressée, et certaines mettent quinze jours à s’en remettre. C’est de l’arrosage préventif.
Merveille de l’automatisme qui permet d’arroser sans effort ! Les fleurs de Monet, si bien chouchoutées, restent zen quel que soit le temps. Quand l’arrosage demande du temps et de la peine, l’arroseur est plus enclin au pile ou face.
Photo : système d’arrosage automatique à Giverny
Après la fin du monde
On n’a pas toujours un sujet amusant comme la fin du monde pour alimenter les conversations. Le solstice passé, cette inépuisable source de plaisanteries est subitement tarie. Pour bavarder aimablement, nous voilà contraints à en revenir à cette bonne vieille météo.
Aujourd’hui, la pluie a fait chanter les gouttières toute la journée. Pour les guides qui travaillent en plein air, notamment en Normandie, la pluie est un sujet bateau, un exercice de style. Impossible de faire comme si de rien n’était face à un groupe qu’on oblige à se tenir sous les parapluies et les capuches. Ne rien dire, c’est la sinistrose assurée, un concert de plaintes pendant toute la durée de la visite, qui se réduira dans le souvenir à cette expérience humide.
Il y a plusieurs façons de s’y prendre pour faire échec à la grogne. Par exemple la motivation, version nous sommes des braves, rien ne nous arrête. Les Allemands ont une expression pour cela qui tombe à pic, si j’ose dire, à Giverny : « Nur die Harten kommen in den Garten », seuls les durs viennent au jardin. Image un peu détournée puisqu’il s’agit à l’origine des plantes les plus endurcies qui sont les seules à pousser. Pas grave.
On peut aussi faire appel à la raison, en positivant la pluie, ce bienfait. Parler de cette sécheresse sournoise qui maintient les nappes phréatiques à un niveau préoccupant. Le sens civique du bien commun l’emporte rarement sur le désagrément immédiat, mais au moins, le visiteur aura compris que, s’il décide de maugréer, vous n’avez pas envie d’être en phase avec lui.
Le mieux, au bout du compte, c’est le sens de l’humour. Pas seulement les petites blagues sur les escargots, les grenouilles, les « vous savez nager ? » devant les flaques énormes. Surtout la mine réjouie, la complicité face à une situation à laquelle on ne peut rien changer et qu’il vaut mieux prendre à la rigolade. Le regard rieur pour dire « Ca va ? Vous n’avez pas encore fondu ? Ca fait floc floc dans mes chaussures ! » La meilleure parade, c’est le fou rire de collégien.
Vous voulez que je vous dise ? Guider sous la pluie demande beaucoup d’énergie. Pour que les visiteurs aient du bon temps, il vaut mieux pour tout le monde que le mauvais ne s’installe pas trop longtemps.
Photo : Giverny sous la pluie au mois d’août
Un goût d’été
Tiens ! C’est encore l’été ! On avait failli l’oublier, à force que la saison galope avec toujours ses trois semaines d’avance depuis le printemps, faisant déjà s’épanouir les fleurs de septembre, à force surtout de temps gris et frais qui n’avait rien d’estival.
Et voilà que soudain la canicule s’est abattue sur Giverny cet après-midi. On sursaute, mais oui, au fait, c’est le mois d’août !
Les robes légères ont refait leur apparition dans les allées du jardin, où les visiteurs ne stationnent qu’à l’ombre.
Les fleurs ont droit, aux petites heures du matin, à l’arrosage automatique, minuscules filets d’eau à leurs pieds, amples jets d’eau dans les airs.
Mais déjà, ce soir, l’arrosage automatique du ciel a pris le relais.
Bonne année 2011 !
C’était il y a trois semaines, quand le soleil faisait fondre à toute vitesse la neige à Giverny. Chaque goutte renvoyait l’éclat des rayons solaires, tour à tour jaune, orange ou rouge. Une féerie joyeuse et discrète comme la nature sait en inventer, qu’il y ait des spectateurs ou qu’il n’y en ait pas.
En décembre, les cerisiers du Japon ont encore leurs fruits, dont la rondeur répond à celle des gouttes. Cet arbre-ci pousse au milieu du carré de pelouse entouré de pommiers en cordon, près du grand atelier de Claude Monet. A plusieurs mètres de distance, le scintillement de la lumière faisait comme des clins d’oeil à qui voulait bien les voir.
A l’aube de la nouvelle année, je forme des voeux modestes pour 2011. Je vous souhaite d’en savourer chaque minute. Je vous souhaite des moments de paix et de contemplation. Des moments de lumière et d’énergie. Des moments d’échange et de partage. Je vous souhaite de tisser des liens. A tous, une très bonne année 2011.
L’heure des luges
Encore de la neige ! Cette fois, il en est tombé dix bons centimètres, de quoi immobiliser les voitures et mobiliser les luges.
C’était craquant de voir tous ces petits bouts se faire remorquer par les grands sur le pont de Vernon.
A quelle place aimeriez-vous être ?
C’est le premier jour des vacances scolaires.
Des centaines de bonshommes de neige ont surgi dans les jardins, dessinant autour d’eux des sillons où l’herbe réapparaît, toute verte et incongrue dans la blancheur.
Les boules volent ça et là.
Personne ne s’assoit sur les bancs publics au coussin glacé.
Les sapins de Noël municipaux n’en reviennent pas d’être givrés au naturel.
Le chasse-neige passe, et aussi la dépanneuse.
Matinée sur la Seine
Tout autour de Giverny, le paysage garde la trace des vagabondages de Claude Monet.
Ses motifs sont partout, et frappent l'oeil à l'improviste.
La lumière si changeante est toujours la même depuis des siècles, le décor n'a guère varié non plus.
Dans la fraîcheur du petit matin, depuis le ponton des pêcheurs face à la collégiale de Vernon la vue rappelle les Matinées sur la Seine prises deux ou trois kilomètres en amont, au confluent de l'Epte et du fleuve.
Même végétation touffue sur laquelle se détache la masse incertaine de la brume matinale.
Paradoxe de cette humidité que ne mouille pas, de cette transparence qui devient opaque à distance, légère comme du tulle.
Plus tard le soleil se lèvera et teintera de rose l'haleine du fleuve, comme dans la série des Églises de Vernon.
Du tableau ou du motif, on ne sait ce qui est réminiscence de l'autre.
L'un et l'autre se répondent tant qu'ils donnent chacun une impression de déjà vu.
L’odeur du sol mouillé
Les pelouses du bord de Seine, Vernon
J’ai une bonne nouvelle à vous annoncer : la pluie a fait son come back à Giverny.
Sérieux, c’est une bonne nouvelle. La chanson des gouttes dans les feuilles, la délicieuse odeur de tisane qui s’exhale des prairies, depuis trois mois, pour ainsi dire on avait oublié ce que c’était. L’archiduchesse était peut-être contente pour ses chaussettes, mais les vaches faisaient la moue dans les prés transformés en paillassons jaunâtres. Et quand même, on préfère quand elles rient, les vaches.
Remarquez, je comprends les prés. Je serais un brin d’herbe, j’aurais séché sur place tout autant : une seule journée de pluie en trois mois ! Avec la meilleure bonne volonté du monde, comment voulez-vous résister ?
C’est une sécheresse localisée sur laquelle les médias sont restés secs. Parce que tout le monde a eu de la pluie, sauf l’Eure que les nuages ont soigneusement évitée pour une raison obscure.
Les perturbations tournaient autour du département avec une constance stupéfiante, bien exaspérante pour les jardiniers et les agriculteurs. Ou bien les cumulus passaient, stériles, au-dessus de nos têtes. Le baromètre baissait, on annonçait avec optimisme de la pluie, et puis… rien.
Tout a jauni. Le vent soulevait des tourbillons de poussière, on se serait crû dans une contrée aride du sud. La végétation paraissait décalée, tous ces saules, ces aulnes, ces peupliers buveurs impénitents subitement réduits au régime sec.
Si on faisait encore du vin dans le val de Seine, la vendange aurait été exceptionnelle.
La belle saison a bien porté son nom, et cela a fait l’affaire des vacanciers, qui ne raffolent pas des visites sous les parapluies, ça cache le paysage.
Ce matin, donc, enfin, il a fallu ressortir l’imper du coin où il était allé se cacher. Je vous laisse imaginer la tête que faisaient mes clients qui avaient traversé les océans pour découvrir la Normandie et se retrouvaient à patauger dans les flaques, tandis que j’essayais de leur expliquer, extatique, à quel point cette pluie était une bénédiction.
Quand même, on préfère quand ils sourient, les clients.
C’est normal, c’est normand !
Le soleil n’est pas toujours au rendez-vous des vacances en Normandie. Plus souvent qu’à son tour, le ciel est gris, d’épais nuages cachant le soleil.
C’est une donnée à intégrer au moment de faire vos bagages. Une fois ce principe admis, vous serez paré pour toute éventualité, assuré de la réussite de votre séjour. Vous rêviez de vous promener en sandales, ou même en tongues ? N’oubliez pas les baskets, voire les bottes en caoutchouc !
Côté intempéries, la Normandie est un peu l’annexe de la Bretagne, même si les nuages venus de l’Atlantique se sont déjà bien essorés au début de leur voyage.
Dans l’Eure, on prend tout cela avec flegme. On a été à bonne école, du temps où la Normandie était anglaise. Pour un peu, on en ferait un concours, à qui a la météo la plus variable, la pluie supérieure.
Quand même, à l’heure de l’informatique, on aimerait un peu plus d’organisation là-haut. Qu’il pleuve la nuit, par exemple. Mais ça, c’est comme faire une liste de voeux au Père Noël, on n’est pas toujours exaucé…
La fontaine gelée
Pourquoi dit-on glagla quand il fait froid ? Si c’était le bruit des dents qui claquent de froid clacla serait plus juste. Peut-être parce que ça sonne comme glacé, glaçon, dans un bégaiement de frisson ?
On a l’occasion de se poser ce genre de question existentielle depuis que le gel s’est emparé du paysage. Ah ! bien sûr, c’est beau, le matin quand le jour se lève, brumeux, rosé, sur des prairies couvertes de givre, le soir quand les étoiles scintillent plus brillantes que jamais dans le ciel noir. Mais la contemplation se fait furtive, un petit coup d’oeil et hop ! vite au chaud ! avant la morsure.
Dans la journée, la métamorphose est moins spectaculaire. Il faut s’approcher de la fontaine derrière la mairie de Vernon pour remarquer la parure nouvelle qui lui pousse à côté des jets d’eau. Les glaçons d’un blanc opalescent évoquent les rondeurs satinées des oeuvres de René Lalique, telles que le merveilleux décor de verre qu’il a créé pour la chapelle Notre-Dame de Fidélité à Douvres-la-Délivrande, dans le Calvados.
Après la pluie
Il faut les grosses chaleurs de l’été pour se souvenir comme c’est bon, la pluie, les gouttes fraîches qui vous criblent les bras nus et traversent les vêtements légers jusqu’à la peau, les filets d’eau qui ruissellent le long du visage ou des cheveux et vous chatouillent le creux du cou…
Le thermomètre affichait un bon 33° cet après-midi, un score inhabituel pour Vernon transformée en ville morte.
Et puis toute cette humidité puisée dans l’océan a fini par se déverser sur la Normandie, sur les vaches qui broutent imperturbables, sur les chemins poussiéreux et les humains alanguis.
Ouf ! On respire à nouveau, tandis que s’exhalent dans l’air du soir des parfums de terre et de foin.
Derrière les nuages qui se déchirent le ciel bleu refait son apparition.
Ce soir les flaques ouvrent des coins d’azur sous les pieds, où viennent se mirer les roses des tonnelles.
Des ronds dans l’eau
Il a plu un peu cet après-midi à Giverny. J’avais oublié comme c’était joli, les premières gouttes qui dessinent des ronds parfaits dans l’eau, puis le crépitement de la pluie sur la surface de l’étang.
Souvent l’air est baigné d’une lumière irréelle qui argente les bulles et magnifie les feuilles des nymphéas.
Me croirez-vous ? Personne ne râlait. Les visiteurs souriaient de cette promenade sous les parapluies « tellement romantique ».
C’était le jardin de toutes les eaux, celle dormante du bassin, celle si rapide du ruisseau, et celle distillée en gouttes à gouttes qui arrivait en chute libre depuis les nuages. Le premier nénuphar de l’année en a profité pour fleurir.
Pâques aux tisons
J’aurais été lapin de Pâques, ce matin, j’aurais mis des moufles, même si c’est pas trop pratique pour attraper les oeufs et aller les plaquer planquer dans les fourrés. Faudrait marquer faire l’essai, avec un peu d’entraînement…
Où ai-je la tête ! Voilà que je me crois au rugby, c’est la contagion de la forme ovoïde et de la course sur le gazon, probable.
C’est un emploi précaire, lapin de Pâques, que je me flatte d’avoir exercé pendant pas mal d’années. Il demande du talent dans la furtivité, voyez-vous. L’apparition quasi magique de poules couveuses et de leur production cacaotée dans tous les recoins du jardin requiert un véritable travail d’équipe pour détourner l’attention des jeunes ramasseurs de balles cocos en chocolat.
Bien sûr j’ai essayé la passe en arrière, j’ai voulu former la nouvelle génération à ce job un peu particulier. Le résultat a dépassé mes espérances. Ils ont saisi la balle au bond, au mépris de toute vraisemblance on a retrouvé des poissons tout emballés dans les branches du poirier.
Cette année, j’ai rangé la cape d’invisibilité à oreilles en plastique dans le tiroir, le temps d’une mi-temps qui va durer un certain temps. Vous savez quoi ? Les juniors trouvent que le chocolat pascal est moins bon que les autres, c’est pas honteux, ça ? Sifflet !
Crépuscule
Les jours sont si courts en ce moment qu’on ne risque pas de rater les crépuscules, ni celui du matin ni celui du soir. C’est une affaire qui vous surprend alors que la journée est déjà bien commencée ou qu’elle est loin de se terminer.
Le zapping entre le jour et la nuit se fait tout en douceur, dans le mauve et le bleu.
Le long de l’eau flotte comme une mélancolie quand le ciel fait son baiser du soir à la rivière.
Reste à oublier cette lumière si brève, à se blottir dans la nuit comme dans un manteau. En attendant la prochaine aurore, le crépuscule de demain matin.
Première gelée
Manque de chance, il a gelé cette année à la fin octobre. Le plus souvent les gelées nocturnes ne se produisent pas avant la Toussaint. Mais trois nuits trop froides ont dévasté le jardin de Monet dix jours avant la fermeture.
Je n’étais pas très fière de montrer à mes clients le clos normand en piteux état, même si personne n’y est pour rien, cela n’a tout de même rien à voir avec le spectacle enchanteur qu’il offre d’habitude. Mais il restait le bassin et sa douce mélancolie, il restait la maison de Monet toujours aussi belle.
Et puis j’ai pris l’appareil photo et je me suis approchée des dahlias roussis, des asters ébouriffés, des roses d’Inde flétries, des rudbéckias desséchés, des capucines anéanties.
Ils avaient des allures curieuses, leurs pétales plaqués comme s’ils sortaient de la douche, ou encore entortillés en écharpes, leurs jupes froissées et pendantes…
Ils semblaient exténués par une longue bataille contre le gel, où seules demeuraient victorieuses les dernières roses de la saison.
Ils m’attendrissaient comme le doux visage de ma grand-mère tout sillonné des marques du temps.
Le souffle de la terre
Enfin un vrai temps d’été… Il a fait si chaud hier que le crépuscule était tentant pour la balade. Je me suis aventurée dans la colline à la recherche d’un point de vue, dans l’espoir de faire une jolie photo de la ville dorée par le soleil couchant.
Le chemin, assez large, grimpe sec, puis sinue au flanc de la colline comme un balcon. Il desservait autrefois les carrières de pierre.
Même sous les arbres, l’air restait d’une grande douceur, sûrement plus de 25 degrés. Hélas, pas l’ombre d’une trouée. Partout des arbres bouchaient la vue. La déception me poussait à aller de plus en plus loin, bien que le soleil fût couché. Et soudain, l’air est devenu glacial. L’effet rappelait ce que l’on ressent à la mer quand on est pris dans un courant froid. Un froid brusque et intense tout à fait angoissant.
Il suffisait de regarder du côté de la colline pour comprendre d’où venait ce courant d’air. Une entrée de carrière s’ouvrait à une vingtaine de mètres comme une bouche sombre. C’était l’haleine de la colline, fraîche comme une cave, rendue sensible par la température extérieure élevée.
Bizarrement, comprendre n’a pas suffi à me rassurer. C’est une chose étonnante que la peur. Il n’y avait aucun danger, mais le souffle venu des profondeurs de la terre un soir d’été donnait un intense sentiment de malaise. Le froid de la tombe, peut-être.
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