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Sainte-Adresse et son pain de sucre

Claude Monet, Sainte-Adresse, 1867, National Gallery of Art, Washington

L’exposition L’impressionnisme et la mer se termine dimanche à Giverny, au musée des impressionnismes. Encore quelques jours pour admirer les fantastiques couleurs que les artistes, de Boudin à Maufra, ont vues dans les flots de la mer.

Je suis retournée tout à l’heure regarder de près les Monet, avec leur étrange signature où le t final est comme une croix qui penche, un mât de navire. Et faire un gros plan du pain de sucre de Sainte-Adresse, que Monet a fait figurer sur cette toile de 1867, avec la chapelle Notre-Dame-des-Flots juste derrière. Ce sont là deux monuments caractéristiques de Sainte-Adresse, qu’il connaissait parfaitement.

Claude Monet, Sainte-Adresse (détail), 1867, National Gallery of Art, Washington

On distingue très bien le chemin crayeux qui y monte.

Et puis je me suis demandé s’il était possible de voir le pain de sucre aujourd’hui depuis la plage du Havre. La réponse est oui, si l’on a des yeux perçants, comme Monet.

Voilà un agrandissement de la photo précédente. On s’aperçoit qu’il faut encore marcher vers la droite de la plage avant que le pain de sucre n’apparaisse au milieu de la nef. C’est un bon repère pour retrouver l’endroit où a été peint le tableau de Washington. On se rend compte aussi que lorsque Monet est à la pointe de la Hève, il a les monuments dans son dos, et qu’il ne peut pas les faire figurer dans ses tableaux du cap.

Le bassin du Commerce

Claude Monet, Le Bassin du Commerce, Le Havre, 1874, Liège, Musée des Beaux-Arts de la Boverie
37 x 45 cm

Claude Monet, qui a grandi dans le port du Havre, avait une fascination pour les bateaux. Au fil de sa vie, il en a peint énormément. Il ne fait pas de doute qu’il s’y connaissait en navires et qu’il s’attachait à les représenter avec exactitude, lui qui admirait ceux de Boudin « si bien gréés ». En 1874, alors qu’il habite Argenteuil avec Camille et le petit Jean, il revient séjourner au Havre. Est-ce pour s’embarquer à destination des Pays-Bas ? Les tableaux qui suivent ceux du port du Havre sont peints à Amsterdam.

Il est probable que l’artiste ne s’est pas attardé dans la cité de son enfance. Seules quatre toiles du Havre exécutées à cette occasion nous sont parvenues, dont trois peintes depuis la fenêtre de son hôtel sur le Grand Quai. Celle-ci fait exception. Le plan d’eau décrit est identifiable par le bâtiment à coupole, l’ancien théâtre : Monet se trouve devant le bassin du Commerce, orienté est-ouest, le théâtre se trouvant à l’extrémité ouest de ce long bassin. Je suppose qu’il a pris place sur le pont de la Bourse.

Quelques décennies plus tard, au tournant du siècle, la nature des bateaux amarrés dans ce bassin a changée, mais le théâtre est encore là.

De nos jours, un pont superbe de légèreté enjambe toujours le bassin du Commerce face à l’ancienne bourse de la Reconstruction. Le quai a gardé ses pierres. Au fond, le centre culturel le Volcan dessiné par l’architecte brésilien Oscar Niemeyer a remplacé le théâtre. Et le bassin est pour ainsi dire vide de bateaux.

La jetée du Havre

Claude Monet, La Jetée du Havre, 1868, collection particulière 147 x 226 cm

En 1868, la jetée du Havre, ou digue nord, était un lieu de promenade très prisé, même par gros temps. Monet a peint cette grande toile en vue du Salon. Malheureusement, elle a été refusée, malgré ses qualités soulignées par Zola :

L’autre tableau de Claude Monet, celui que le jury a refusé et qui représentait la jetée du Havre, est peut-être plus caractéristique. La jetée s’avance ; longue et étroite, dans la mer grondeuse, élevant sur l’horizon blafard les maigres silhouettes noires d’une file de becs de gaz. Quelques promeneurs se trouvent sur la jetée. Le vent souffle du large, âpre, rude, fouettant les jupes, creusant la mer jusqu’à son lit, brisant contre les blocs de béton des vagues boueuses, jaunies par la vase du fond. Ce sont ces vagues sales, ces poussées d’eau terreuse qui ont dû épouvanter le jury habitué aux petits flots bavards et miroitants des marines en sucre candi.

Emile Zola, l’Evénement illustré, 24 mai 1868
Gustave Le Gray, le Phare et la jetée du Havre, 1857

En 1857, le photographe Gustave Le Gray s’était placé presque au même endroit pour prendre cette vue de la jetée du Havre et de la mer, dramatisée par l’arrivée d’un magnifique cumulus.

La digue nord n’est plus la même et elle n’est plus accessible au public, les becs de gaz ont disparu, mais les vagues n’ont pas changé. Même par temps calme, elles se précipitent à intervalles réguliers sur la jetée,

et s’écrasent sur la plage de galets, un peu moins jaunes que Monet ne les a vues.

Le Havre de Monet

Peut-on marcher sur les pas de Monet au Havre, reste-t-il, dans cette ville meurtrie par la Seconde Guerre mondiale, quelque chose de la cité portuaire que l’artiste a connue ? C’est presque une question saugrenue, tant l’architecture de la Reconstruction est présente et célébrée, surtout depuis l’inscription des quartiers rebâtis par Auguste Perret au Patrimoine mondial de l’Unesco. Mais à côté des très remarquables hectares de ville voués au béton, il n’est pas nécessaire d’aller très loin pour retrouver des immeubles plus anciens, en briques et en pierres.

Il arrive qu’une signature corrobore une supposition. En 1881, Monet avait la quarantaine, et plus beaucoup de raisons de venir au Havre, mais il aurait pu connaître cet immeuble.

Je n’ai malheureusement pas trouvé de date sur cet ancien bureau de postes et télégraphes, mais son décor de coquillages et de vagues est splendide, et on est avant l’ajout du téléphone.

Certaines rues semblent n’avoir guère changé. Même le tramway est de retour. Tiens ! Un atelier d’artiste !

Oh ! Une porte Art nouveau !
En me voyant faire des photos dans la rue, une dame m’invite aimablement à visiter son appartement.

L’escalier est magnifique et rappelle celui de Giverny ou d’Argenteuil. Fin XIXe ?

A l’intérieur, le double salon à moulures et à parquet de chêne des appartements haussmanniens, et un joli balcon.
Finalement, les immeubles centenaires abondent. Mais pour trouver des bâtiments qui existaient déjà à l’époque de la jeunesse de Monet, au milieu du XIXe siècle, il faut chercher un peu plus.

Voici l’hôtel Dubocage de Bléville, autrefois propriété d’un navigateur et négociant, corsaire de sa majesté, aujourd’hui espace d’exposition.

Juste à côté, l’église Saint-François est toujours debout, au centre d’une place reconstruite.

Mais l’exemple le plus frappant, c’est celui de la merveilleuse « maison de l’armateur », sur l’ancien Grand Quai. Elle date du XVIIIe siècle, et Monet est passé devant un million de fois. Mais peut-être n’a-t-il pas eu, lui, la chance de pouvoir la visiter, alors qu’elle est maintenant ouverte au public.

Cher lecteur, ces textes et ces photos ne sont pas libres de droits.
Merci de respecter mon travail en ne les copiant pas sans mon accord.
Ariane.

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