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Pauvre Rutebeuf
La visite de Vernon, en particulier de la Tour des Archives, est l’occasion d’évoquer Rutebeuf. Le trouvère a, dit-on, écrit le plus célèbre de ses Poèmes de l’infortune emprisonné dans le donjon.
Que sont mes amis devenus que j’avais de si près tenus, et tant aimés ?… Des vers mis en musique par Léo Ferré en 1955 et repris par de multiples interprètes. Joan Baez a même fait franchir l’Atlantique à la chanson dix ans plus tard.
L’été dernier France Info a diffusé chaque jour une chronique musicale, « La face cachée des tubes ». Dans celle consacrée au « Petit cheval » de Paul Fort chanté par Georges Brassens, il est question de censure, et l’on apprend que Léo Ferré lui aussi a vu sa chanson signée Rutebeuf censurée, en raison de la présence d’un mot scandaleux :
Et droit au cul quand bise vente
Le vent me vient le vent m’évente
L’amour est morte.
« C’est un cul du 13e siècle, mais on n’a pas le droit de passer ce cul-là à la radio », note Bertrand Dicale, le chroniqueur de France info.
C’est le week-end et il s’annonce pluvieux, voilà donc l’occasion idéale de réécouter ces émissions toutes plus passionnantes les unes que les autres. Ou de vous intéresser à Paul Fort, pas aussi sage qu’il n’y paraît, qui nous a laissé des vers impérissables et non moins humides sur une autre forteresse euroise, celle de Château-Gaillard aux Andelys.
La pluie tombe infinie. Les horizons s’enfuient.
Où vont-ils ces coteaux, ces coteaux sous la pluie
Qui portent sur leur dos ces forêts qui s’ennuient ?Où donc est Andely, Andely-le-Petit ?
Son coteau ? Son château ? Je les voyais tantôt.
Les horizons s’enfuient. La pluie tombe infinie.Du côté des forêts qui donc réapparaît ?
Ce géant, est-ce lui ? Est-ce toi, vieux château
Qui va courbant ton dos sous neuf siècles d’ennui ?
La pluie tombe infinie.
Bon week-end !
Que sont mes amis devenus ?
A Vernon, la Tour des Archives a l’air aimable des vieilles pierres, depuis qu’elle ne sert plus qu’à décorer le jardin des Arts. On en oublierait qu’elle fut autrefois le donjon d’une place forte. On y accédait par le premier étage grâce à un pont qui donnait sur les remparts. La salle basse servait de cachot.
C’est dans cet endroit sinistre que moisit au 13ème siècle un certain Rutebeuf, poète de son état.
J’ai appris lors d’une promenade littéraire proposée dans le cadre des Journées du Patrimoine comment Rutebeuf s’est retrouvé là : il s’était livré semble-t-il à des libations excessives pendant un séjour du roi dans sa bonne ville de Vernon. Malheureusement sa rétention en « cellule de dégrisement » s’est prolongée plus que de raison, aucun de ses amis n’étant venu demander sa grâce. Cette triste situation a inspiré à Rutebeuf un des poèmes les plus poignants qui soit sur les désillusions de l’amitié :
Que sont mes amis devenus
Que j’avais de si près tenus
Et tant aimés
Ils ont été trop clairsemés
Je crois le vent les a ôtés
L’amour est morte
Ce sont amis que vent emporte
Et il ventait devant ma porte
Les emporta
Effet d’abyme
Les drapeaux et autres oriflammes ont un effet déco immédiat dans une ville. C’est facile et ça ne coûte pas cher pour beaucoup d’effet, avec ces étoffes colorées qui claquent au vent.
Il y a quelques années, la ville de Vernon s’en est avisée, et a décidé de mettre en place des hampes à drapeaux au sommet de la Tour des Archives.
C’est très pratique pour les automobilistes qui traversent le pont sur la Seine : ils voient tout de suite de quel côté le vent souffle, aussi bien qu’avec une manche à air.
Bref ! La question s’est donc posée de savoir quels drapeaux on allait installer en haut de la tour. Vous pouvez voir vous-même quelle configuration a été retenue : l’Europe, la France, la Normandie. L’idée était de situer Vernon dans la hiérarchie des territoires administratifs, qui s’emboîtent comme des poupées russes.
Mais alors, me diront ceux qui suivent, pourquoi n’y a-t-il pas de drapeau de Vernon ?
Ce n’est pas parce qu’il n’existe pas. On aurait pu mettre, au choix, les armes de la ville qui remontent au 13e siècle, ou le logo nettement plus récent.
Non, la réponse est dans la photo. Regardez bien le drapeau français sur l’agrandissement. Vous le voyez ? Il s’effrange. Ca souffle fort, là-haut. Les drapeaux ne résistent pas très longtemps.
Si la ville ne s’est pas représentée au même titre que la Région, l’Etat ou l’Union, c’est une question de budget. Les drapeaux de la Normandie, de la France et de l’Union européenne se trouvent tout faits à des prix abordables ; mais la ville aurait dû faire faire spécialement le sien, ce qui revient plus cher.
La mise en abyme à la cime de la tour reste incomplète, mais personne n’y prête attention. Quand le vent souffle, il est prudent de prendre plutôt garde à son chapeau. Il pourrait tomber.
Les toits de Vernon
Ce matin les hirondelles volaient assez haut dans le ciel, faisant mentir les prévisions pessimistes de Météo France. Ce sont elles qui ont eu raison, il n’est pas tombé une goutte aujourd’hui.
De là-haut, elles doivent avoir une vue sur les toits de Vernon proche de celle qu’on a depuis le sommet de la Tour des Archives.
Ce qui frappe tout d’abord le promeneur essouflé d’avoir gravi cent marches et qui contemple le paysage en attendant que son coeur reprenne un rythme normal, c’est la silhouette élancée de l’église émergeant des maisons qui l’entourent. On dirait une poule au milieu de tout plein de poussins.
Le quartier entre la tour et l’église a été peu affecté par les bombardements de la dernière guerre. Il a conservé son tracé du Moyen-Age, avec ses rues étroites et ses toitures enchevêtrées.
L’ardoise et la tuile se disputent les faveurs des couvertures à Vernon. Je crois qu’un comptage effectué en vue de définir quel matériau il faut employer pour les nouvelles constructions dans les secteurs protégés a conclu à un partage à 50-50. Les architectes et les particuliers ont donc le choix, petite tuile plate brun rouge ou ardoise.
On n’a pas toujours prêté autant d’attention à l’harmonie générale. Il y a quelques décennies, la tendance était plutôt de privilégier les matériaux modernes si pratiques. Quantités de toits se sont vu couverts de tuiles de Beauvais, une tuile mécanique à la jolie teinte chaude mais au rendu raide et uniforme. Avec le temps, elles finissent tout de même par se patiner et par avoir leur charme.
De tous ces toits émergent des forêts de cheminées devenues passablement superflues depuis qu’on ne se chauffe plus au bois ou au charbon. Les ramoneurs les ont désertées, il reste les petites fenêtres aménagées dans les combles qui leur permettaient d’accéder au toit pour ramoner le haut des cheminées.
Sous les toits, à la faveur d’une discontinuité de la rue, on aperçoit aussi quelques pignons de maisons à colombages. Leur dessin bicolore rappelle que nous sommes déjà en Normandie. Vernon a une vocation de ville frontière. Sous Philippe-Auguste, au 12ème siècle, c’était la dernière ville française en bord de Seine. La limite s’est un peu déplacée. Aujourd’hui c’est la première ville normande le long du fleuve.
Tour des archives
« Une certaine incertitude » entoure l’origine de la Tour des Archives, donjon du château médiéval de Vernon. L’historien du Cercle d’Etudes Vernonnais, la société savante locale, est prudent. Il semble qu’il y ait eu dès 1123 une tour à Vernon, édifiée par Henri Ier Beauclerc, le fils de Guillaume le Conquérant. Mais cette tour, probablement carrée comme les autres tours normandes, a dû être rasée pour faire place à celle que l’on voit encore aujourd’hui, attribuée à Philippe-Auguste. Le roi de France est le spécialiste des tours rondes, il en reste une à Rouen en particulier.
On est dans les dernières années du 12e siècle. Richard Coeur de Lion est en train de construire Château-Gaillard aux Andelys, à une vingtaine de kilomètres de là. Le site le plus approprié pour lui faire pendant côté français est Vernon, place forte sur la Seine.
Philippe-Auguste fait construire un donjon extrêmement solide : des murs de 3,50 mètres d’épaisseur à la base, 22 mètres de haut. La porte d’entrée est au premier étage. On y accède depuis les courtines des remparts par un pont-levis au-dessus de douves. Il fallait donc redescendre un escalier pour aller dans la salle basse.
Le couronnement était sans doute différent, créneaux et toit en poivrière, les encorbellements sont un rajout ultérieur.
Après avoir perdu sa fonction défensive, la tour a servi à stocker les minutes notariales, ce qui lui a valu son nom. Elle est aujourd’hui le vestige le mieux conservé du château médiéval, dont il reste aussi un pan de muraille et deux autres tours en ruines proches de l’Espace Philippe-Auguste.
Jeu d’échecs géant
Dans le jardin des Arts, à Vernon, un jeu d’échecs géant a été installé au pied de la tour des Archives.
C’est un choix très inspiré. Outre qu’il apporte un agrément supplémentaire à ce square de centre ville, ce champ de bataille symbolique rappelle que Vernon a été ville frontière autrefois.
La tour des Archives, c’est ce qu’il reste du château médiéval de Vernon, un donjon circulaire aux pierres soigneusement taillées. Ces tours rondes qui ont défié le temps portent la marque de fabrique de Philippe-Auguste. Le roi de France, fin stratège, en a fait bâtir plusieurs du même modèle aux marches de son domaine, à la fin du 12e siècle.
Il y a huit cents ans, le royaume de France était borné par l’Epte, qui coule à Giverny. De l’autre côté de la rivière, sur la rive Ouest, s’étendait le duché de Normandie. Autrement dit le fief du roi d’Angleterre, Richard Coeur de Lion, beaucoup plus puissant que le roi de France. Et donc potentiellement menaçant.
Les rives de l’Epte sont l’espace de confrontation de ces deux puissances, et de ces deux caractères. Le rusé Philippe-Auguste, l’impétueux Richard. Deux rois se défient.
De chaque côté, on bâtit tour sur tour. Aux Andelys, sur un éperon qui domine la Seine, le duc-roi fait construire la forteresse de château-Gaillard.
La partie d’échecs dure plusieurs années. Elle est faite d’intimidation et de joutes verbales. « Je prendrai ce château, fut-il de fer ! » s’écrie le roi de France. « Je le défendrai, fut-il de beurre ! » fanfaronne celui d’Angleterre. Les forces sont en équilibre.
Mais après la mort de Richard, son frère Jean Sans Terre ne sait pas opposer la même résistance à l’avancée des pions et des cavaliers. Au lieu d’affronter le danger, il biaise, tel un fou.
Quelques mois de siège, un assaut, château-Gaillard tombe au printemps 1204. Echec et mat. Toute la Normandie devient française la même année.
Monuments anciens, le passé présent
Comment vivre aujourd’hui dans nos villes avec les monuments du passé ?
La réponse ne va pas de soi. Elle a été radicalement différente au fil des siècles.
La notion de patrimoine est un concept moderne. Autrefois, quand un monument avait perdu la fonction pour laquelle il avait été bâti, on pouvait en faire une source de matériaux prêts au réemploi, ou l’utiliser à d’autres fins – prison, fabrique, lieu de stockage…
Aujourd’hui, la question de l’importance des vestiges en tant que témoins du passé ne se pose plus. Ils sont nos racines, qui plongent loin dans l’histoire, et nous permettent de savoir d’où nous venons et qui nous sommes.
Mais il nous faut cohabiter avec ces tours, ces remparts, ces châteaux d’un autre âge.
Alors ? Les mettre sous verre, comme des objets précieux, magnifiés par l’éclairage ? N’est-ce pas les vouer à une mise à l’écart, à un rang à part dans le tissu urbain, comme un bibelot sur une étagère, qu’on finit par ne plus voir ? Ou bien les reconsidérer en leur trouvant un usage respectueux de leur valeur ?
A Vernon, c’est cette dernière option qui a été choisie pour la Tour des Archives. Le vieux donjon du château de Philippe-Auguste, vieux de huit siècles, est devenu une sorte de cimaise géante. Et on lève à nouveau les yeux vers lui.
Ces dernières années, on l’a vu se parer de drapeaux qui portent haut les couleurs de la Normandie. On l’a vu exposer des oeuvres d’art contemporain de grandes dimensions. Il sert de toile de fond à des spectacles et des feux d’artifices. Sa dernière mise en beauté a eu lieu le week-end dernier, à l’occasion du Téléthon.
Les pompiers ont eu la belle idée de vendre des ampoules, qu’ils sont allés accrocher avec la grande échelle en longues guirlandes pendant depuis le sommet de la tour. L’effet est spectaculaire, et un magnifique symbole d’espoir.
Les cadrages de la ville
Quelquefois la ville a des cadrages qui nous dépassent. Elle se joue du photographe, avec l’air de dire « regarde comme je suis plus maligne que toi ! Quest-ce que tu dis de ça ? »
A Vernon le haut de l’Espace Philippe Auguste, centre culturel de construction récente, joue un tel tour. Ses vitres réfléchissantes se sont saisies de l’image de l’ancien donjon du château médiéval, à demi masqué par une demeure du 18e. Avec leur quadrillage à la Mondrian, les miroirs d’aujourd’hui dialoguent avec l’ellipse du donjon, les diagonales du toit et des lucarnes. On dirait les traits de construction d’un peintre débutant.
Et quelle harmonie de couleurs ! Comment faites-vous, Madame la ville, pour avoir un ciel aussi bleu, alors que celui de ma pauvre photo est tout blanc ? Je m’incline, vous êtes la plus forte. Vous m’avez bluffée.
Jardin des Arts
Vernon embellit ! La ville, qui a déjà trois fleurs au classement des villes fleuries, vient d’inaugurer un nouveau jardin en plein centre. Après bien des débats, il s’appelle le Jardin des Arts.
Il se trouve dans un endroit stratégique derrière la médiathèque-salle de spectacles, l’Espace Philippe-Auguste, à mi-chemin entre la gare SNCF et le pont sur la Seine.
Pour ouvrir cet espace vert, il a fallu démolir plusieurs bâtiments datant de l’entre deux guerres, une école de musique, un tribunal d’instance et une salle des fêtes, donc reloger toutes ces activités auparavant. Voici enfin l’épilogue d’un projet qui s’étire sur plus d’une décennie.
Un des objectifs était de mettre en valeur la Tour des Archives, jusqu’ici enclavée au milieu des bâtiments du quartier. Vernon a la chance d’avoir conservé en parfait état le très beau donjon de son château médiéval du 12e siècle. On n’y stocke plus les archives, mais on peut y monter aux journées du Patrimoine en septembre.
Les paysagistes ont imaginé des gradins de pierre au pied de la tour, avec une petite scène pour des spectacles en plein air. Le regard grimpe le long de ces marches, aspiré par la verticalité de la tour.
Tout le long des restes de rempart, le caractère moyenâgeux est renforcé par des stèles qui portent les chapiteaux sculptés vainqueurs des concours de tailleurs de pierre organisés tous les deux ans à Vernon.
Devant, des buis taillés et des plantations d’herbes aromatiques et de roses évoquent un jardin médiéval. La transition vers l’esplanade de l’Espace Philippe Auguste se fait par une pelouse et une ligne de jets d’eau cette fois tout à fait contemporains, et qui servent déjà de « piscine » par ces temps de canicule.
Croyez-vous que les Vernonnais soient contents ? Qu’ils trouvent que la municipalité a fait un bon usage de leurs impôts ? Evidemment non, le Français étant râleur par nature. Le Jardin des Arts est donc trop et pas assez. Trop cher, trop bétonné, trop urbain pour une ville comme Vernon, il manque de bancs, d’ombre, on ne peut plus y jouer au ballon, les pavés en haut des gradins ne conviennent pas à une scène… Espérons que les touristes seront moins grognons.
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