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Camille au petit chien

Le catalogue raisonné de Monet place ce portrait de Camille de profil entre l’immense Déjeuner sur l’herbe, jamais terminé, et la magnifique Femme à la robe verte enlevée dit-on en quatre jours, et appelée à faire du bruit au Salon. L’artiste a conservé le doux visage de sa première épouse toute sa vie, puis celui-ci est resté en mains privées, c’est pourquoi il est moins connu que les deux oeuvres citées.
Monet a pris grand soin de bien peindre le visage de Camille, dans une facture lisse propre à plaire à un jury académique. Elle se tient droite, elle regarde devant elle, sérieuse, avec une grâce dans la pose qui lui est propre et qu’on retrouve sur plusieurs tableaux. Deux petites pattes de cheveux lui descendent devant l’oreille et font ressortir la pâleur de sa peau.
Son petit chien au pelage blanc bouclé se blottit dans ses bras. Est-ce un bichon maltais ? Ces petits chiens adorent bouger, mais celui-ci semble se résigner à l’immobilité.
La capeline rouge fait penser à celle d’Argenteuil, quelques années plus tard, sans qu’on puisse être certain que ce soit la même. Mais les vêtements étaient chers et il est possible que Camille ait conservé cet accessoire plusieurs années. Monet s’est attaché à rendre le gros noeud de velours rouge bordeaux, qui se confond par endroits avec le fond sombre.
L’harmonie chromatique de ce portrait, la douceur qu’il dégage le rendent hypnotique. Mais pourquoi Monet a-t-il souligné l’oeil de ce cerne sombre ?
Victor et son chien

Quel beau chien ! D’après vous, de quelle race est-il ? Je penche pour un épagneul français, mais je me trompe peut-être.
Victor Jacquemont, dont les coordonnées figurent dans la plus ancienne liste d’adresses de Monet conservée au musée Marmottan-Monet, était un ami d’enfance de Claude, ou plutôt d’Oscar. Le musée de Zurich affirme qu’il a aussi possédé des toiles de Monet, jouant ainsi le rôle de mécène. Ce serait intéressant de savoir lesquelles. Le catalogue raisonné ne fait pas mention de Jacquemont parmi les propriétaires d’oeuvres. La question de savoir si ce portrait est une commande ou non reste ouverte.
Qui, de Monet ou de son ami, a eu l’idée de cette mise en scène ? Sorti se promener en compagnie de son chien, le jeune homme s’arrête, pensif, au milieu du chemin, un parapluie ouvert sur l’épaule alors qu’il ne pleut pas et qu’il est à l’ombre. Dans la main gauche, il tient un objet difficile à identifier, peut-être un journal. A-t-il prévu de s’asseoir quelque part pour lire en laissant son chien vagabonder ? Le toutou, bien obéissant, s’est arrêté lui aussi, les quatre pattes au sol.
Avant de devenir l’impressionniste que l’on connaît, pour qui la fidélité à ce qu’il voit est primordiale, Monet, dans ses oeuvres de jeunesse, ne s’est pas gêné pour bricoler avec la réalité. L’homme debout, le chien et le paysage de sous-bois n’ont peut-être pas été peints le même jour, ni sur le motif.
Je me figure que Monet aimait la façon dont un parapluie ouvert (ou une ombrelle) offre un fond sombre à un visage et le met en valeur. Au Havre, le parapluie noir était un objet du quotidien. Les hommes s’en servaient-ils pour se protéger du soleil ? Ce n’est pas sûr, mais cette possible invraisemblance n’était pas de taille à déranger un Monet absorbé dans un travail pictural.
Wildenstein classe le tableau en 1865, juste avant les vues de Chailly. Les trouées de soleil dans le sous-bois viennent irradier le chemin à l’arrière de Victor Jacquemont et présentent des similitudes avec celles peintes en forêt de Fontainebleau, ce qui justifie cette datation. Pour le musée de Zurich, il est également possible qu’il ait été peint après Chailly, jusqu’en 1867.
L’histoire de ce tableau est assez poignante. Il est pieusement conservé chez les Jacquemont jusqu’à la mort de Victor en 1907. Suite à ce décès, la veuve le propose aux enchères, mais la toile (pas assez impressionniste ?) ne trouve pas d’acquéreur. La veuve confie alors le portrait à un marchand, Bernheim-Jeune, qui le cède à la galerie Paul Cassirer de Berlin pour 3000 francs. Il part ensuite à Breslau, (ville allemande jusqu’en 1945, aujourd’hui en Pologne), où il est exposé. C’est là qu’il entre dans la collection de Carl Sachs. Cet entrepreneur de confession juive a fait fortune dans la production et la vente en gros d’articles de mercerie, lingerie et prêt-à-porter. Il collectionne la peinture et les oeuvres graphiques.
La crise de 1929 et la montée du nazisme vont mettre un terme à ces belles années. Après avoir dû vendre une partie de sa collection, Sachs se voit exclu du conseil d’administration du musée de sa ville, auquel il a pourtant consenti des dons importants. Sentant que ses biens ne sont plus en sécurité à Breslau, il prête plusieurs oeuvres d’art au musée de Zurich, parmi lesquelles notre Monet. Breslau se vide de sa communauté juive, soit un tiers de ses habitants, les lois fiscales antisémites ruinent Sachs, mais ce n’est qu’en février 1939 qu’il parvient à émigrer en Suisse avec son épouse. Il a 80 ans. Il est contraint de vendre des tableaux pour survivre. Il meurt en 1943.
Les toiles vendues en émigration sous la pression des évènements sont désormais considérées à l’égal des oeuvres pillées, comme des biens culturels confisqués en raison des persécutions nazies. Le musée de Zurich s’est rapproché des héritiers de Carl Sachs et recherche avec eux une solution équitable et juste. le tableau quittera-t-il les cimaises du musée ? Affaire à suivre.
Le fumeur de pipe et son chien

Claude Monet, L’Homme à la pipe, portrait présumé de Jongkind, 1864, collection particulière
En quelques coups de brosse, Monet évoque ce petit chien roulé en boule au pied de la chaise où son maître goûte une moment de repos. Deux yeux noirs émergent d’une fourrure mêlant les bruns, le noir et le blanc. On dit parfois que les chiens ressemblent à leurs maîtres, et il est vrai qu’il y a un petit quelque chose de semblable, en effet, entre le grand humain blond à la barbe un peu rousse et la boule de poils qui l’accompagne.
Est-ce le portrait de Johan Barthold Jongkind, peintre néerlandais ami de Monet, son aîné de 21 ans ? Le jeune Oscar Claude le campe en homme mûr, alors que lui-même est encore tout jeune. Un argument penche en faveur de cette identification : Monet a gardé la toile toute sa vie, en dépit des vicissitudes de l’existence ; c’est son fils Michel qui s’en défera. On peut donc penser que le peintre y tenait énormément, comme un souvenir de cet ami cher dont il disait qu’il lui devait l’éducation définitive de son oeil.
Le chien du Déjeuner sur l’herbe

Avec ses couleurs terreuses, ce n’est pas lui qu’on remarque en premier : un lévrier s’est glissé dans le tableau préparatoire pour Le Déjeuner sur l’herbe du musée Pouchkine, venu à Paris (Vuitton) en 2016. Sa tête « ressemble d’une manière frappante à l’un des deux lévriers du comte de Choiseul », note Géraldine Lefèbvre dans son enquête autour de la tête de lévrier peinte par Monet. Le museau tourné vers les délicieuses victuailles qui s’amoncellent sur la nappe blanche, son attitude rappelle celle du chien du Trophée de chasse attiré par l’odeur du gibier.

Dans la toile du musée Pouchkine, Monet a placé le chien dans une position centrale au premier plan. Sa petite taille est idéale pour refermer le cercle autour de la nappe. Mais le peintre s’est ravisé. Le chien a disparu des fragments de la toile définitive inachevée du musée d’Orsay (ci-dessous). Il est remplacé par une tache de soleil éblouissante, qui met l’accent sur ce qui a le plus d’importance pour Monet dans ce tableau : l’étude de la lumière filtrant à travers les feuillages.

A qui sont ces chiens ?

Les oeuvres de prime jeunesse de Monet fourmillent de chiens. Ainsi la nature morte cataloguée w10, Trophée de chasse, est suivie d’une Tête de chien w11, et d’une Tête de lévrier w12. Dans ces deux derniers tableaux, l’animal est le sujet principal, ce qui rend ces toiles d’autant plus intrigantes. Dans quelles circonstances ont-elles été peintes ? La première a appartenu à la benjamine des belles-filles de Monet, Germaine Salerou, tandis que la seconde est vendue en 1925 à André Barbier, ami de Monet, avant de partir pour une collection particulière aux Etats-Unis.
Pour découvrir de quels chiens il s’agit, Géraldine Lefèbvre, directrice du musée du Havre et spécialiste des jeunes années de Monet, s’est livrée à une véritable enquête, dont elle a publié les résultats dans Monet au Havre, les années décisives. Plusieurs autres oeuvres de jeunesse l’ont mise sur la piste d’un des premiers mécènes de l’artiste, le comte de Choiseul, qui possédait un chalet à Deauville, et dont les chiens ont été également portraiturés par Courbet en 1866. Géraldine Lefèbvre pense qu’il faut dater de la même année les tableaux de Monet.

Pour ce qui est de l’autre tête de chien, connue seulement par une photo en noir et blanc, sa présence dans la collection de Monet jusqu’au don du tableau à sa belle-fille Germaine laisse penser qu’il s’agit d’un animal qui lui était cher. Peut-être le peintre a-t-il eu un chien dans sa jeunesse, dont il aurait voulu conserver le bon regard en souvenir. Spéculation : après la mort de sa mère, alors qu’il avait 16 ans, son père ou sa tante aurait-il eu l’idée de lui offrir ce compagnon à quatre pattes ?
Le chien Pistolet fan de Monet

Claude Monet avait, selon ses contemporains, un charisme naturel qui s’imposait à tous, même aux animaux. C’est ainsi qu’en 1889, lors de son séjour à Fresselines, dans la Creuse, il s’est mis dans la poche les chiens de son ami Maurice Rollinat.
Les seuls êtres qui font ma société tout le jour sont, outre mon jeune porteur, deux superbes chiens de Rollinat ; ils m’ont pris en amitié. Le matin ils arrivent à l’auberge, grattent à ma porte et ne me quittent pas une minute ; je suis donc bien gardé et personne ne peut s’approcher de moi quand je travaille.
Lettre de Claude Monet à Alice Hoschedé, Fresselines, 21 mars 1889
Le peintre dînait tous les soirs chez le poète, grand ami des animaux. L’un de ses chiens se nommait Pistolet. Pourquoi ce nom ? Rollinat s’en est expliqué en vers :
Souple et fort – jappant sec et plutôt taciturne,
Ce chien d’acier répond au nom de Pistolet :
Et certe ! il en vaut un par sa garde nocturne !
Au moindre craquement de porte et de volet
II s’arme ! et, si quelqu’un pénétrait dans la salle
Il ne ferait qu’un bond, soudain comme une balle.
Selon Gustave Geffroy, ami et biographe de Monet, qui lui a fait connaître Fresselines et Rollinat,
Pistolet, qui avait adopté Monet, (…) ne le quittait pas un instant, le suivant au « motif », restant auprès de lui à la fois pour le protéger, le défendre, et lui tenir compagnie, le reconduisant chaque soir à l’auberge, et revenant chaque matin, à l’heure dite, se coucher sur le paillasson en attendant son nouvel ami.
Gustave Geffroy, Claude Monet, sa vie, son oeuvre, 1924
Après le départ de Monet, son souvenir est resté longtemps dans la mémoire du chien Pistolet.
(…) Nous vous regrettons tous, et Pistolet aussi, je vous le promets. On n’a qu’à lui dire : « Ah ! voilà Monsieur Monet ! » pour qu’aussitôt il se mette à piaffer, tourniquer, sauter, le tout entremêlé de moucheries et d’aboiements moitié plaintifs, moitié joyeux ; il court aux portes, renifle l’air du chemin que vous aviez l’habitude de prendre avec lui, et fait encore maintes fois de fréquentes perquisitions dans l’escalier de la mère Baronnet.
Lettre de Maurice Rollinat à Claude Monet, Fresselines, 25 mai 1889
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