On sait tout de ces galettes : le nom et le visage de celui qui les a cuisinées, de son épouse, et même de leur chien !
De février à avril 1882, Monet séjourne à Pourville, sur les côtes de la Manche, non loin de Dieppe. Il loge dans le modeste hôtel – restaurant – casino du village balnéaire.
L'établissement s'appelle "A la Renommée des Bonnes Galettes". Il est tenu par Paul Antoine Graff. Ce chef né en Alsace a peut-être émigré en Normandie après la défaite de 1871, qui donne l'Alsace à l'Allemagne.
Monet n'a pas un sou. En cette saison hivernale, il est le seul pensionnaire de l'hôtel. L'hébergement ne coûte que 6 francs par jour, contre 20 francs dans un hôtel de Dieppe, mais comment payer ?
Les Graff sont de braves gens, ils acceptent de se laisser peindre par Monet en échange de sa pension. Le peintre exécute deux grands portraits, l'un du Père Paul, l'autre de la Mère Paul en compagnie de sa petite chienne griffon Follette ; enfin, ce sont les galettes que le peintre croque sur la toile.
Deux belles galettes dorées à souhait refroidissent sur des claies d'osier. On les devine riches en beurre, car c'est comme ça qu'on l'aime, comme dit la chanson. Des coups de couteau rayonnants tracés dans la pâte leurs donnent l'aspect de deux grosses fleurs.
Les galettes sont disposées sur une table recouverte d'une nappe blanche. A côté, une carafe qui contient peut-être du cidre, de la couleur exacte des galettes. De l'autre côté, un couteau.
C'est ce couteau noir, à la lame effilée, qui dérange. Tout est doux dans le tableau, les formes arrondies, les teintes lumineuses et dorées, sauf ce terrible couteau pointu.
Au lieu d'être posé sur le bord d'une galette, comme une invitation à la couper, le couteau pointe vers le spectateur. Vers le peintre. Vers sa signature.
Dès lors, on peut s'interroger sur la composition de l'oeuvre. Monet cadre serré, coupant même le haut de la carafe. La scène en acquiert une indéniable intensité dramatique.
Quelques précisions biographiques peuvent contribuer à une interprétation symbolique du tableau. Au moment où Monet peint les Galettes, il se trouve seul sur la côte normande. Alice, qui est encore la femme d'Ernest Hoschedé, est restée seule à Poissy avec les huit enfants : les deux fils de Monet et Camille et les six enfants qu'elle a eus avec Ernest.
La toile devient le champ de projection des conflits qui déchirent Monet. Il aime Alice, mais il en est séparé. A Poissy, ils logent ensemble, mais il l'appelle Madame. Un parfum de scandale flotte depuis le décès de Camille et le départ d'Ernest. Et si Alice venait à renoncer à vivre avec lui ? Et si elle retournait auprès d'Ernest ?
"J'étais sous le coup de vos mauvaises nouvelles du matin… j'ai eu une terrible angoisse", écrit-il à Alice le 18 mars.
Le couple de galettes semble représenter le sien. Le couteau, c'est cette menace qui pèse sur son coeur, et qui pourrait bien le briser.
Monet, comme la carafe, en perd la tête. Comme elle, si près du bord de la table, il semble happé par la dangereuse proximité des falaises.
Bonjour,
j’ai lu avec grand intérêt votre commentaire sur cette nature morte de Monet, peintre que j’adore et pour lequel j’administre un groupe sur Facebook. Ce groupe fut créé en réaction à ceux, hélas très nombreux, qui se réclament du nom de Claude Monet mais ne publient le plus souvent que des images trompeuses issues du travail d’autres artistes ou de créations générées par intelligence artificielle, sans rapport aucun avec les oeuvres réelles ni les thématiques de Monet. Ayant à ma disposition une reproduction de qualité de l’oeuvre ci-présente, je sollicite de votre part la permission d’utiliser, au moins partiellement, votre commentaire pour accompagner la publication que je voudrais faire sur ce tableau.
Par ailleurs, je vois que vous êtes guide à Giverny et seriez peut-être intéressée à connaître mon travail photographique et créatif sur ce lieu où je me suis rendu de multiples fois et auquel j’ai consacré un livre photo que je cherche à diffuser en dehors de mon cercle confidentiel d’amis et de famille.
Bonjour Jean,
Merci pour votre message. Vous êtes le bienvenu pour citer le commentaire des Galettes, je vous fais confiance pour me l’attribuer et mettre un lien vers le post.
J’ai relu ce commentaire et au vu de ce que je sais maintenant, je ne suis pas totalement sûre que Monet ait donné ces tableaux en guise de paiement au couple Graff. Gustave Geffroy, biographe de Monet, dit que les trois tableaux (les deux portraits des Graff et les Galettes) ont été faits pour occuper des jours de pluie. Bien sûr, l’un n’empêche pas l’autre. En 1882, les finances de Monet n’étaient pas florissantes, et si on pense au portrait de Poly, à Belle-Île, peint lui aussi un jour de pluie et que Monet s’est bien gardé de lui offrir, on peut supposer que le peintre ne s’est pas défait par pure générosité de trois tableaux.
Quant à vos photos, je les regarderai avec plaisir. Je ne peux que vous souhaiter bonne chance, car c’est bien de cela qu’il s’agit. Giverny est très connu et très photogénique, tout le monde fait des photos, les places sont chères et déjà prises. Avez-vous pensé à les diffuser dans votre milieu professionnel, sous forme d’agrandissements ?