Le ciel est bleu, le soleil baigne la terrasse de L’Hôtel des Roches Noires, à Trouville quand Claude Monet peint cette scène balnéaire un matin de l’été 1870.
L’hôtel en question est un luxueux établissement, l’un de ceux qui, comme celui de Cabourg, ont servi de modèle à Proust pour imaginer le Grand Hôtel de Balbec.
En 1870, Monet a 30 ans, il est sans le sou et n’a évidemment pas les moyens de se payer un séjour dans un hôtel aussi chic. Il a pris pension avec Camille et le petit Jean à l’hôtel de Tivoli, plus éloigné de la plage. Et il ne sait comment faire pour calmer l’aubergiste qui lui présente sa note.
Si Monet choisit de peindre le front de mer, c’est qu’il espère trouver un acheteur à la toile, un riche bourgeois qui s’identifierait à cette classe sociale évoquée en quelques coups de pinceaux, à ces petites silhouettes élégantes qui flânent en bord de mer.
Eté 1870. Est-on en juillet ou déjà en août ? La guerre avec la Prusse est-elle déclarée ? Les personnages peints par Monet sont probablement moins insouciants qu’ils ne le paraissent.
La façade de l’hôtel se dresse comme une muraille infranchissable. Son ombre noire s’étend sur la terrasse à l’image de l’ombre de l’aigle prussien sur la France.
Le vent souffle de la mer. Il fait claquer le grand drapeau du premier plan, avec ses rayures rouges qui lui donnent l’air d’être taché de sang. Alors que la façade de l’hôtel est rendue avec un soin minutieux, Monet peint le drapeau en quelques coups de pinceaux presque négligents, qui transmettent incroyablement le mouvement du tissu rayé dans le vent.
L’horizon paraît bouché à droite, côté Paris, tandis que l’air du large semble l’ouvrir sur la gauche du tableau, vers la Manche et l’Angleterre.
La mer, on la voit à peine. La mince ligne d’horizon derrière le monsieur qui soulève son chapeau représente pourtant le Havre, le port où habite la famille de Monet. Ses relations tendues avec son père empêchent Claude d’en attendre beaucoup de secours financier.
Claude Monet sait qu’il ne peut retourner à Paris, une capitale menacée où il n’a ni logement ni ressources.
Il sait que personne n’achète de tableaux dans un pays en guerre. Il devient même difficile de peindre en plein air, on vous prend vite pour un espion.
Monet est père de famille, à ce titre il n’est pas appelé sous les drapeaux. La seule solution raisonnable, pour espérer subvenir aux besoins des personnes dont il est responsable est de quitter la France, comme des centaines d’autres réfugiés chaque jour.
C’est l’idée qui semble mûrir en lui tandis qu’il peint, de plus en plus sombre, sur le front de mer à Trouville, cet été de 1870.
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superbe !
un regret : rien sur les portraits de femme , objet d’une de mes recherches