Mon interlocutrice avait l’air de faire la moue, à l’autre bout du téléphone.
-C’est bien, Giverny, en ce moment ? Il reste encore des fleurs dans le jardin ?
Sempiternelle question. Regrettable hésitation. Alors qu’octobre est si incroyablement beau dans les jardins de Claude Monet à Giverny.
Ce n’est pas qu’il reste des fleurs dans le jardin : il en déborde de partout, comme si les massifs qui jusqu’ici tâchaient de les contenir cédaient sous la poussée des asters, des dahlias, des hélianthes. Cela exubère de toutes parts, façon corne d’abondance.
Les fleurs devenues géantes jouent les grandes dames ; elles réveillent chez le visiteur rapetissé des sensations oubliées d’enfance.
A se promener dans le clos normand on se prend de grandes claques de jaune, de rouge, d’orange, de violet, ébloui par un florilège de teintes fauves assemblées en harmonies saisissantes. Quand il fait beau comme ces derniers jours, toutes ces fleurs aux couleurs vives resplendissent dans la chaude lumière d’après-midi et se détachent sur le bleu du ciel.
Mais c’est l’ambiance du matin que je préfère, quand le brouillard de la Seine toute proche baigne Giverny d’une atmosphère irréelle.
Au jardin d’eau, la brume estompe les arbres qu’elle nimbe d’un voile de douceur. On devine, sur l’autre rive, le petit pont japonais sous le grand saule. Il a presque disparu dans cette ambiance grisée qui l’enveloppe.
Devant la maison, les fleurs ne sont jamais aussi belles qu’à ce moment-là, quand elles étincellent d’elles-mêmes, sans l’éclat du soleil.
La stridence de leur couleur se révèle encore davantage dans la lumière diaphane.
Il y a dans ce contraste entre les couleurs claquantes et l’infinie douceur de l’air quelque chose qui touche au coeur comme un chant du cygne, la préscience d’une fin prochaine, une nostalgie qui poigne par inadvertance.
La photo est sublime et les mots sont si justes…