Estampe de Yoshitora représentant une courtisane en compagnie d’un étranger, 1861, collection Claude Monet
Monet a aimé le Japon à distance, sans jamais y aller. L’écrivain Pierre Loti, lui, a fait le voyage vers l’Extrême-Orient en 1885.
Cette année-là, son bateau séjourne six semaines à Nagasaki pour réparer des avaries. Cela laisse le temps à Loti de glâner des impressions sur ce pays lointain qui est à l’époque si à la mode en Occident.
Deux ans plus tard il publie en France un roman tiré de cette expérience japonaise, Madame Chrysanthème.
A l’époque où ses contemporains se ruent sur les bibelots japonais, les estampes, où leurs intérieurs se remplissent de meubles en pseudo bambous et leurs jardins de pont arqués, il y a certainement en eux une attente, apprendre à quoi ressemble en vrai ce Japon qui les fascine.
Madame Chrysanthème est donc un succès de librairie. Vincent van Gogh écrit à son frère Théo :
Est-ce que tu as lu Madame Chrysanthème ? Cela m’a bien donné à penser que les vrais Japonais n’ont rien sur les murs. (…) C’est donc comme cela qu’il faut regarder une japonaiserie, dans une pièce bien claire, toute nue, ouverte sur le paysage.
Mais le lecteur nippophile risquait fort d’être déçu par Madame Chrysanthème. Loti n’en fait pas mystère, il n’a pas été emballé par le Japon, et cette impression mitigée transparaît dans son roman.
Le paysage, oui, est magnifique, il y a dans la culture japonaise des aspects qu’il admire, mais les Japonais sont « laids, mesquins, grotesques ». L’exquise délicatesse japonaise lui paraît « maniérée et bébête ». Aujourd’hui encore la brutalité avec laquelle il compare les Japonaises à des chiens savants, des poupées, des singes met mal à l’aise. Où sont donc le respect et la tolérance ?
Loti se confronte à l’extrême altérité de ces habitants du bout du monde. Il sait qu’un fossé culturel le sépare d’eux. En toute honnêteté, il revendique sa subjectivité, son regard d’occidental.
Donc, nous découvrons un coin de Japon en 1885 à travers les yeux de Loti, et cette expérience de lecteur est extraordinaire. Tout ce que nous croyons savoir du Japon d’autrefois se retrouve raconté avec minutie et des mots du 19ème siècle, faisant voyager à la fois dans l’espace et dans le temps.
A titre d’exemple, voici comment Loti décrit un jardin japonais :
Le jardinet de Madame Renoncule (…) est un des sites les plus mélancoliques, sans contredit, qu’il m’ait été donné de rencontrer dans mes courses par le monde. (…)En pleine ville, encaissé entre des murs, ce parc de quatre mètres carrés, avec des petits lacs, des petites montagnes, des petits rochers ; et une teinte de vétusté verdâtre, une moisissure barbue recouvrant tout cela qui n’a jamais vu le soleil.
Cependant un incontestable sentiment de la nature a présidé à cette réduction microscopique d’un site sauvage. Les rochers sont bien posés. Les cèdres nains, pas plus hauts que des choux, étendent sur les vallées leurs branches noueuses avec des attitudes de géants fatigués par les siècles, et leur air grand arbre déroute la vue, fausse la perspective.
Loti a pris soin de relever tous les détails exotiques. Il est déçu quand l’exotisme fait défaut, comme c’est le cas à son arrivée dans le quartier occidental du port de Nagasaki. J’ai gardé pour la fin cette remarque visionnaire et désabusée :
Il viendra un temps où la terre sera bien ennuyeuse à habiter, quand on l’aura rendue pareille d’un bout à l’autre, et qu’on ne pourra même plus essayer de voyager pour se distraire un peu…
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