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Le jardin Majorelle

Le jardin Majorelle, Marrakech Le bassin de Monet à Giverny n’est pas le seul jardin de peintre qui soit célèbre. A Marrakech, le jardin conçu par le peintre Jacques Majorelle (fils de l’ébéniste art nouveau Louis Majorelle) attire 600 000 visiteurs par an.
C’est plus que Giverny, mais sur douze mois et non sur sept. Bon, c’est idiot de comparer, ce sont deux lieux uniques et magiques, envoûtants. Mais même en disant cela, je suis encore en train de comparer. Impossible de faire autrement : le parallèle entre les deux sites est assez troublant, tout en coïncidences et correspondances.
L’histoire commence presque pareil. Jacques Majorelle, peintre, tombe amoureux d’un lieu, décide de s’y installer, achète un terrain, puis l’agrandit, en fait un jardin par passion, par plaisir et pour l’inspiration, y a son logement et son atelier. A sa mort, le jardin souffre du manque d’entretien, jusqu’à ce que le mécénat le sauve et le rende célèbre.
Le plus intéressant, ce sont les différences, qui donnent une image en creux de l’autre jardin, révélant ce qu’il est et ce qu’il n’est pas. Différences d’abord dans la conception du jardin, et donc des perceptions du visiteur.
Si Giverny est voué au reflet, à Majorelle ce sont les jeux d’ombre et de lumière qui dominent. Profondeur des ombrages, luminosité des parties exposées au soleil : on ne sait jamais s’il faut garder les lunettes teintées ou les ôter, dans ce jardin où l’intensité de la lumière est si contrastée. Ces flashes lumineux suivis d’ombre apaisante sont une autre façon de troubler l’oeil, effet que Monet obtenait dans le jeu infini des reflets de son étang.
La forme, ensuite. A Majorelle, dès l’entrée, le promeneur se sent avalé par les bambous géants, puis il avance dans la fraîcheur d’arbres de toutes sortes, une nécessité dans un pays où la chaleur peut devenir écrasante. Le visiteur est happé vers le haut, son regard glisse le long des troncs lisses des palmiers dont la couronne se détache sur le bleu du ciel.
A Giverny, en revanche, on ne passe pas vraiment sous les arbres. On les longe. L’impression d’enveloppement est fournie par l’effet de clairière autour du bassin, et par les fleurs du clos normand, surtout quand elles deviennent géantes à la fin de l’été.
Si le climat de la Normandie est idéal pour les fleurs, celui de Marrakech, trop chaud, est plus difficile. Elles sont rares à Majorelle, et les taches colorées des bougainvillées n’en sont que plus saisissantes.
Jardin Majorelle, MarrakechCe sont les apports de couleur des éléments peints qui font vibrer les verts. Jacques Majorelle est réputé pour son bleu, dont il a orné sa maison et les pots et maçonneries de son jardin, un magnifique bleu cobalt intense découvert par lui dans les villages de l’Atlas. Il l’a complété d’un jaune vif, une association qui est un régal pour l’oeil.
Et puis, parmi toutes les émotions qui submergent le visiteur de beaux jardins, joie esthétique, surprises, émerveillement, on trouve aussi des peurs. C’est un mot un peu fort, je veux parler de ces craintes vagues et informulées dont on a à peine conscience, qui transforment le cheminement en parcours d’Alice au Pays des Merveilles, délicieux et un peu effrayant.
Pour le visiteur occidental, la luxuriance même du jardin Majorelle est aussi fascinante qu’inquiétante, avec son effet de jungle, ses plantes inconnues, bizarres, qui vivent leur vie tout autour de lui. Cachent-elles un danger ? A peine débouche-t-on « à l’air libre », devant la maison, qu’une collection de cactus assaille les perceptions. Inaccessibles, intouchables, les épines dardées transmettent pourtant, par l’oeil, une impression piquante.
D’autres craintes encore s’immiscent, celle de se perdre au milieu du dédale végétal, inquiétude liée à la profusion du jardin, que l’on n’aurait pas à Versailles, par exemple, un parc infiniment plus grand mais où l’oeil embrasse d’un coup tout l’espace. Et puis, de la désorientation induite par le jardin découle la peur de tomber, à force de regarder partout, crainte de trébucher sur un obstacle, et même de tomber dans l’eau.
Au fil de la déambulation, ces angoisses discrètes s’estompent et se dissolvent. Le visiteur s’approprie l’espace, l’inconnu devient connu, l’impression de danger devient ridicule.
Et en même temps, c’est un peu de la magie du jardin qui disparaît.


7 commentaires

  1. J’ai eu la chance de visiter les deux jardins, c’est vrai ce sont deux lieux uniques et magiques. Quand je pense au jardin Majorelle c’est la couleur bleue qui domine et le jardin de Monet c’est la couleur verte due sûrement à la couleur de sa maison. Merci pour ce post qui m’a fait retourner dans ces endroits si enchanteresses.

  2. Sur mon écran, le mot "Alice" arrive en bout de ligne, ce qui a facilité la découverte de cette autre analogie. Volontaire de votre part ?
    Un peu angoissant, oppressant, étouffant, ce jardin, non ? C’est ce que rendent vos photos, je trouve. Merci tout de même pour le voyage.

  3. Majorelle n’est pas aussi oppressant que ça parce que le jardin est scrupuleusement entretenu, « manucuré » comme disent les anglophones. Sous les arbres, la terre, le sable, le gravier sont si impeccablement ratissés qu’on ne peut pas oublier qu’on est dans un jardin, et non dans la nature sauvage. Le sentiment d’étrangeté est apprivoisé, tenu à distance. Il me semble que ce sont les émotions complexes suscitées par la visite de Majorelle ou de Giverny qui en font des oeuvres d’art. Sinon, on est juste dans un endroit où l’on se trouve bien, comme dans un parc de ville.

  4. Merci pour la visite et la comparaison, c’est très intéressant, et on a envie de suivre la guide. Je ne manquerai pas ce jardin de Majorelle si je vais un jour à Marrakech.

  5. Il y a des lieux qui donnent envie de peindre. Les lignes graphiques, les couleurs saturées, la lumière. Je pense que ces deux jardin ont des points communs.

    Les contrastes produits par une lumière puissante du jardin Majorelle se retrouvent certainement dans les effets d’ombres et de reflets des plans d’eau de Giverny.

    Pour ma part je n’ai encore visité ni l’un ni l’autre, mais cela ne saurait tarder.

  6. Bonjour Ariane,
    Je viens juste de lire le papier de Paris Normandie concernant la sortie de ton livre. C’est vraiment formidable. C’est donc vrai, le journalisme mène à tout, mais le plus difficile est d’en sortir : Do you remember " Le Démocrate" ? …

    Amitiés
    Régis

  7. Régis, c’est sympa de me mettre un petit mot ! Le papier de Vincent est vraiment bien, n’est-ce pas ? Si j’en crois ton adresse email, toi aussi tu es sorti du journalisme sans t’en éloigner beaucoup ! Il ne te reste plus qu’à faire un beau livre sur « ta » ville, il me semble qu’il y a de la place aussi. < /p>

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