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Le ru communal

Le ru aux anémonesVision grandeur nature du tableau de Maurice Denis, voici le petit massif d’anémones des bois qui pousse en bordure de la rivière dans le jardin d’eau de Claude Monet. Il se trouve juste à la sortie du souterrain, en limite de propriété, et offre une transition en douceur entre la sophistication des azalées et des pensées voisines, et la prairie qui commence de l’autre côté de la clôture.
Ce matin, une drôle de surprise attendait les visiteurs. Le ru était vidé de presque toute son eau, dévoilant son fond et ses berges boueuses, et l’effet avait quelque chose de l’indécence d’une personne qui laisserait voir des dessous pas très nets. Heureusement l’eau est revenue quelques heures plus tard, ce qui a dû soulager les poissons.
Un système de vannes permet de contrôler le débit de ce petit bras de l’Epte qui est le bief d’un moulin un peu plus bas. Quand des réparations sont nécessaires sur la roue du moulin ou ailleurs, on peut ainsi dévier l’eau et travailler au sec.
Le reste du temps, le ru coule assez fort, prêt à se jeter de tout son courant sur la roue pour la faire tourner, et c’est un plaisir de voir son eau danser gaiement dans sa traversée du jardin de Monet, concentré d’énergie contrastant avec l’impassibilité du bassin.
J’aime bien taquiner mes clients anglophones avec ce nom bizarre, le Ru. « Je suis sûre que vous connaissez le sens de la rue en français, mais savez-vous ce que veut dire le ru ? » Qu’un mot puisse avoir un sens différent selon son genre, voilà qui est étrange pour une personne qui parle une langue où les choses sont généralement neutres. Aussi étrange que l’arbitraire avec lequel ce genre a été attribué aux choses.
Sans doute, cette découverte plonge les visiteurs anglophones dans un abîme de réflexion. J’imagine que c’est la raison pour laquelle ils ont été si longs à me corriger mon anglais. C’est seulement cette année que l’un d’eux m’a fait remarquer qu’on ne pouvait pas parler de « river » à propos du ru, tout juste de « stream », de cours d’eau. River, selon ce natif des États-Unis, s’applique à la Seine, et traduit donc « fleuve ». Dire que je pensais que c’était la nuance « fleuve » qui n’existait pas en anglais ! Voilà qui m’a plongée à mon tour dans un abîme de réflexion, sur la façon dont chaque culture appréhende le monde et l’inscrit dans sa langue. Il y aurait de quoi débattre longuement et s’étonner, tandis que l’eau coulerait sous les ponts.


2 commentaires

  1. la rue est également une plante vivace qui dégage une mauvaise odeur quand on la froisse entre les doigts .

    La langue que nous parlons actuellement est le fruit de la richesse et la diversité des langues régionales, mais aussi de leur mépris, des conquêtes, des défaites, des interprétations
    farfelues des linguistes et des cartographes, de l’incontournable misogynie ambiante, de plus elle évolue sans cesse, au gré des modes qui se démodent, c’est passionnant :

    Garce n’était que le féminin de garçon, avant que la misogynie n’en pervertisse le sens .
    commère et compère étaient synonymes de parrain et marraine, avant de prendre une connotation péjorative ,
    un remède de bonne fame était un remède fameux, avant de devenir un douteux remède de bonne femme.

    Quant à vos clients so british, ont ils coutume de filer à l’anglaise ?

  2. Geneviève, je vois que la songerie sur la langue vous entraîne vous aussi ! Quant à partir à l’anglaise, vous savez bien que cela se traduit par « take the French leave ». En plus de la misogynie, un moteur linguistique est aussi la rage de railler son voisin.

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