Voilà déjà plusieurs fois que je guide des Chinois. En anglais, avec ou sans interprète.
Qu’est-ce qu’il faut dire ou ne pas dire à des Chinois ? Je tâtonne. Je sens que mon discours si bien formaté pour les visiteurs occidentaux a besoin d’une remise en cause, mais dans quelle direction ? Quelles informations ont-ils envie d’entendre ? Et qu’est-ce qui va vite les ennuyer ? Quels présupposés culturels ont besoin d’être explicités ? Quels détails de la vie quotidienne vont retenir leur attention ?
Cet après-midi mon groupe était d’excellente humeur, avec une forte envie de rigoler. La visite était détendue. Tout-à-coup, tout à trac, fuse une question :
– Combien vaut cette maison ?
Nous nous trouvions devant une bâtisse bourgeoise qui pouvait faire 200 m2.
– A la louche, 400 000 euros, dis-je pour répondre quelque chose.
Ce renseignement génère une vive animation dans le groupe. Les entendre échanger des plaisanteries en chinois pique ma curiosité.
– Vous trouvez ça cher ou bon marché ?
– Très bon marché ! s’exclame l’un d’eux en riant aux éclats. On va l’acheter !
– Mais elle n’est pas à vendre ! dis-je un peu paniquée. C’est à ce moment que j’ai appris que plusieurs d’entre eux venaient de Hong-Kong.
On le sait, on l’a déjà entendu, que les prix sont chers à Hong Kong, parmi les plus chers du monde. Mais on le sait sans savoir ce que cher veut dire. Veut dire vraiment dans la vie des gens.
– Avec 400 000 euros, à Hong Kong, vous vous achetez deux places de parking, continue le monsieur. Deux places et demi si vous avez bien négocié ! dit-il en se marrant. Ma fille vient de faire l’acquisition d’un emplacement pour garer sa voiture au 16e étage d’un immeuble-parking. Elle l’a payé 190 000 euros. «
J’aurais bien aimé lui demander où les gens trouvaient tout cet argent, et comment faisaient ceux qui n’en avait pas (assez). Mais cela m’a paru indiscret, et puis c’est moi qui suis là pour répondre à leurs questions, et non eux aux miennes.
Je leur parle avec candeur de la France, et voilà que nos expériences respectives de la vie se percutent.
Sur le chemin du retour j’ai repensé à ce vent de panique qui m’a saisie quand mes gentils Chinois ont fait mine de vouloir acheter la maison. « Mon » patrimoine. Seule face à 44 personnes, cette impression qu’ils n’allaient faire qu’une bouchée de tout, avec leur pouvoir d’achat de millionnaires. « Me » croquer. J’ai repensé à ma piètre réponse : « elle n’est pas à vendre ! » Jusqu’à quelle somme les propriétaires résisteraient-ils ?
En roulant dans la belle campagne du val de Seine, j’ai revu tous ces lieux avec un oeil neuf, un peu bridé. Quel pays de cocagne ! La moindre petite maison fait rêver quand on doit se contenter d’un minuscule appartement. Quel privilège d’avoir de l’immobilier encore accessible, et cette nature si paisible tout autour ! Que réservent les siècles qui viennent ?
Sur le chemin du retour, j’ai pensé à la montée en puissance des pays émergents, de la Chine, et je me suis interrogée sur la façon dont l’avenir va redistribuer les cartes des richesses du globe. Et j’ai pensé à notre attitude d’occidentaux en tant que touristes dans le tiers-monde, en tant que colonisateurs autrefois. Ce n’est pas toujours aux mêmes de se sentir les maîtres du monde.
Un episode qui prete a reflexion en effet et digne d’etre raconte. Comme quoi communiquer ne peut qu’ameliorer notre monde interieur et notre comportement.
Quelle arrogance ! Certains sont plus égaux que d’autres.
Coucou Ariane, en tant que guide, cette question m’aurait exaspéré.
Nos visiteurs, et pas que les Chinois, ont tendance à vouloir évaluer nos trésors.
Il m’est arrivé la même chose avec le château de Versailles.
Je refuse de donner la moindre évaluation.
Next question, please!
Frédéric, merci pour ton commentaire ! La valeur de la Joconde ou du château de Versailles, oui, c’est exaspérant. Mais là, je comprenais la question des Chinois : quand je suis à l’étranger, ça m’intéresse de savoir le prix de l’immobilier. Souvent je me demande si pourrais vivre dans ce coin de la terre. Pas toi ? C’est un peu vertigineux de se dire que le hasard de la naissance nous a parachutés sur un point du globe. Si cela avait été ailleurs, on aurait eu une toute autre vie.