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Les Patineurs à Giverny

Claude Monet, Les Patineurs à Giverny, W1619, Huile sur toile, 60 x 80 cm, 1899-1900, Collection privée
Claude Monet, Les Patineurs à Giverny, W1619, Huile sur toile, 60 x 80 cm, 1899-1900, Collection privée. Vendu par Sotheby’s en 2010 pour 1,172 million de dollars.

Quand l’hiver était très froid à Giverny, les eaux immobiles du marais communal ne tardaient pas à geler. Les troupeaux de vaches se voyaient remplacés par des jeunes gens plutôt aisés, heureux de s’élancer sur des patins à glace.
C’était le cas des enfants Hoschedé-Monet, jeunes de bonne famille assez oisifs, à la recherche de divertissement, habitués du canotage et du tennis.
Dans l’usage du marais, ce sont deux milieux sociaux qui s’opposent, les insouciants d’un côté, les laborieux de l’autre. Le paysan qui loue le marais à la mairie pour y mener son bétail ne tarde pas à venir réclamer un droit de glisse aux jeunes Hoschedé-Monet qui s’insurgent mais finissent par s’exécuter afin de pouvoir continuer à patiner.
Pour eux, le marais gelé était attirant, et même glamour. C’est là que Suzanne, l’une des filles d’Alice, a noué une douce romance avec celui qui allait devenir son époux, le peintre Theodore Butler.
A cette nouvelle, de Rouen où il est parti peindre ses Cathédrales, Monet vitupère. Il savait bien que ces leçons de patinage allaient mal tourner. Heureusement, en bon chef de famille, il va faire prendre des renseignements sur la famille de l’élu, et le mariage pourra se faire.
L’affaire est déjà vieille de plusieurs années quand à l’hiver 1899-1900 le peintre s’installe sur le bord du marais gelé pour peindre cette atmosphère orange et bleue presque irréelle. Et Suzanne, déjà, n’est plus. Elle s’est éteinte en février 1899. Il y a fort à parier que pour Monet, son ombre glisse entre les patineurs.

Le marais de Giverny

Le marais de GivernyA Giverny, le chemin des Marais s’ouvre à l’ancienne gare – à présent reconvertie en salle des fêtes – et s’étire en contrebas de la départementale 5 qu’il finit par rejoindre à la sortie du village, là où la route file vers Sainte-Geneviève-les-Gasny. Des pavillons aux jardins tirés à quatre épingles bordent la rue d’un côté, tandis que de l’autre s’ouvre un espace naturel quasi sauvage, le marais.
Des peupliers et des saules têtards, dont certains très âgés, témoignent de plantations. Ils se mêlent à d’autres essences venues là sans doute par hasard, telles que frênes ou aulnes. Entre ces arbres, le terrain humide est le domaine de quantités de plantes, parmi lesquelles l’ortie domine.
De nos jours, le marais n’est guère accessible. Au-delà du fossé qui le borde, on devine un monde grouillant de vies bien cachées, étrangères à nous autres les humains, et, pour moi du moins, pas très invitant.
Autrefois, en particulier au 19e siècle, le marais de Giverny n’était pas un no man’s land. C’était un terrain pauvre, mais exploité autant qu’il se pouvait. En été les bêtes y paissaient. La commune de Giverny, propriétaire du marais, le louait à des éleveurs et concédait par adjudication le droit de ramasser les bouses. Les branches des peupliers étaient taillées pour en faire des fagots. Une autre source de revenus pour la commune était la concession du droit de pêcher les sangsues.
Depuis que j’ai eu connaissance de cette pratique à Giverny, en découvrant un pot à sangsues présenté dans une exposition sur le village de Giverny au musée de Vernon, je me demandais comment cette pêche se pratiquait. De façon rudimentaire, hélas, comme l’explique le rédacteur de la page d’Objets d’hier : dans les familles pauvres, on envoyait les jeunes filles se faire mordre par les sangsues dans le marais. Leurs jambes servaient d’appât.
Je me demande si on s’habitue à cette douleur, à la façon dont les apiculteurs finissent par souffrir moins des piqûres d’abeilles. Roselyne, qui s’est fait piquer par une sangsue en Australie (je crois qu’il n’y en a plus en Europe) témoigne qu’elle a saigné longtemps et que la morsure l’a démangée pendant plusieurs jours.

Selon une étude réalisée par les Ponts et Chaussées en 1898, la pêche aux sangsues, bien qu’elle eût donné de bons résultats au milieu du siècle, avait totalement cessé à Giverny à la Belle Epoque.

Mésange

Mésange à Giverny
L’hiver fait taire les oiseaux. Mais depuis que les jours rallongent les plus audacieux sortent de leur silence.
Comme le Boléro de Ravel, leur concert commence pianissimo, puis de nouvelles espèces d’oiseaux se joignent peu à peu aux premières, et en avril-mai ils seront si nombreux et si décidés que leurs chants empliront l’air.
Les mésanges sont déjà là, puisqu’elles ne sont pas parties. Elles s’approchent avec prudence des mangeoires, leur tête mobile inspectant les environs. Qu’elles aient un calot bleu ou noir, il y a dans tout leur être une grâce légère et spéciale qui les fait aimer.
Tandis qu’elles hivernent dans le paysage gris de la morne saison, elles ont gardé leurs couleurs florales si gaies, qui tranchent comme un tout petit bout de printemps.
Elles volettent d’une branche à l’autre dans les arbres nus, et comme nous elles attendent, sûres que les beaux jours reviendront.

Lamier

Lamier sauvage
C’est un peu un challenge d’arriver à photographier des fleurs sauvages dans le jardin de Monet, tellement les jardiniers sont à l’affut. Mais les plantes sont malignes, et il y en a toujours qui trouvent moyen de se glisser entre les mailles du filet, provisoirement du moins.
Monet y réfléchissait à deux fois avant d’arracher les jolies fleurs que la nature met gracieusement à notre disposition (et à celle des papillons), et peut-être que ces lamiers ont bénéficié de la même mansuétude calculée.
Le lamium présente une certaine ressemblance avec l’ortie, mais en version civilisée : c’est un pacifiste qui a renoncé au côté urticant pour le remplacer par des fleurs. S’il a adopté une philosophie peace and love, c’est qu’il veut que vous l’aimiez.
Au naturel les fleurettes sont blanches comme un drapeau de cessez-le-feu, quoi de plus normal.
lamierMais le lamium a aussi des cousins horticoles survitaminés, plus grands, plus beaux, plus forts, avec des fleurs pourpres à Giverny.
Je ne sais pas si ces cousins bodybuildés donnent des complexes au lamier sauvage, en tout cas la domestication les a rendus un peu ballots. Ils forment des buissons compacts au feuillage dru, si denses que les fleurs ont tendance à disparaître à l’intérieur, au grand dam des humains, et des butineurs.

Bancs néo-gothiques

Bancs néo-gothiques J’ai failli ne pas les voir. J’étais en train de visiter l’église de Pacy-sur-Eure, à une vingtaine de kilomètres de Giverny ; je m’étais émerveillée devant la statuaire, les vitraux, interrogée sur l’architecture, et j’allais partir lorsque je me suis avisée que les bancs, somme toute, présentaient un intérêt.
L’église a gardé ses bancs de style néo-gothique du 19e siècle. C’est un ensemble cohérent disposé harmonieusement, en faisant alterner plusieurs motifs.
Certains bancs ont toujours leur prie-Dieu, une mince banquette disposée entre les sièges. A l’époque où les bancs étaient attribués aux familles, celles-ci avaient sans doute loisir de faire ce qu’elles voulaient pour les prie-Dieu, car certains sont encore recouverts de cuir, de tapisserie usée jusqu’à la paille, tandis que d’autres ne sont qu’une simple planchette de bois.
Je les imagine, ces fidèles du 19e siècle, dans leur modestie ou leur ostentation, leur goût du confort dans le devoir sacré. Dans ces monuments anciens où cohabitent les signes laissés par les siècles, où l’on peut essayer de ressentir la présence du sculpteur qui a dégagé un délicat chapiteau roman, de l’architecte qui a conçu la voûte gothique, de l’abbé qui a dessiné et signé le carton d’un vitrail, certaines présences sont plus faciles à percevoir que d’autres, et celle des Pacéens d’il y a un bon siècle devenait tout à coup presque palpable, comme si j’avais eu une photographie ancienne sous les yeux.
C’est la dernière image que j’ai gardée de l’église, avec cette question corollaire : pourquoi les bancs ne m’ont-ils pas sauté aux yeux ? Parce que nous avons appris à mépriser le néo-gothique, je crois. Admettre qu’on aime ce style, c’est passer pour un plouc qui ne fait pas la différence entre le vrai gothique et le pastiche du 19e.
Allez ! Encore quelques décennies de patine, et le 19e rentrera en grâce, aux côtés du 16e ou du 17e, époques dont nous aimons le retour à l’Antique.

Calendrier Dumont Février 2015

Giverny
Voici la photo choisie par l’éditeur DuMont pour illustrer le mois de février du calendrier de Giverny.
Pour être honnête, elle n’a pas été prise en février, mais à l’ouverture des jardins fin mars. Les premières tulipes percent le vert de leurs pointes rouges, les prunus se teintent de rose, les bourgeons s’ouvrent sur les premières feuilles.
C’est une période de l’année que j’aime beaucoup, quand l’hiver renonce, quand la tiédeur s’installe dans l’après-midi, que le jour est en équilibre avec la nuit, et que partout la vie s’éveille.
Encore un peu de patience…

La côte des Deux-Amants

La côte des Deux-Amants Sur la côte des Deux-Amants, l’érosion dessine un coeur. Deux rivières se rejoignent au pied de la colline. L’Andelle vient se jeter dans la Seine et ne faire plus qu’une avec elle.
Ce confluent est chargé de légende. Les détails de l’histoire nous sont contés par Marie de France, la toute première poétesse de langue française. Elle vivait au 12e siècle et elle est l’auteur du lai des Deux Amants, repris, déjà, d’une légende bretonne.
Au pied du « mont », on s’interroge. L’ascension d’une traite de ce dénivelé d’une centaine de mètres avec une demoiselle sur le dos peut-elle vraiment tuer un jeune homme ? L’épreuve, vue avec les yeux d’aujourd’hui, ne paraît pas insurmontable.
L’histoire raconte que le roi de Pitres (aujourd’hui un village de 2 400 habitants) imposait à tous les prétendants à la main de sa fille de la porter jusqu’au sommet du mont. Celui que la princesse aimait s’y essaya, et en mourut.
Comme toujours, la légende brute paraît un peu obscure. Jacques Ribard en propose une interprétation à plusieurs niveaux.

Une lecture sociologique du poème verrait volontiers dans ce roi vieillissant et autoritaire le symbole d’un pouvoir féodal qui cherche artificiellement à se survivre alors qu’il a fait son temps. Le jeune héros représenterait les aspirations légitimes à un renouvellement de la société, en même temps qu’il serait l’image de ces jeunes nobles privés de fief que le système social du temps empêchait d’atteindre à la maturité et à la responsabilité que représentait la possession d’une femme et d’une terre.

Mais l’auteur va plus loin en avançant une lecture allégorique de l’oeuvre, l’ascension étant assimilée à une montée au calvaire.

C’est, une fois de plus, la destinée, le salut de l’homme qui sont en cause – car cette destinée, ce salut, sont en définitive les seuls sujets dignes d’intérêt pour les auteurs du Moyen Age comme pour leur public.

Le château de Martainville

Le château de MartainvilleIl y a de la magie dans la façon qu’a le château de Martainville de surgir soudain au bout des champs sans qu’on s’y attende, dressant avec bonhomie ses tourelles au milieu des moutons et des vergers de pommiers.
Tout est charmant dans ce domaine, de sa taille assez réduite pour qu’on y sente encore la demeure plutôt que le palais, à la couleur chaude de ses briques qui flamboient au soleil de l’après-midi.
On s’approche avec des interrogations plein la tête, et d’abord sur l’époque, sur le style. Cela sent la Renaissance et c’est vrai, le château bâti fin 15e avec des allures de forteresse est remanié deux décennies plus tard dans le goût de la Renaissance, avec des ouvertures plus larges, des toits plus hauts, et des ornementations en pierre de Vernon.
Où est l’entrée ? se demande le visiteur, cherchant quelque accès vitré, une caisse… jusqu’à s’approcher de la porte du château qu’un écriteau discret invite à pousser, tout simplement. Promu par ce geste hôte ou châtelain, selon son penchant, le visiteur a donc l’heur de découvrir l’intérieur.
Si beaucoup de châteaux déçoivent par le vide sidéral des appartements, ici, c’est meublé. Très meublé. Car Martainville, propriété du département de la Seine-Maritime, abrite le musée des Arts et Traditions Normands. Chaque pièce regorge d’armoires somptueuses, de coffres, de lits clos, de buffets et de tables, organisés par siècle et par région. Tout ce chêne sent bon la cire.
La cuisine est toujours la cuisine, avec un âtre si grand qu’on pouvait y cuire un boeuf. On peut passer du temps à détailler les innombrables objets proposés à la curiosité du visiteur, qu’on rencontre encore parfois dans les brocantes sans deviner leur usage. Le beurre, par exemple, a donné lieu en Normandie à la création d’une multitude d’ustensiles et de contenants.
Tout en haut, c’est le domaine du verre, du tissu, des instruments de musique. Le musée possède 15 000 pièces, véritable mémoire d’un savoir-faire et de gestes et usages disparus. On n’a pas pu tout voir. On reviendra.

Traduire

Capucines à Giverny

Capucine, nasturtium, Kapuzinerkresse, capuchina, tropaeolum

Pour les guides qui pratiquent des langues étrangères, une partie importante du travail préparatoire à la visite consiste à maîtriser le vocabulaire spécialisé. Où qu'on aille, il y en a toujours. Les églises ont des arcs-boutants, les châteaux des machicoulis. Pour la visite des plages du Débarquement, les termes militaires doivent être aussi précis que possible. Dans les musées, il faut savoir décrire les tableaux. Et à Giverny, si l'on veut parler d'autre chose que de la vie de Monet, on est confronté au vocabulaire horticole.

Depuis que de nombreux dictionnaires sont en ligne, chercher la traduction d'un mot est devenu beaucoup moins fastidieux que du temps du papier. Surtout, les outils disponibles permettent de se faire une idée beaucoup plus exacte de la valeur des traductions proposées avec des exemples en contexte et la fréquence des occcurences.
Les conjugaisons sont à portée de clic. Salvateur.

Pour les expressions un peu moins usitées, les forums peuvent être d'une aide précieuse. Contrairement à l'ambiance qui règne dans d'autres domaines, les forums linguistiques sont fréquentés par des personnes respectueuses et humbles qui font preuve d'une grande délicatesse aussi bien pour poser des questions que pour y répondre. Elles pèsent leurs mots dans leurs échanges tout comme elles les pèsent et soupèsent pour trouver les plus adaptés dans les traductions.

Pour les noms communs, la fonction "image" du moteur de recherche est d'une grande utilité. Une fois les différentes possibilités de traduction trouvées dans un dictionnaire, on peut différencier par l'image des mots au sens voisin comme grillage, grille, clôture, barrière, par exemple.

Mais les dictionnaires n'ont pas réponse à tout. En particulier, ils ignorent superbement les noms des fleurs. On les comprend : il y en a trop. Pour trouver la traduction adéquate des fleurs assez courantes pour avoir un nom vernaculaire, mais pas assez banales pour être répertoriées dans un dictionnaire bilingue, il faut ruser :

– On tape le nom de la fleur dans la langue d'origine, disons en français, dans un moteur de recherche.
– Par ce biais, on trouve facilement son nom botanique.
– Ensuite on tape le nom botanique dans le moteur, suivi d'un mot typique de la langue cible, par exemple flower si on cherche la traduction en anglais, flor pour l'espagnol ou Blume pour l'allemand.
– On trouve ainsi des sites de jardinage étrangers qui présentent la fleur, souvent à la fois avec le nom botanique et son ou ses noms courants. Bingo ! C'est un peu long mais ça marche.

Enfin, certaines tâches de jardinage bien spécifiques ne sont pas toujours prises en compte par les dictionnaires. Pour ce vocabulaire-là, le mieux est d'aller repérer les termes dans des sites étrangers qui donnent des conseils de jardinage. Mes préférés sont les blogs, parce qu'on sent des gens derrière, leurs enthousiasmes et parfois leurs déceptions de jardiniers. Et puis on voyage très loin, pourquoi pas dans l'autre hémisphère : un pur délice.

Saint-Ouen-sur-Iton

Saint-Ouen-sur-ItonSaint-Ouen-sur-Iton mériterait de s’appeler Saint-Ouen-sur-Maire, mais le nom était déjà pris. Ce village de l’Orne dédié au grand saint normand (Saint-Ouen de Rouen, et merci de faire rimer les deux, quand bien même vous seriez un habitué des puces de « Saint-Ouin »), ce village donc a eu un maire un peu spécial, et si la canonisation existait pour les premiers magistrats des communes, nul doute qu’il aurait été sur les rangs.
Voilà longtemps que j’avais envie d’y aller car Saint-Ouen-sur-Iton est célèbre pour une particularité architecturale, ses cheminées qui tire-bouchonnent. Elles font un tour, ou deux, voire trois pour les plus folles, et cela donne un côté fantaisiste et inattendu aux maisons.
C’est très charmant, mais ce n’est pas ce qui surprend le plus sur la place du village. Non, ce qui cloue les visiteurs, c’est l’envahissante présence d’un maire au long cours disparu depuis un siècle, Désiré Guillemare. Il n’a pas seulement sa rue, il a sa statue, sa colonne monumentale, et bien sûr une tombe qui vaut le détour dans le cimetière municipal.
Un peu imbu de lui-même, le bonhomme ? On serait tenté de le croire, et puis on se met à lire les textes interminables qui accompagnent les monuments, et l’image qu’on se fait de ce maire du 19e siècle s’affine jusqu’à devenir involontairement touchante.
Quand Désiré Guillemare arrive aux affaires, en 1852, Saint-Ouen compte 400 habitants répartis en plusieurs hameaux. L’ambition, le désir de Désiré est de créer un bourg là où il n’en existait pas. En rase campagne, entre Verneuil-sur-Avre et l’Aigle, le maire va jouer à Sim City avant l’heure, en vraie grandeur et le plus souvent avec ses deniers.
Selon « Ouest-France », Guillemare était rentier, fils unique d’agriculteurs aisés, et propriétaire d’un commerce de bois. Il a du temps, quelques moyens, le sens du bien commun et sans doute l’angoisse sourde de laisser une trace de son passage sur la terre.
Alors il bâtit : une mairie et une école, des lavoirs, il trace et répare des chemins, il obtient une halte (de chemin-de-fer je suppose) et des ponts… Et pour tout cela il se démène, réclame des subventions, lance des souscriptions avec promesse (tenue) de faire graver les noms des généreux donateurs, il négocie pour éviter les dommages dus à la guerre.
Comme son énergie est inépuisable, il s’occupe de tout, il sponsorise le concours de labourage, il ouvre des carrières pour pallier le chômage hivernal, il établit un cimetière, une compagnie de sapeurs-pompiers, un bar-tabac, un théâtre « pour les pauvres », un jeu de boules, il offre une horloge pour la mairie, il va jusqu’à instituer une fête de la rosière qu’il dote, naturellement. Et encore, interminablement classés par ordre chronologique, des chemins, des chemins, des chemins…
Lui-même arrive au bout du sien et se prépare à passer de l’autre côté. Je ne sais pas s’il a eu des descendants ou s’il a légué tous ses biens à la commune, notamment la mairie qui était « sa demeure » comme l’indique une carte postale. Tout comme l’école, le maire avait fait construire la mairie à ses frais et percevait un loyer. Les affaires communales et les siennes propres étaient décidément bien emmêlées.
A la fin de son parcours, donc, Guillemare se préoccupe de sa gloire. Il est décoré. Il organise l’inauguration en grandes pompes du village. Il devient doyen des maires de France, indéfectiblement réélu pendant 52 ans jusqu’à sa mort à l’âge de 84 ans. Et il a cette idée extravagante de la colonne à sa gloire.
Quand je dis colonne, ce n’est pas tout à fait cela. C’est un phare Sollerot. Du haut de ses quatorze mètres, il éclairait la place du village à l’acétylène dès 1897. Mais le monument n’a rien d’un phare, c’est un empilement de niches ornées de statues naïves glorifiant le maire.
Sur la fin, Désiré Guillemare s’est préoccupé davantage de l’église. Il lui a offert une cloche, des bancs, un harmonium, a fait paver le choeur… Ses obsèques ont certainement eu toute la solennité requise. Post-mortem, Guillemare a même fait une surprise à ses concitoyens : sa statue grandeur nature, qui a l’air d’être en bronze, a été dévoilée le jour de son enterrement. Comme s’il avait voulu dire à ses administrés : « Je ne vous quitterai pas. »
Peut-être croyait-il aux forces de l’esprit, comme François Mitterrand. De fait, on a l’impression qu’il est toujours là.

Calendrier DuMont 2015

Giverny sous la neige

J’aime bien imaginer comment le calendrier DuMont de Giverny est présent, accroché au mur, dans bien des maisons. Je l’imagine éclatant de toute la beauté du jardin de Monet à travers les saisons, dans ce langage universel de la photo, un langage qui se passe de mots. Ce n’est pas un langage que je maîtrise à la perfection, mais je m’applique pour faire honneur au travail des jardiniers, et la complicité de la lumière fait le reste.
L’amour de l’oeuvre de Monet, horticole ou picturale, est un élément fédérateur qui unit beaucoup de personnes à travers le monde. Je pense à tous ces amoureux de Giverny quand mes yeux se posent sur le calendrier ouvert à la page de janvier. A ce temps suspendu de l’hiver, qui est celui des projets et de l’attente. Aux années passées où ont été prises les photos, à celle qui s’annonce.
Tout doucement, les visiteurs de la saison prochaine commencent à organiser leur voyage. « Je vais revenir à Giverny« , m’écrit une dame qui demeure à des milliers de kilomètres, « j’ai la grande allée enneigée sous les yeux« .
calendrier DuMont de Giverny Un calendrier, c’est fait pour penser au temps, mais ça fait aussi beaucoup penser à l’espace. Quand cette dame viendra, quand le temps de son voyage sera venu et aura anéanti la distance qui la sépare d’ici, le jardin aura changé. Il ressemblera davantage à ceci :

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Onde

Ondes concentriques à la surface du bassin de Monet

Un poisson a fait surface, ou une grenouille a plongé, ou quelque autre événement lié à ces êtres qui sont chez eux dans le bassin de Monet vient de se produire sans qu’on l’ait remarqué. Partout, sous son apparente immobilité, le jardin ne cesse de frémir et bruire, au gré des vies qui l’habitent. A lui tout seul, c’est un monde, petit pour nous, mais à l’échelle de ses hôtes.
Si j’étais un oiseau, je verrais que les ondes sont concentriques et dessinent des cercles à la surface. Mais depuis la berge, leurs rondes apparaissent elliptiques.
Au centre, là où s’est produit le choc initial, là où le miroir de l’eau a été brisé, il n’y a déjà plus rien. L’agitation s’éloigne, toujours plus loin. Comme dans l’actu.
Assis au bord de l’eau, on peut laisser les pensées flotter. Elles partent dans toutes les directions, portées par l’onde. Vers où vont les vôtres ?

L’abbaye de Fontaine-Guérard

Même en hiver ce lieu rayonne de beauté calme.
La rivière s’appelle l’Andelle, un nom qui coule et raconte les prairies et les aulnes, les coteaux et les bois.
Un peu plus loin l’Andelle va grossir la Seine, mais avant d’aller mêler ses eaux au fleuve majestueux, elle est cette rivière au cours tranquille qui reflète le bleu du ciel.
Au 12e siècle une communauté de femmes est venue s’installer dans ce vallon, tout près de Radepont, dans ce qui est devenu beaucoup plus tard le département de l’Eure. Ces moniales suivaient la règle de Cîteaux. Leur logis est intact, avec ses arcatures de pierre blanche.

Tout près des bâtiments conventuels, une source jaillit du sol, sans margelle, sans apprêt, au milieu de l’herbe.
C’est la vie même qui sourd des profondeurs de la terre, comme une naissance.
Le cours d’eau balbutiant traverse le pré, attiré par la rivière, la trouve et va s’y fondre.

C’est un lieu où se fondre soi-même dans la paix qui règne.
Dans cette sagesse du temps qui passe, des saisons qui alternent, du soleil qui monte dans le ciel puis laisse place aux étoiles, des plantes qui germent, poussent et meurent.
Tout est si fluide ici, uni, en harmonie.

Je suis Charlie

Caricature de Jules Didier par Claude MonetCaricature de Jules Didier par Claude Monet vers 1860, Fusain sur papier, Art Institute of Chicago

Difficile de dormir cette nuit après cette abomination.
Cette sensation d’être atteints jusqu’au tréfonds dans ce que nous avons de plus beau et de plus cher, la liberté.
Le droit d’écrire, d’imprimer, de diffuser la pensée.

Face à cette abjection de la violence et de la haine, j’ai eu envie de voir des images plus douces.

Les âmes de nos Charlies sont allées droit au ciel, aussi légères que des papillons.
Et là haut, elles ont été accueillies par Claude Monet, heureux de souhaiter la bienvenue à des collègues.
N’a-t-il pas commencé sa carrière en caricaturant les bourgeois du Havre ?
Avec Charb, Cabu, Wolinski et les autres, ils imaginent des dessins, et ils se tiennent les côtes de rire.
C’est frais, Monet en est comme rajeuni.

Mes pensées vont aussi vers les vivants.
Les survivants.
Ceux qui sont dans la douleur du deuil.
Ceux qui ont charge de trouver les coupables.
Ceux qui ont la responsabilité d’assurer la sécurité du pays.
Et je prie pour ces trois âmes fourvoyées dans la haine, qui sont en grande difficulté.

Tétramorphe

Saint-Luc, portail Saint Lubin, Vernonnet Le taureau que vous apercevez dans l’angle gauche de cet écoinçon n’a rien à voir avec le boeuf de la crèche. C’est l’attribut de Saint-Luc, l’un des quatre évangélistes, dont le nom est gravé en-dessous du personnage. Les trois autres rédacteurs du Nouveau Testament de la Bible ont aussi leur symbole. Matthieu est associé à un homme ou à un ange, Marc à un lion (comme sur la place Saint-Marc de Venise) et Jean à un aigle. Ils tiennent généralement un livre et de quoi écrire. Je crois que l’objet qui ressemble à un sabre entre les cornes du taureau est en fait une plume démesurée, ce qui fait donc de notre Luc un gaucher, détail plaisant.
Pourquoi les évangélistes ont-ils été dotés de ces attributs ? Ils leur ont été conférés d’après une vision de Saint-Jean dans l’Apocalypse :

Saint Jean, portail Saint Lubin, Vernonnet Un trône était dressé dans le ciel, et quelqu’un était assis sur ce trône… Et autour de lui, se tiennent quatre vivants constellés d’yeux…. Le premier vivant est comme un lion ; le deuxième vivant est comme un jeune taureau ; le troisième vivant a comme un visage d’homme ; le quatrième vivant est comme un aigle en plein vol. » (Apocalypse IV, 2, 7).

Cette vision rappelle celle du prophète Ezéchiel dans l’Ancien Testament :

« Au centre je discernai quelque chose qui ressemblait à quatre animaux dont voici l’aspect : ils avaient une forme humaine. Quant à la forme de leurs faces, ils avaient une face d’homme, et tous les quatre avaient une face de lion à droite, et tous les quatre avaient une face de taureau à gauche, et tous les quatre avaient une face d’aigle. » (Ezéchiel I, 5, 10).

Tout ça c’est carré si j’ose dire, noir sur blanc, et tout irait bien si on croyait comprendre quelque chose à cette image ahurissante. Car une fois le premier pourquoi résolu, il s’en profile un deuxième, façon gamin de quatre ans exaspérant : pourquoi ces symboles-ci en particulier ? Comment les interpréter ? Parce qu’on le sent bien, ils ont un sens. Mais lequel ?
Saint-Matthieu, portail Saint Lubin, Vernonnet En vingt siècles de christianisme on a eu le temps de se poser bien des questions, et d’essayer d’y apporter toutes sortes de réponses, parfois convaincantes, parfois non. Le lien entre l’évangéliste et son attribut viendrait des premiers versets de son évangile. Ainsi Matthieu est représenté par l’homme parce que son évangile commence par la généalogie du Christ.
Dans son dernier ouvrage, « Tympans et portails romans », Michel Pastoureau détaille les images présentées aux porches des églises, où le tétramorphe est, dit-il,

un des thèmes les plus récurrents et les plus majestueux de l’iconographie chrétienne.(…) Le Christ est figuré trônant dans toute sa gloire, entouré des quatre vivants, l’ange et l’aigle en haut, le lion et le boeuf en bas. La présence de ces derniers évoque les quatre piliers du trône que sont les évangélistes, (…) et, surtout, les quatre « moments » du temps historique passé par le Christ sur Terre : l’Incarnation, la Passion, la Résurrection et l’Ascension. Les quatre animaux deviennent alors les attributs du Christ lui-même qui fut (…) homme dans sa naissance, boeuf dans sa mort (le boeuf est un animal de sacrifice pour toutes les traditions anciennes), lion dans sa résurrection (selon les bestiaires, le lion ressuscite de son souffle ses petits mort-nés) et aigle dans son ascension vers le ciel.

Saint-Marc, portail Saint Lubin, Vernonnet Cette explication m’a fait l’effet d’une révélation. L’image prend sens d’un coup, et les éléments sont si bien reliés ensemble pour former un tout que l’interprétation a une force d’évidence. Cette interprétation n’est pas nouvelle : c’est celle du pape Grégoire le Grand (6e siècle) reprise par « de nombreux auteurs à sa suite », précise Pastoureau. Lui-même est un passeur remarquable, il a le mérite de la rendre accessible.
Ce n’est pas tous les jours que l’on éprouve cette émotion si particulière de la révélation. Vous rappelez-vous la dernière fois où cela vous est arrivé ? Pour moi c’était le jour où j’ai entendu une collègue expliquer pourquoi les églises étaient « orientées ». Pas orientées vers. L’emploi d’orienter sans complément m’avait toujours intriguée, mais en même temps ce n’est pas le genre de question qui empêche de dormir. Juste une question parmi les millions que l’on se pose tout au long de sa vie, qui restent en suspens, non élucidées, parce que nos savoirs ne sont jamais tout à fait nets et tranchants, mais plutôt bordés de flou. On approche des choses sans jamais que la netteté soit parfaite. Parfois, donc, quelqu’un vous offre une mise au point et soudain l’image est nette. Le coeur bondit de joie d’avoir trouvé une pièce longtemps cherchée du grand puzzle de l’existence.

Portail Saint Lubin, VernonnetJ’étais si heureuse d’avoir lu l’explication de Pastoureau que je me suis mise en quête d’une illustration pour givernews, mais où trouver un tétramorphe ? Je n’en connais pas dans les églises qui me sont familières. L’internet me renvoyait vers des cathédrales lointaines. Et puis je ne sais comment s’est réveillé dans ma mémoire un souvenir couvert par des couches de poussière, celui d’une visite de mon quartier avec un historien local il y a des années. Bingo ! Le monument religieux le plus proche de mon domicile, c’est ce portail renaissant installé au presbytère de Vernonnet, à côté duquel on peut passer cent fois sans y prêter attention. Il est orné des quatre évangélistes accompagnés de leurs attributs. Ce n’est pas à proprement parler un tétramorphe classique avec les animaux entourant le Christ siégeant en majesté dans une mandorle, mais l’idée est là.

De haut en bas : Saint-Luc et son taureau ou boeuf,
Saint-Jean aux longs cheveux et son aigle,
Saint-Matthieu et son ange (un putti ? C’est la Renaissance…),
Saint-Marc et son lion.
En bas, vue d’ensemble du fronton du portail Saint-Lubin, près de l’église Saint-Nicolas dans le quartier de Vernonnet à Vernon. Ce portail est tout ce qui subsiste de l’église ancienne démolie au 19e siècle et reconstruite à quelques centaines de mètres de celle d’origine.

Bonne année 2015 !

A Giverny en janvierL’année a commencé sous un ciel lumineux à Giverny. La nuit dernière, le souffle humide de la Seine s’est déposé en fins cristaux sur les brindilles, ce matin tout brillait de givre. Nous n’étions pas nombreux dans la plaine, mais il flottait dans l’air cette jubilation de l’hiver, quand la nature met ses paillettes, et les quelques inconnus que j’ai croisés avaient le sourire et m’ont souhaité la bonne année.
On voudrait pouvoir emmagasiner un peu de cet éclat pour les jours sombres, comme on voudrait pouvoir mettre de côté un peu de la chaleur de l’été en prévision de l’hiver. Mais comme cela ne se peut, il faut se dépêcher de croquer les instants les plus magiques à mesure qu’ils se présentent et qu’ils passent.
Cette semaine ma dernière visite de l’année était aux Andelys, dans un brouillard épais qui masquait tout. Mais la courte ascension à Château-Gaillard a suffi pour nous offrir le soleil et le ciel bleu au-dessus d’une mer de nuages. C’était merveilleux de retrouver la lumière et la tiédeur, presque incroyable qu’elles soient si près, accessibles en quelques minutes d’effort. Je me suis promis de me souvenir de cette image : le ciel bleu est juste derrière les nuages. Le nuage lui-même se traverse, il n’a pas d’épaisseur.
Chère lectrice, cher lecteur, je vous souhaite une année 2015 lumineuse, je vous souhaite de la parcourir avec confiance, je vous souhaite une année de paix et d’amour.

Cher lecteur, ces textes et ces photos ne sont pas libres de droits.
Merci de respecter mon travail en ne les copiant pas sans mon accord.
Ariane.

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