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Monet était-il surdoué ?

Claude Monet, Les Meules, effet de gelée blanche, 1888, Hillstead Museum

Si tout le monde est d’accord pour considérer Claude Monet comme un surdoué de la peinture, je ne crois pas que cette question ait déjà été posée : Monet était-il un surdoué « tout court » ?

Pour certaines personnes célèbres, le surdon saute aux yeux. C’est le cas, disons, de Marcel Proust ou de Félix Fénéon. Leur personnalité et leurs écrits collent à l’idée que nous nous faisons d’une intelligence brillante doublée d’un regard acéré sur le monde et d’une ironie mordante.

En regardant le très bon documentaire de François Prodromidès Clemenceau dans le jardin de Monet rediffusé il y a quelques jours sur Arte, il m’est apparu que Georges Clemenceau entrait aussi dans cette catégorie des surdoués évidents, lui le tribun « tombeur de ministères ». Or, on dit que les zèbres se reconnaissent entre eux. L’idée m’est alors venue que Monet n’était peut-être pas moins surdoué que son grand ami, juste « autrement surdoué ». L’amitié entre ces deux-là était si profonde qu’elle me semble dépasser les similitudes de caractère (ce sont deux lutteurs) pour toucher à l’harmonie intime de deux personnes qui se sentent câblées pareil.

J’emprunte à Jeanne Siaud-Facchin, éminente spécialiste de la douance et inventrice, je crois, du terme de zèbres pour désigner ces personnes qui pensent et sentent autrement que les autres, je lui emprunte, donc, le titre en forme de question, car elle aime mieux suggérer qu’affirmer, et laisse chacun libre d’apporter ses réponses. Pour vérifier mon hypothèse concernant Monet, je suis allée relire son ouvrage paru en 2008 Trop intelligent pour être heureux ? L’adulte surdoué (Odile Jacob).

La psychologue y décrit les traits caractéristiques et les difficultés rencontrées par les très nombreux surdoués qu’elle a suivis dans son cabinet. Ce qui frappe et va à l’encontre des idées reçues, c’est qu’il y a mille façons de vivre le surdon, y compris certaines qui vous font passer pour idiot. Jeanne Siaud-Facchin nuance la définition statistique du surdon ( un score de QI total de 2 écarts-types au-dessus de la moyenne, soit à partir de 130) pour s’intéresser plutôt aux zébrures, car pour elle on peut être zèbre même si le QI testé ne franchit apparemment pas cette limite – peut-être pour cause de fatigue ou de stress.

Comme il n’est plus possible de faire passer de bilan à Monet, nous sommes bien obligés de nous contenter d’autres indices, et d’aller chercher dans ses lettres ou dans des témoignages de proches ce qui pourrait évoquer un profil de zèbre. Parmi tous les comportements que Jeanne Siaud-Facchin a pu observer chez les surdoués, certains collent parfaitement à Monet :

  • la vue perçante
  • les montagnes russes émotionnelles
  • une part infantile encore bien présente incluant la créativité et la capacité à s’émerveiller
  • se plaindre de tout, tout le temps, en alternance avec un sentiment de toute-puissance
  • le sentiment d’être en décalage temporel
  • le charisme et le leadership
  • le perfectionnisme
  • la difficulté à se plier aux règles
  • la rapidité d’apprentissage qui conduit à vite dépasser le maître
  • la tendance à se faire beaucoup de souci pour ses proches
  • l’insatisfaction chronique
  • la puissance de travail
  • l’éventuelle addiction au travail pour calmer l’anxiété
  • la capacité de créer du beau là où d’autres ne voient que le banal
  • le sens esthétique et poétique

Pour expliquer ce dernier point, on croirait que Jeanne Siaud-Facchin avait les tableaux de Monet en tête. Selon elle, l’esthétique

permet de s’accorder au monde dans ce qu’il a de plus intime. (…) Le sens esthétique est cette capacité à saisir par l’intermédiaire de tous les sens et avec une sensibilité subtile, la quintessence des choses. L’esthétique saisit à la fois le caché et le visible, l’intérieur et l’extérieur et embrasse le monde avec une profondeur percutante.
Le caractère poétique parle de la capacité à s’oublier soi-même pour exalter la beauté de la nature ou de l’autre. Le poétique crée un lien intime avec l’environnement. Le poétique, c’est pouvoir s’immerger entièrement dans l’environnement pour en absorber l’essence ou l’identité. Le poétique, c’est une communion avec le monde par capillarité sensitive.

Si on ajoute à toutes ces zébrures la capacité de Monet à argumenter avec brio dans ses relations avec ses marchands, c’est-à-dire, quand il en éprouve le besoin et s’en donne la peine, l’expression d’une certaine puissance intellectuelle, si on pense à sa tendance à l’inhibition sociale qui lui vaut une réputation d’ours, on arrive à un faisceau d’indices qui dessinent un profil qui pourrait bien être celui d’un surdoué, ce qui serait une explication à sa singularité.


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