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Le vert de la mer

Le vert de la mer
Claude Monet, Voiliers en mer, 1868, huile sur toile 50 x 61 cm, musée des Beaux-Arts de Lausanne, legs d’Edwige Guyot 2006 – W 125

Quelle audace dans cette oeuvre de Claude Monet exécutée fin 1868 sur la côte normande ! Le jeune peintre de 28 ans brosse avec fougue la sortie en mer de bateaux de pêche. La couche picturale est fine, les flots, les bateaux et le ciel esquissés à grands traits. Aucun détail superflu. La rapidité d’exécution elle-même confère à la toile une idée de mouvement, et fait penser à cette expression qui revient souvent dans la correspondance de Monet : « en hâte ». Un sentiment d’urgence anime l’artiste. Vite, il faut saisir l’instant avant qu’il ne s’échappe. Face à la brièveté de l’impression, la réponse n’est pas encore la série, mais la vitesse.

La composition révèle que Monet a regardé les estampes japonaises. Audace, encore. Où sont les lignes de fuite de la perspective classique ? L’idée de profondeur est suggérée par des plans successifs où les objets sont de plus en plus petits. Au premier plan, le bateau est poussé sur la gauche, laissant un espace vide très japonisant à sa droite. Monet y décrit l’agitation des flots par de petites touches plus sombres en virgules, où quelques rehauts de blanc évoquent l’écume des vagues. Au second plan, un bateau coupé par le cadre suggère l’idée de déplacement rapide. Tout bouge, tout est mouvement, onde, voiles gonflées de vent, nuages… La côte, seul élément fixe, est réduite à une fine ligne mauve marquant l’horizon, placé très haut à la japonaise.

Le vert de la mer
Claude Monet, Voiliers en mer, 1868, détail

Il faut une réelle virtuosité pour retranscrire un paysage avec une telle justesse, capturer son énergie, sa lumière, son atmosphère. L’oeil de Monet lui fait choisir les tons justes, cet incroyable vert opaline pour la mer – et elle peut vraiment être de cette couleur sur la côte normande – répondant au gris rosé du ciel, aux notes sombres des bateaux. Les coups de brosse vont à l’essentiel, synthèse brillante de la perception visuelle.

Mais la virtuosité de Monet, on ne la comprendra que plus tard. Dans la salle voisine du musée des Beaux-Arts de Lausanne sont présentées plusieurs belles oeuvres de Charles Gleyre, qui a été le maître de Monet. Originaire du canton de Vaud où il est né en 1806, Gleyre a enseigné la peinture à l’Ecole des beaux-arts de Paris ainsi que dans un atelier au 70 bis rue Notre-Dame des Champs où il dispensait ses cours gratuitement, les élèves ne payant que pour le loyer et les modèles. C’est là que Monet, Renoir, Sisley, Bazille se rencontrent en 1862-63.

Le vert de la mer
Charles Gleyre, Le Coucher de Sapho, 1867, huile sur toile, musée des Beaux-Arts de Lausanne

Qu’ont-ils pu retenir de l’enseignement de Gleyre ? L’encouragement à aller peindre en plein air, peut-être. Mais sûrement pas ses exhortations à penser à l’antique lorsqu’ils dessinent des nus, c’est-à-dire à idéaliser le corps humain.

A regarder les tableaux de Gleyre, ces manifestes de l’académisme, on comprend tout le fossé qui sépare le maître du petit groupe de fortes têtes, et le temps qu’il faudra au public pour accepter d’aimer l’impressionnisme. Comment concilier deux visions de la peinture si radicalement différentes ?

Je me suis arrêtée longuement devant les oeuvres du maître vaudois, Romains passant sous le joug, portraits de personnes croquées pendant ses voyages, et devant cette superbe Sapho. Chez Gleyre, l’érotisme n’est jamais très loin. Il peut prendre diverses formes et tire parfois sur le sado-masochisme, mais cela n’est pas le cas ici. La poétesse grecque s’offre dans la perfection de sa nudité, les pieds foulant la peau d’une panthère. Dos tourné, elle place le spectateur dans la position du voyeur.
Elle a posé sa lyre, le lit est prêt à l’accueillir. Mais avant de s’allonger, elle emplit d’huile une petite lampe qu’elle va placer, je suppose, sur le porte lampe en métal qui rythme la composition de sa ligne verticale, en écho à la colonne de gauche.
On sent que chaque détail a été longuement réfléchi et calculé ; la technique est parfaite, admirable. Et en même temps, on conçoit le ras-le-bol de la jeune génération devant cette peinture-là. Les futurs impressionnistes trouvent tout simplement qu’elle n’est plus de leur temps.


5 commentaires

  1. Belle marine en mouvement, oui, et après t’avoir lue, je suis retournée à une toile de Dufy vue à Aix, Régates aux mouettes, pour comparer comment, des décennies plus tard, ce peintre moderne s’y est pris pour montrer l’allure des voiliers – sur une mer également verte.
    (J’ai vu de belles expos dans ce musée de Lausanne, où de nouveaux musées se sont ouverts, ai-je lu.)

  2. Je ne cesse de vous lire et découvre chaque fois l’immense culture qu’est la vôtre sur l’existence du peintre de de son jardin. J’aimerais vous rencontrer. Simplement, afin d’échanger sur ce vaste sujet. Cordialement. Daniel Airam

    • Merci Daniel, c’est gentil. Comme on dit, creusez un sujet pendant dix ans, vous en serez un expert ! J’en suis au quart de siècle, pas de mérite.

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Ariane.

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