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Lever du jour sur la Seine

Giverny, photos 11 octobre 2022

Pour capturer la lumière exacte des Matinées sur la Seine de Claude Monet, il faudrait venir à Giverny au mois d’août, et être à pied d’oeuvre au bord du fleuve à cinq heures du matin. C’est un peu tôt pour moi, aussi ai-je retardé l’échéance jusqu’au mois d’octobre. Voici Giverny hier à 8 heures du matin.

A l’ouest, la pleine lune toute dorée reste accrochée au-dessus des champs labourés, éveillant des envies de télescope et de trépied. Cela doit être passionnant de photographier ce corps céleste, mais ce n’est pas ce que je suis venue chercher. Je voudrais des brumes, du bleu, des ombres, des reflets, du rose, du doré.

Je m’avance sur ce chemin qui part du moulin des Chennevières et va droit à l’ancienne île aux Orties. C’est à ce moment que je les aperçois, trois chevreuils profitant de la lumière douteuse pour s’aventurer si près des humains. A peine le temps de les cadrer, ils ont déjà filé en quelques bonds gracieux, laissant derrière eux l’idée de leur légèreté.

Deux seulement dans l’objectif, si loin, si flous : je tire mon chapeau aux photographes animaliers qui nous offrent des images à couper le souffle.

Tout au bout, là où le chemin forme un T, je tourne à droite puis à gauche, dans un très modeste sentier baptisé :

Le temps de me demander qui étaient donc ces mystérieux frères Poulain, de me faufiler entre des orties hautes comme moi (ce n’est pas une légende, mais octobre oblige, elles ne trouveront rien à piquer) et me voilà au bord de l’eau.
Joie ! la Seine fume. L’eau est plus tiède que l’air (5 degrés ce matin), la vapeur qui s’évapore se condense dans l’air froid. Thédore Duret, ami de Monet et critique enthousiaste de son oeuvre, nommait cela des buées, un terme que nous n’employons plus guère qu’au singulier pour la condensation sur les vitres :

Aussi Monet est-il parvenu à rendre tous les jeux de la lumière et les moindres reflets de l’air ambiant, il a reproduit les ardeurs des couchers de soleil et ces tons variés que l’aurore donne aux buées qui se lèvent des eaux ou couvrent la campagne, il a peint, dans toute leur crudité, les effets de la pleine lumière tombant à pic sur les objets et leur supprimant l’ombre, il a su parcourir toute la gamme de tons gris, des temps couverts, pluvieux ou estompés de brouillard.

Theodore Duret, 1885

Vais-je retrouver le motif de Monet, sa lumière ? La Seine a changé, elle a perdu la plupart de ses îles. La partie droite de l’image sera forcément différente. Mais la gauche ? Une péniche passe, deux cygnes plongent la tête dans l’eau et la ressortent, occupés à leur petit déjeuner. Monet aurait ignoré ces anecdotes pour ne voir que la lumière.

Il faut un peu tricher avec les réglages pour retrouver les teintes bleues que voyait Monet de son oeil superlatif, ces ombres mystérieuses qui précèdent le lever du soleil.
Vers l’aval, la Seine s’étale comme un lac. Je patiente, mais le ciel ne deviendra jamais rose ce matin. Comme Monet, il faudrait revenir et revenir encore pour voir sa couleur changer.
Ce ciel bleu, c’était hier. Aujourd’hui, où j’étais attendue pour une visite matinale, j’ai admiré par la fenêtre avec une pointe de dépit la plus belle aurore qui soit. Pour capturer les effets, il faut aussi que la météo y mette du sien, c’est-à-dire qu’elle récompense le pari fait par le photographe en se rendant sur place.

Pour Monet, la question était encore plus cruciale, et l’on comprend ses affres face aux changements de temps. Il lui fallait plusieurs séances d’un même effet pour faire aboutir ses études. Si l’effet ne se reproduisait pas, l’étude ne deviendrait jamais un tableau, et le travail effectué lors des premières séances serait perdu.
Les biographes de Monet marquent parfois de l’agacement face à la litanie de ses plaintes relatives à la météo dans ses lettres à sa femme. Oui, c’est ennuyeux à lire, c’est répétitif, mais il suffit de mettre ses pas dans ceux de Monet, de faire l’effort de se lever tôt, de charrier son matériel jusqu’au motif, et de guetter la lumière pour comprendre le peintre.


4 commentaires

  1. Merci de ce beau reportage sur les pas de Monet. Belle construction avec une magnifique apothéose. L’avant-dernière photo est une Matinée ! Elle évoque les tableaux W1487 – 1488 et 1499. Votre dernière photo pourrait être le tableau W838 (malheureusement en N&B dans les Catalogues raisonnés).

  2. Même à 8 heures,tu as capturé de magnifiques clichés!
    Les buées, je vais m’en souvenir…
    On imagine les difficultés pour Monet, lui le perfectionniste pour la réalisation de ses toiles!

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Ariane.

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