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Un homme pressé

Je n’ai pas de photo de Sébastien Lecornu, mais bon, vous voyez à quoi il ressemble, son visage est partout en ce moment. Je ne pense pas être la seule vernonnaise à qui cela fait un drôle d’effet de le voir nommé Premier ministre, sans en être surprise toutefois : à Vernon, son fief, on le connaît depuis longtemps. En 2014, il avait mené une campagne électorale inédite pour les municipales. Un livre intitulé Vernon mérite mieux avait été déposé dans chaque boîte aux lettres, présentant les très nombreuses mesures envisagées pour la ville. Son équipe débordait de dynamisme sur les réseaux sociaux.

C’est peu après son élection à la mairie en mars 2014, à l’âge de 27 ans, que j’ai rencontré Sébastien Lecornu pour la première fois. Je me suis présentée à l’accueil de l’hôtel de ville avec mon livre Vernon. Alors que j’expliquais le motif de ma visite, le nouveau maire est justement sorti de son bureau. Il connaissait le livre. Il m’en a commandé dix, pour faire des cadeaux. Un échange de moins d’une minute.

Nous n’avons pas gardé notre maire longtemps. Aux yeux de l’électeur, Sébastien Lecornu a un côté anguille : à peine élu il brigue déjà une autre fonction. L’électeur a un léger sentiment de s’être fait avoir. Dès décembre 2015, le jeune maire a échangé son siège avec celui de son premier adjoint pour cause de cumul des mandats, car il était devenu président du conseil général de l’Eure. Je me souviens avoir été soufflée par sa façon de griller les étapes. A peine élu conseiller général, et si jeune cela paraissait déjà un exploit, il prenait la tête du département ! Cela dénotait un grand sens de la politique politicienne, pour le moins, un talent pour le jeu des alliances et du réseautage. Et une ambition hors norme.

Par la suite, j’ai eu l’occasion de l’entendre dans diverses manifestations culturelles. Quand Sébastien Lecornu prend le micro après les autres orateurs, on change de registre. Il a une façon directe et franche de s’exprimer qui le fait trouver sympathique par beaucoup de vernonnais. J’ai été frappée par son charisme, bien entendu, sa connaissance des dossiers, son énergie et son goût de l’action. C’est ce que l’on peut attendre d’un homme politique. J’ai aussi trouvé que c’était un homme pressé, d’une hâte assez dérangeante.

L’histoire se passe à Giverny, au musée des impressionnismes, où une nouvelle exposition va ouvrir. Nous sommes cent ou deux cents personnes debout dans le hall. Le directeur remercie toutes les présents et les absents dans l’ordre protocolaire, et, avant de donner des détails sur l’exposition, il tient à manifester sa gratitude au président du conseil général, qui est un peu son patron puisque le musée est un établissement public de coopération culturelle. Le directeur a particulièrement apprécié que le président du conseil général ait « su rester à sa place » en n’intervenant pas dans les choix de programmation du musée. Il faut croire que ce n’est pas toujours le cas, et que certaines personnalités politiques se montrent un peu envahissantes. Pour le directeur, avoir les mains libres est certainement plus agréable.

C’est bien d’exprimer sa gratitude, n’est-ce pas ? Vient ensuite le tour de Sébastien Lecornu. Lui parle sans notes, et il n’est pas impossible qu’il improvise, il n’a pas que ça à faire d’écrire des discours pour des vernissages. Le voilà donc qui répond au directeur et qui glisse dès la deuxième phrase « il faut savoir rester à sa place », faisant rire toute l’assemblée par cette allusion. On croit à un sympathique clin d’oeil à l’orateur précédent. Mais Lecornu poursuit, et de phrase en phrase l’expression « rester à sa place » réapparaît, quatre, cinq, six fois. Le public ne rit plus du tout, conscient qu’il se passe quelque chose, qu’on est sorti des discours policés, qu’on a basculé dans la colère, le règlement de compte. Malaise.

Avec le recul, au vu du parcours supersonique de l’actuel Premier ministre, il est clair que l’expression « rester à sa place » était maladroite. Une gaffe, même. Lecornu en a été profondément vexé, bien à tort du reste. Mais il aurait pu garder ce ressenti pour lui. Je n’ai pas aimé assister à l’humiliation publique du directeur. Et je ne suis pas rassurée de savoir notre chef du gouvernement aussi impulsif. J’espère qu’il a acquis plus de retenue et de circonspection depuis, au fil de ses fonctions ministérielles, à l’approche de la quarantaine.


2 commentaires

  1. J’ai pensé à toi lorsque j’ai su qu’il était nommé Premier Ministre. Il s’est fait égratigner dans le dernier Canard Enchaîné, notamment à propos de Giverny et du musée des Impressionnismes. Un homme qui aime assurément le pouvoir sans partage et qui n’en a jamais assez.

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