Cela sonne comme d’affectueuses paroles pour remonter le moral de votre copine dépressive : Chris, on t’aime ! Mais sous cette feinte douceur le chrysanthème multiplie les pièges et les lettres superfétatoires. A lui tout seul, avec son ch, son th et son y il est un micro voyage en Grèce.
Le bouquet, si j’ose dire, le pompon, c’est quand on s’intéresse à son nom de famille : les asteraceae. Cette fois on est dans la jungle, c’est Tarzan qui lance son cri de victoire.
Si le chrysanthème joue les ornithorynques, c’est parce qu’il se plaît en Australie. Là-bas, dans l’autre hémisphère, il fleurit aussi à l’automne, c’est-à-dire au mois de mai, pile pour la fête des mères. Comme destin de fleur, avouez que cela a tout de même une autre allure d’être le cadeau par excellence pour une maman chérie, qui va arroser et bichonner son chrysanthème avec amour, plutôt que de finir abandonné dans un cimetière glacé.
Bien, mais alors, vous demandez-vous logiquement, qu’est-ce qui remplace le chrysanthème dans sa mission de fleurissement des tombes ? Eh bien, m’a expliqué une visiteuse australienne de Giverny, le rôle échoit à une fleur qui a la cote chez nous, l’arum, ce cornet d’un blanc pur orné d’un épi jaune.
Ici l’arum fleurit les mariages, peut-être à cause de sa blancheur, peut-être parce que c’est un anagramme d’amour, ce qui semble de bon augure.
L’arum est un sujet sensible au pays des kangourous. Comme l’agapanthe ou l’ipomée, c’est une épouvantable mauvaise herbe très difficile à éradiquer, qui a déjà envahi des dizaines de milliers d’hectares : on fait toujours les choses en grand en Australie.
On l’arrache, on l’arrose aux pires herbicides, rien n’y fait, il se répand à la vitesse d’un cheval au galop, et malheureusement l’arum cru est fort toxique pour tout le monde, les humains et surtout le bétail qui n’a pas l’habitude de faire cuire sa prairie avant de la brouter.
Je ne voudrais pas être un arum en Australie. Mais si j’étais un chrysanthème, je serais sans doute tentée par l’expatriation. Le chrysanthème ne manque pas de terres plus accueillantes que nos contrées pour couler des jours heureux. Les spécimens qui ont le plus la grosse tête ont la belle vie au Japon, où le chrysanthème est le symbole de la famille impériale, et l’ordre du chrysanthème un suprême honneur.
Et comment ne pas évoquer Pierre Loti et "Madame Chrysanthème" dans cette réminiscence exotique ???
Moi qui me demandais ce que je pourrais bien lire pendant les vacances !